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Arrivés au village, nous entrons dans une pinte, je remplis de vin ma gourde et leur verse le reste de la bouteille ; ils pensaient payer leur part de la dépense, mais je paie tout sournoisement ; ils réclament contre ce mauvais procédé, alors j’ai la sottise de leur dire :

— Laissez, je suis plus riche que vous.

Cette inconsidérée parole ne fut pas plus tôt lâchée que j’en ressentis une sorte de peine ; je craignis de les avoir blessés, humiliés, de leur paraître orgueilleux ; toutefois ils me pardonnèrent mon tort, et nous nous séparâmes amis.

À la nuit tombante je traversais Lavigny. En passant devant une hôtellerie pleine de buveurs, je vis une femme qui venait rôder près des vitres, sans doute pour surprendre son mari en devoir de se griser.

Je suivais la route sinueuse, apercevant Aubonne dans l’ombre, à une certaine distance, au-dessus d’un vallon profond et richement boisé, quand je fus accosté timidement par une petite fille qui marchait avec précipitation, inquiète de s’être attardée et de se trouver seule, à la brune, sur une route assez peu fréquentée. Elle me demanda si nous étions bien loin de la ville, et si je m’y rendais ; ma réponse et le ton amical avec lequel je lui parlai dissipèrent sa frayeur enfantine, elle se mit sous ma protection et j’écoutai complaisamment, comme il sied à un observateur, son babil. Marie Rochat est une