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sèche et silencieuse, le regardant fixement comme pour attendre une nouvelle, et ne pouvant s’empêcher de froncer le sourcil, comme à l’aspect d’une araignée ou de quelque autre animal désagréable.

Le Cardinal n’avait pu résister à ce mouvement de déplaisir, parce qu’il se sentait obligé, par la présence de son agent, à rentrer dans ces conversations profondes et pénibles dont il s’était reposé pendant quelques jours dans un pays dont l’air pur lui était favorable, et dont le calme avait un peu ralenti les douleurs de sa maladie ; elle s’était changée en une fièvre lente ; mais ses intervalles étaient assez longs pour qu’il pût oublier, pendant son absence, qu’elle devait revenir. Donnant donc un peu de repos à son imagination jusqu’alors infatigable, il attendait sans impatience, pour la première fois de ses jours peut-être, le retour des courriers qu’il avait fait partir dans toutes les directions, comme les rayons d’un soleil qui donnait seul la vie et le mouvement à la France. Il ne s’attendait pas à la visite qu’il recevait alors, et la vue d’un de ces hommes qu’il trempait dans le crime, selon sa propre expression, lui rendit toutes les inquiétudes habituelles de sa vie plus présentes, sans dissiper entièrement le nuage de mélancolie qui venait d’obscurcir ses pensées.

Le commencement de sa conversation fut empreint de la couleur sombre de ses dernières rêveries ; mais bientôt il en sortit plus vif et plus fort que jamais, quand la vigueur de son esprit rentra forcément dans le monde réel.

Son confident, voyant qu’il devait rompre le silence le premier, le fit ainsi assez brusquement :

— Eh bien ! monseigneur, à quoi pensez-vous ?

— Hélas ! Joseph, à quoi devons-nous penser tous tant que nous sommes, sinon à notre bonheur futur dans une vie meilleure que celle-ci ? Je songe, depuis plusieurs