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dans lesquels ou près desquels je passe ; ces découvertes, ces détails me plaisent, rendent mes promenades plus charmantes, tiennent en haleine ma pensée, et je me laisse aller au plaisir de conter, sans songer que tu te trouves dans des conditions toutes différentes, que tu ne peux voir ce que je vois, visiter ce que je visite, explorer ce que j’explore ; je n’ose espérer que tu ne lis pas avec ennui, avec indifférence, ces pages écrites à bâtons rompus, tantôt en gravissant les montagnes, tantôt en traversant les plaines, tantôt accoudé sur un quartier de roche moussue, tantôt sur la table d’un cabaret villageois, tantôt assis sur un tronc d’arbre renversé.

Quand je me dis cela, j’ai grande envie de terminer mon journal avant mon voyage... Combien je regrette qu’il ne m’arrive aucune aventure terrible, dramatique, mystérieuse, romanesque, propre à t’impressionner, à t’émouvoir.

J’ai beau m’enfoncer dans les forêts d’aspect druidique, dans les gorges embrunies, hélas ! je n’y vois pas même l’ombre d’un homme ou d’un animal à mauvaise mine, personne ne songe à m’attaquer, à me molester, à me dévaliser, et je ne puis faire usage de ma massue de chêne.

Le pays est on ne peut plus poétique, mais tout ce qui m’advient est d’un prosaïsme désespérant.

Quel guignon ! quelle fatalité !... n’ai-je pas lieu de me plaindre de mon destin ?