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trahit ! s’écria le Cardinal. Perfide jésuite ! je t’ai pardonné ton intrigue de La Fayette ; mais je ne te passerais pas tes conseils secrets. Je ferai chasser ce confesseur, Joseph, il est l’ennemi de l’État, je le vois bien. Mais aussi j’ai agi avec négligence depuis quelques jours ; je n’ai pas assez hâté l’arrivée de ce petit d’Effiat, qui réussira sans doute : il est bien fait et spirituel, dit-on. Ah ! quelle faute ! je méritais une bonne disgrâce moi-même. Laisser près du Roi ce renard de jésuite, sans lui avoir donné mes instructions secrètes, sans avoir un otage, un gage de sa fidélité à mes ordres ! quel oubli ! Joseph, prenez une plume, et écrivez vite ceci pour l’autre confesseur que nous choisirons mieux. Je pense au père Sirmond…

Le père Joseph se mit devant la grande table, prêt à écrire, et le Cardinal lui dicta ces devoirs de nouvelle nature, que, peu de temps après, il osa faire remettre au Roi, qui les reçut, les respecta, et les apprit par cœur comme les commandements de l’Église. Ils nous sont demeurés comme un monument effrayant de l’empire qu’un homme peut arracher à force de temps, d’intrigues et d’audace :

I. Un prince doit avoir un premier ministre, et ce premier ministre trois qualités : 1o qu’il n’ait pas d’autre passion que son prince ; 2o qu’il soit habile et fidèle ; 3o qu’il soit ecclésiastique.

II. Un prince doit parfaitement aimer son premier ministre.

III. Ne doit jamais changer son premier ministre.

IV. Doit lui dire toutes choses.

V. Lui donner libre accès auprès de sa personne.

VI. Lui donner une souveraine autorité sur le peuple.

VII. De grands honneurs et de grands biens.

VIII. Un prince n’a pas de plus riche trésor que son premier ministre.

IX. Un prince ne doit pas ajouter foi à ce qu’on dit