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MAGNANIMITÉ


vertu où elle trouve à7s’exercer, elle ne vise qu’au grand : les grands sentiments, les grands rôles, les grandes réalisations sont de son domaine propre. Sa maxime est la maxime formulée par Bossuet et qu’il applique au grand Condé : « Dans les grandes actions, il faut uniquement songer à bien faire et laisser venir la gloire après la vertu. » Elle s’évertue, en effet, à mériter l’honneur plutôt qu’elle ne le recherche ; l’honneur pour elle est moins une fin qu’un résultat, une récompense.

La matière de la magnanimité, au rapport de saint Thomas, ce sont les honneurs, et les grands honneurs. C’est que, parmi les biens qui sont à l’usage de l’homme, à savoir les choses extérieures, il n’en est pas de plus grand. L’honneur n’est inférieur qu’à la vertu dont il est très proche, puisqu’il est son témoignage même ; l’honneur appartient de droit aux plus grands et surtout à Dieu ; l’honneur est côté si haut que pour l’obtenir ou pour éviter de le perdre, on sacrifie tout le reste. La magnanimité donc ne s’embarrasse pas des petits rôles ou des rôles moyens, et l’application à de médiocres entreprises non plus que la poursuite d’honneurs mesquins n’ont pas reçu de nom spécial. S. Thomas, Sum. theol., Ila-IIa*, q. cxxix, a. 1, ad 2™.

II. La vertu.

La magnanimité maintient dans l’homme la poursuite du grand au niveau du raisonnable. Et dans ce besoin de l’ordre consiste précisément la vertu de ce nom. Par exemple, elle empêche que le magnanime présume jamais de ses moyens, ou qu’il aspire aux honneurs pour eux-mêmes, ou encore que, par défiance de ses forces, il renonce à ses entreprises. Si parfois la magnanimité méprise les honneurs, c’est en ce sens qu’elle ne se permet rien de bas pour les obtenir, ou qu’elle en fait peu de cas. Le mépris des honneurs serait blâmable s’il accusait une paresse de les mériter par quelque grande action. Mais le magnanime n’encourt point ce reproche ; car il s’applique en tout à bien faire, à faire grand sans exagérer pourtant l’importance de l’honneur humain. Ibid., a. 3.

Il semblerait que la magnanimité ne fût qu’un faisceau de vertus plutôt qu’une vertu spéciale. Il n’en est rien. Chaque vertu a son objet et sa fin propres ; elle a de même sa louange particulière. La magnanimité

  • je propose une façon de bien moral tout à fait spéciale,

et, par l’accomplissement de grandes actions, elle s’élève à ce qu’il y a de plus grand en matière d’honneur. Lors donc qu’elle s’applique aux autres vertus, ce n’est pas précisément en leur forme spécifique et à cause de leur bonté particulière, mais parce qu’elle entrevoit en chacune d’elles une excellence à part, une possibilité de faire grand. A l’occasion, elle sera bienfaisante, juste, véridique, patiente dans les épreuves, non pour le motif de ces vertus particulières, mais par noblesse et grandeur d’; îme ; car elle estime que, s’il est beau de donner, de rendre au delà de ce qu’on a reçu, il est honteux de s’attacher aux biens extérieurs ou de craindre la souffrance et les ennuis à ce point qu’on veuille à cause d’eux manquer de justice, mentir ou se plaindre lâchement. Bref, la magnanimité ne se confond pas avec les autres vertus, mais elle y excelle et les rend plus grandes. Ibid., a. 4, ad 2°"’.

