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faisant un signe d’adieu ; il porta la main sur sa tête en dormant et fixa le rêve, qui sembla se développer sous ses yeux comme un tableau de sable mouvant.

Une place publique couverte d’un peuple étranger, un peuple du Nord qui jetait des cris de joie, mais des cris sauvages ; une haie de gardes, de soldats farouches ; ceux-ci étaient Français.

— Viens avec moi, dit d’une voix douce Marie de Gonzague en lui prenant la main. Vois-tu, j’ai un diadème ; voici ton trône, viens avec moi.

Et elle l’entraînait, et le peuple criait toujours.

Il marcha, il marcha longtemps.

— Pourquoi donc êtes-vous triste, si vous êtes reine ? disait-il en tremblant. Mais elle était pâle, et sourit sans parler. Elle monta et s’élança sur les degrés, sur un trône, et s’assit : — Monte, disait-elle en tirant sa main avec force.

Mais ses pieds faisaient crouler toujours de lourdes solives, et il ne pouvait monter.

— Rends grâce à l’amour, reprit-elle.

Et la main, plus forte, le souleva jusqu’en haut. Le peuple cria.

Il s’inclinait pour baiser cette main secourable, cette main adorée… c’était celle du bourreau !

— Ô ciel ! cria Cinq-Mars en poussant un profond soupir.

Et il ouvrit les yeux : une lampe vacillante éclairait la chambre délabrée de l’auberge ; il referma sa paupière, car il avait vu assise sur son lit une femme, une religieuse, si jeune, si belle ! Il crut rêver encore, mais elle serrait fortement sa main. Il rouvrit ses yeux brûlants et les fixa sur cette-femme.

— Ô Jeanne de Belfiel ! est-ce vous ? La pluie a mouillé votre voile et vos cheveux noirs : que faites-vous ici, malheureuse femme ?