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MAGIE, RAPPORTS AVEC I. RELIGION

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3° En fait la magie est-elle à l’origine des religions ? — 1. Remarques préliminaires. - La parole est à l’histoire. Or, l’histoire doit commencer par avouer son impuissance à apporter un seul exemple de pareille ascension, c’est-à-dire de passage spontané du magisme ou de l’animisme au polythéisme ou au monothéisme.

Cette constatation est faite par le R. P. Lagrange, Éludes sur les religions sémiligues. Voir col. 1536. Avant lui, Zockler, art. Magie, dans Protest. Rcalencyclopædic, t. xii, p. 57, n’hésitait pas à affirmer que pareille ascension, par exemple du fétichisme ou de l’animisme à un état religieux plus haut, n’a jamais été observée. Et Zôckler concluait généralement qu’au point de vue de la civilisation comme au point de vue de la religion, les peuples dont toute la religion consiste dans le fétichisme ou dans les superstitions polydémonistes, sont inaptes à se développer.

Il reste bien entendu que nous parlons de développement spontané, et non de brusque progrès, qui s’explique par un apport extérieur, par une révélation vraie ou supposée, comme c’est le cas des Israélites ou des musulmans. Mahomet prétendait faussement avoir reçu des révélations, mais il s’inspirait très réellement de la révélation juive et de la révélation chrétienne. Voir ci-dessous art. Mahomet col. 1574.

Mais si l’histoire est incapable de prendre sur le fait un peuple passant, grâce à une évolution interne, lente et continue, d’un état magique ou animiste au polythéisme ou au monothéisme, ne peut-elle pas du moins établir que les peuples primitifs sont tous plongés dans la magie ou dans l’animisme ? D’où il faudra conclure que, puisque certains peuples sont aujourd’hui polythéistes ou même monothéistes, il doit y avoir entre ces différentes étapes une route praticable, bien que le tracé nous en échappe.

Quand même l’histoire établirait que les peuples dits primitifs sont vraiment des primitifs et non des dégénérés, et que, totalement adonnés à la magie, à la sorcellerie, ils n’ont nulle connaissance d’une divinité personnelle, quand même tout cela serait prouvé, aucune thèse essentielle de la théologie ne croulerait : ni celle de la possibilité de la révélation ; ni celle de la révélation originelle, laquelle aurait pu, dans la suite des temps, subir une éclipse totale, au moins chez un très grand nombre de peuples ; ni celle de la possibilité de la connaissance naturelle de Dieu. Cette thèse, qui peut paraître menacée, parle non du fait, mais de la possibilité ; or, la possibilité de connaître et le fait de ne pas connaître ne sont pas contradictoires. Il est vrai que, d’après l'Écriture et la tradition, la connaissance naturelle de Dieu est non seulement possible mais facile ; donc, elle doit se rencontrer souvent. Oui, à la condition que soient vérifiées les conditions normales dans lesquelles l’intelligence humaine arrivera à un développement déterminé ; or, parmi ces conditions, il peut y avoir un certain degré de civilisation, que n’auraient pas encore atteint les Primitifs.

Avant d’entrer dans un exposé et un examen rapide de la condition des Primitifs au point de vue religieux, telle que peut la déterminer l’histoire, il convient de préciser, une fois pour toutes, qui sont ces « Primitifs ». Il ne saurait être question du premier, ni des premiers hommes absolument. De ceux-ci, l’histoire ne sait rien ; par la foi, nous croyons que le premier homme avait reçu la révélation du Dieu véritable ; et cette révélation n’a pu s’effacer de son esprit, ni, du jour au lendemain.de l’esprit de ses descendants. En ethnologie, en histoire des religions, on parle des « Primitifs », dans un sens tout relatif : on donne ce nom aux peuples les plus anciens dont on puisse relever la trace, aux peuples les plus anciens que l’on puisse connaître un peu. De ces peuples, les uns ont

