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Le vieux chroniqueur de Savoie Paradin est le seul écrivain, je crois, qui avance qu’Amédée et ses amis vécurent là en même austérité, macération de corps, pénitence et vie contemplative ; il ajoute : « Ainsi furent ces princes plusieurs années en habits d’ermites, faisant une vie plus angélique qu’humaine en ce lieu estrange, où ils n’y fréquentoient ny bestes, ny gens, et ny bruoient que hymnes, pleurs et prières à la façon des Saints-Pères de Thébaïde... »

Ces assertions sont entièrement contraires à la vérité historique et aux dires des contemporains.

Non, mon ami, le duc et ses commensaux ne se condamnaient point à une rude pénitence ; non, ils ne jeûnaient point, ne priaient guère, ne se macéraient nullement, mais vivaient dans un doux loisir, une continuelle et extatique admiration de la nature ; ils consacraient deux jours de la semaine seulement aux choses de la religion, et, pendant les cinq autres, ils vaquaient aux affaires politiques, recevaient une société brillante, choisie, et ouvraient volontiers, sans doute, leurs tourelles aux jolies Chablaisiennes à l’œil noir et voluptueux à la fraîche carnation, aux formes pleines de sève.

On appela cela faire ripaille, et cette expression s’est conservée jusqu’à nos jours.

Les Augustins du voisinage étaient les indulgents directeurs de ces reclus sensuels.