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MAGIE, RAPPORTS AVEC LA RELIGION

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W. Schmldt, Semaine d’Ethnol. religieuse 1922, p. 31. Une étude historique détaillée de la querelle demanderait de longs développements ; elle serait hors de propos et hors de proportion. Pour le but de cet article, il suffira sur le problème général : la magie est-elle à l’origine des religions ? de répondre à une triple question :

1. question de necessario : Est-ce nécessaire ?

2. question de possibili : Est-ce possible ?

3. question de facto : Est-ce un fait établi ?

1° Est-il nécessaire de mettre la magie à l’origine des religions. — La nécessité d’une évolution fixe et constante relève non de l’histoire, mais de la philosophie : elle est fonction d’une certaine philosophie. L'évolutionnisme rigide, déterministe, idéaliste ou matérialiste suivant les cas, englobe logiquement la morale et la religion. Les idées religieuses, tout comme les autres, se développent peu à peu, se différencient, se perfectionnent, du simple au complexe, de l’implicite à l’explicite, des conceptions grossières aux conceptions plus raffinées. Du commencement à la fin, nous assistons à un processus psychologique et logique, à un développement mental, à une série de représentations subjectives, relatives, dont l’objet, s’il existe, reste complètement inconnu ou peu s’en faut : il disparaîtrait que l'évolution mentale continuerait à progresser suivant sa formule. Il ne manque pas de croyants, de catholiques même, qui admettent une certaine évolution dans le monde visible, mais l'évolutionnisme qui nous occupe ici est l'évolutionnisme agnostique ou même franchement athée. Ses tenants doivent bien expliquer les idées religieuses par autre chose que par un objet pour eux pratiquement irréel.

Quelques citations sont indispensables pour préciser la position évolutionniste. La loi de H. Spencer est fameuse : « Ce qu’il y a de commun aux intelligences dans toutes les phases de la civilisation doit appartenir à une couche plus profonde que ce qui est spécial au niveau supérieur, et si ces dernières manifestations peuvent s’expliquer comme une modification et une expansion des autres, il est à présumer que telle est bien leur origine. » Sociology, 1. 1, § 146 ; cf. Recherches de science relig., t. ii, p. 66 ; Revue d’histoire des religions, t. lxi, p. 10.

Ainsi formulé, ce principe ne semble pas diamétralement opposé à la vérité, nous le dirons bientôt ; mais il est faux à cause du déterminisme strict, du subjectivisme et du relativisme qu’y mettent Spencer et beaucoup d’auteurs avec lui. Expression de ce déterminisme, par exemple chez Goblet d’Alviella : « Si on soutient qu’ils (les Primitifs) professaient le monothéisme, il reste à expliquer comment ce monothéisme s’est formé, et l’on n’aura ainsi que reculé le problème. D’ailleurs, il y a connexité entre les branches de la culture humaine : pour toutes les autres, on admet que l'évolution s’est opérée dans une direction progressive. Pourquoi la religion ferait-elle exception ? » Rev. d’hist. des relig., t. lxi, p. 16. Expression de ce relativisme, par exemple chez F.-B. Jevons. Pour cet auteur tout s’explique par l'évolution de l’idée de Dieu : « Si le monothéisme supplante le polythéisme, c’est parce que, à l’expérience, on trouve en lui une interprétation plus fidèle de l’idée de Dieu, que le polythéiste lui-même a dans son âme. » The idea of God in early religions, Cambridge, 1910, p. 155 fin. L’auteur est peut-être un croyant, pour son propre compte ; mais ici il semble ne pas même envisager la question de la valeur objective de l’idée de Dieu, et il prétend tout expliquer par une loi de développement intérieur. Plus récemment, et plus clairement, un ingénieur français, A. Longuet, affirme et suppose comme indiscutables ces deux caractères, déterminisme et relativisme : « Il faut commencer, dit-il, par se représenter

quelles ont dû être les conceptions divines de l’humanité primitive, d’après ce que l’on peut savoir de la nature de ses facultés intellectuelles. » L’origine commune des religions, Alcan, 1921, p. 3. « Or, poursuit l’auteur, le caractère propre de la pensée est la discrimination : penser, c’est distinguer. Et comme la distinction la plus simple est celle de deux notions, il faut nécessairement que les premiers hommes aient eu deux divinités, et deux seulement. » P. 4-37.

Enfin, un auteur américain, E. W. Hopkins, dans un livre paru en 1918 et réédité en 1923, Origin and évolution of religion, Yale University Press, rattache sans hésiter, l'évolution religieuse à l'évolution universelle. « Toute religion est le produit d’une évolution humaine et a été conditionnée par le milieu social. Dès lors que l’homme s’est développé en partant d’un état plus bas que l'état sauvage lui-même, et a été un temps, sous le rapport intellectuel, un simple animal, il est raisonnable de ne pas lui attribuer dans cet état plus de conscience religieuse que n’en possède l’animal. » P. 1.

Tous ces auteurs et bien d’autres ne s’entendent pas sur la nature des premières étapes de l'évolution religieuse, magisme ou prémagisme, animisme ou préanimisme ; et pour arriver à cette dernière précision, ils font appel en général à l’expérience et non au seul raisonnement : il faudra y revenir en traitant la me question. Mais ces mêmes auteurs semblent d’accord sur deux points : l'évolution est nécessaire en religion comme partout ailleurs ; la religion fondée sur la croyance à un ou à des dieux personnels dont l’homme dépend, n’est pas, ne peut pas être primitive.

Or, ces affirmations peuvent être impressionnantes, convaincantes même pour qui admet la philosophie avec laquelle elles font corps. Ébranlée cette philosophie, elles perdent elles-mêmes toute solidité, et, sous leur forme absolue, toute vraisemblance.

Le P. Lagrange, dans ses Études sur les religions sémitiques, 2e édit., Paris, 1905, recherche l’origine du sentiment religieux : « L'école évolutionniste ne sera pas embarrassée, dit-il ; sa formule explique tout. Toute forme supérieure sort nécessairement d’une forme inférieure : le monothéisme est sorti du polythéisme, comme le polythéisme est sorti du polydémonisme. Malheureusement pour la formule, s’il est impossible de montrer comment l’idée d’un dieu a évolué de l’idée d’un esprit, il est encore plus impossible de retrouver dans l’histoire un seul cas de monothéisme issu du polythéisme. » P. 24. L’auteur sent qu’on va lui opposer le cas de la religion hébraïque ; et il voit dans ce cas précisément une exception merveilleuse, qui se tournera en argument apologétique. Le P. Lagrange et les auteurs catholiques en général ne sont pas les seuls à protester contre le principe de Spencer. Voici Lévy-Briihl, qui, dans Les fondions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, 1910, fait sur ce principe les plus expresses réserves : « Je doute qu’on puisse le démontrer en ce qui concerne la matière. En ce qui touche la pensée, ce que nous connaissons des faits tendrait plutôt à le contredire. » P. 11, 12. Et A. Loisy, dans sa Religion d’Israël, 2e édit., 1908, p. 64, reconnaît le caractère conjectural de toute la théorie : « Le concept d'évolution religieuse n’est, à le bien considérer qu’une hypothèse, une théorie propre à encadrer les données principales que fournit l'étude des religions. — Mais on doit se garder de prendre ce cadre abstrait pour la loi nécessaire et le programme infaillible de toute l’histoire religieuse, attendu que l’histoire ne montre pas une application constante de cette prétendue loi. »

Les vrais savants, dans l’ensemble, deviennent de plus en plus modestes dans leurs affirmations. Même ceux qui parlent plus ou moins en déterministes ou