La magnanimité n’est nulle part mieux préparée à son rôle que dans l’ordre surnaturel et chrétien. La vertu naturelle ou païenne de ce nom, s’adonne à des .choses qui sont grandes humainement et qui méritent de l’honneur devant les hommes. Celle qui s’inspire de l’Évangile a un horizon large comme le Ciel, une élévation transcendante comme ce qui dépasse la terre et ses objectifs, elle dispose aussi d’encouragements, d’exemples et de forces d’une portée surhumaine, elle conduit enfin à une perfection et à des

récompenses d’ordre divin. N’est-ce pas sur le terrain de la magnanimité chrétienne qu’on rencontre ces vrais grands hommes que sont les saints ? N’est-ce point là de même, qu’on s’exerce non seulement à de grandes austérités, aux grands travaux de l’apostolat et de la bienfaisance, à la patience dans de grandes souffrances, mais encore à des œuvres plus communes, quoique grandes incontestablement aux yeux de Dieu, et qui mettent en réputation devant Lui ? D’une manière habituelle, il semble convenable et digne pour une âme créée à l’image de Dieu, munie des grands secours de la grâce, encouragée par de grandes récompenses et sollicitée par de grands exemples, de s’appliquer à des actions hautes et généreuses et qui méritent une grande gloire en la compagnie de Dieu et des anges.

La vertu de magnanimité est partie intégrante de la vertu de force. Voir Force, t. vi, col. 537, 538. Elle a ses contraires qui sont la pusillanimité, par défaut, la présomption, l’ambition et la vaine gloire, par excès ; voir dans les articles qui suivent : Pusillanimité et Présomption et dans les articles parus : Ambition et Gloire (Vaine), t. i, col. 940-941, t. vi, col. 1429-1431.

III. Magnanimité et humilité.

La magnanimité, dont le propre est de porter en haut, d’exalter, serait-elle contraire à l’humilité qui incline à descendre, à mettre en bas ? L’opposition n’est qu’apparente, fait observer saint Thomas, et les mouvements contraires de l’une et de l’autre procèdent simplement d’une diversité de vue. On trouve chez l’homme des grandeurs qui lui viennent de Dieu, on y trouve, ’par contre, des misères qui proviennent de l’infirmité de sa nature. Tour à tour donc, le magnanime exalte en soi les dons de Dieu, et se propose d’en faire un noble emploi, tout à tour, il s’abaisse et s’avoue à soi-même son fond de misère. Ces vues l’inspirent et le dirigent dans ses rapports avec autrui. Il sait reconnaître et magnifier dans les autres ce qui vient de Dieu, et le comparant avec ce qu’il tient de soi, il n’a pas de peine à se mettre et à se tenir au-dessous d’eux. C’est la démarche même de l’humilité. Il remarque pourtant ce qui leur manque, et, sous cet angle de leurs défauts, il en fait peu de cas. Jamais d’ailleurs, il ne les porte si haut dans son estime que pour eux il consente à quelque chose d’incorrect ou d’indigne. Ibid., a. 3, ad 4 U1 ".

IV. Portrait du magnanime ; ses défauts apparents. — Comme les pensées et les sentiments de l’âme déterminent assez souvent les attitudes corporelles, le magnanime a sa physionomie extérieure. Aristote lui attribue des allures lentes, une voix grave, une parole posée. Les grandes choses qui font l’objet de la magnanimité sont en petit nombre, elles sont de poids et requièrent beaucoup d’attention : d’où la contenance du magnanime, son air rassis, ses gestes plutôt rares, tout un ensemble qui révèle une âme sereine, sans passion ni fièvre. A ces traits, on reconnaît la magnanimité en exercice, on devine même la disposition naturelle qui y prépare. Ibid., a. 3, ad 3°"’.

Facilement le vulgaire reproche au magnanime des défauts, mais plutôt apparents et qui tiennent à son élévation même. Il lui fait un grief, par exemple, d’oublier les bienfaits dont il a été l’objet. Il serait plus exact de dire qu’il n’aime pas recevoir d’un autre, à moins qu’il ne soit à même de rendre au delà de ce qu’il a reçu. Il tend à exceller en matière de reconnaissance comme en tout le reste. On entend dire encore qu’il est oisif et lent à l’action ; ce n’est pas qu’il néglige d’agir dans les choses qui sont à son niveau, mais il faut penser’qu’il n’entre pas volontiers dans les vains soucis du grand nombre. S’il parle, objecte-t-on toujours, il semble que ce soit avec peu de simplicité. Mais c’est seulement dans ses rapports