disparu, ne laissant de leur civilisation, de leur religion que des vestiges, souvent rares et énigmatiques ; les autres se sont perpétués jusqu'à nos jours, et leurs descendants actuels semblent en être restés au degré de développement intellectuel et religieux de leurs lointains ancêtres. Mais au delà, plus haut que ces lointains ancêtres, que rencontrons-nous, que rencontrerions-nous si nous rencontrions quelque chose ? La réponse à pareille question n’est pas du domaine de l’histoire ; et les vrais historiens le savent bien. « Scientifiquement, nous ne connaissons rien des origines naturelles de l’homme. » J. de Morgan, Lespremières civilisations, p. 44. « Je n’affirme pas, je ne nie pas l’existence d’une race absolument sans religion ; mais, si nous la trouvons, serons-nous certains qu’elle n’a jamais eu de religion dans les temps antérieurs ? » A. Lang, The origins of religions and other essays, Londres, 1908, p. 111.

A propos des « Primitifs » ainsi entendus, la question se pose nette : A consulter non des systèmes, des hypothèses, mais les faits, établis comme s'établissent les faits, par les méthodes positives, par l’observation et l’histoire, doit-on dire que ces peuples, plus ils sont primitifs, plus ils croient à la magie, aux esprits, moins ils croient à une divinité personnelle ?

Si la réponse était affirmative, le système évolutionniste se trouverait non pas prouvé, sans doute, mais singulièrement encouragé par l’histoire des religions. Pour compléter la preuve, il faudrait établir encore deux propositions : 1° Les Primitifs sont vraiment des primitifs et non des dégénérés ; 2° Les Primitifs représentent le stade primordial par lequel tout le monde, même les peuples de la civilisation la plus haute, a dû passer. Or, de ces deux propositions, la seconde au moins n’est pas prouvée, et ne le sera jamais.

2. Exposé de l’hypothèse évolutionniste.

Mais pour en revenir aux Primitifs, la réponse des savants est loin d'être uniformément affirmative ; elle est souvent négative, plus souvent hésitante ; et elle renonce de plus en plus à la belle assurance des premiers jours. C’est ce qui reste à exposer brièvement.

On se rappelle que, en 1871, E.-B. Tylor, dans son traité Primitive culture faisait sortir toutes les religions de l’animisme. Dans un stade initial, les peuples n’avaient pas connu, en dehors du monde visible, d’autres êtres que des esprits, c’est-à-dire des êtres soustraits aux lois qui régissent les corps, âmes des vivants, âmes des choses, esprits indépendants.

Quarante ans plus tard, Goblet d’Alviella corrigeait ce système en imaginant un stade primitif où religion et animisme étaient encore, non pas mélangés, mais indistincts, indifférenciés. Ce stade est appelé de divers noms, suivant les auteurs : fétichisme, naturisme, naturalisme, animatisme, panenthélisme, préanimisme. Rev. d’hist. des relig., t. lxi, p. 13 sq. ; cf. Rech. de science relig., t. ii, p. 64.

Avec des nuances diverses, le préanimisme est soutenu par R. R. Marett, The Threshold of Religion, Londres, 1909, cf. Rech. de science relig., t. ii, p. 73 ; par Lévy-Brûhl, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, 1910, cf. Recherches, p. 75, par d’autres encore. Il est impossible en traitant de la magie et du magisme, de laisser absolument de côté l’animisme et le préanimisme, car souvent, on l’a dit, ces systèmes voisinent entre eux, s’allient et se mélangent. Pour certains, l’animisme serait un stade moins primitif que le magisme non animiste ; il pourrait s’appeler un magisme animiste, c’est-à-dire un magisme où les forces mises en action sont conçues comme des esprits. Telle est bien l’idée de Goblet d’Alviella quand il proclame que l’animisme « peut être regardé comme la forme de religion la plus répandue dans le monde. Aujourd’hui encore, s’il fallait