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MAGIE, MORALITÉ


confère ici une très haute probabilité à la thèse allirmativc. Lui confère-t-il la certitude ? Au lieu d’une multitude de faits dont aucun peut-être n’est mis hors de conteste et pour lesquels la critique des sources est à peu près impossible, on préférerait en avoir seulement une demi-douzaine contrôlés par une commission de savants, comme en 1922 et 1923 étaient contrôlés en Sorbonne, pour leur plus grand malheur, des phénomènes de spiritisme obtenus par Éva Carrère et Jean Guzik. L’auteur de l’article Démon dans le Dictionn. apologétique, F. Nau, se prononce de façon encore plus péremptoire que l’Ami du clergé. « Il est certain a priori, dit-il, qu’il peut y avoir des pactes et des commerces entre les hommes et les démons. » T. i, col. 926. Malheureusement, cette certitude n’est pas justifiée autrement.

On peut ajouter ici deux remarques de détail. Si les pactes avec le démon sont efficaces, ce ne peut pas être sans une permission spéciale de Dieu. Or, il est raisonnable de croire que depuis l’incarnation et en pays chrétiens, Dieu limite bien plus strictement la puissance du démon. On ajoute parfois que le démon de son côté trouve sans doute plus habile, dans nos ' régions, de dissimuler son action, de peur de fournir un argument contre le matérialisme : cela n’est au moins pas impossible. La conséquence est que tout en se montrant assez sceptique devant une foule de récits, on peut admettre, au moins avec vraisemblance, des manifestations beaucoup plus fréquentes du démon, des pactes entre l’homme et le démon souvent suivis de prodiges sensibles, dans l’antiquité païenne et aujourd’hui encore dans les pays de missions. Comme écrivait Bergier au xviiie siècle, dans son Dictionn. de Théol. dogm., art. Démon : « Depuis que Jésus-Christ a détruit par sa mort l’empire du démon, il ne convient plus d’exagérer le pouvoir de cet esprit impur, surtout à l'égard d’un chrétien, consacré à Dieu par le baptême. » D’ailleurs, des missionnaires très sérieux auxquels il a été donné d'étudier de près des prodiges de sorcellerie parmi les idolâtres, sont beaucoup moins afïirmatifs qu’on ne le dit souvent. A la Semaine d’ethnologie religieuse de 1913, le P. Trilles, C. S. E., présentait un rapport sur La sorcellerie chez les non-civilisés. Après avoir décrit en détail l’initiation des sorciers, particulièrement au Congo, il examine rapidement la question de l’intervention du diable dans les scènes de sorcellerie. Païens et chrétiens sont persuadés de l’action du diable, dit-Il. Pour lui, il est extrêmement réservé. Faire jouer au démon le rôle principal, explication trop facile. « Mieux vaudrait peut-être y voir beaucoup d’habileté de la part des chefs sorciers, une part de supercherie, et, si l’on veut, le tour de main ; ajoutons-y l’hypnotisme, la suggestion mentale, la divination de pensée qui y jouent bien leur rôle, mêlons-y certaines forces naturelles que nous ne connaissons pas encore, des choses incompréhensibles et actuellement inexplicables, peut-être un peu de démonologie, et… l’on a des chances d'être dans la vrai. » Semaine d’Ethnol. religieuse, 1913, p. 187, al. 5.

Conclusion. — Croyance à la magie, très répandue dans le peuple et partagée, surtout à certaines époques, par des gens instruits, des prêtres, des théologiens. Tentative, de la part de certains hommes, d’exploiter cette croyance, de s’arroger une puissance préternaturelle, hors de doute aussi. Hors de doute encore, dans bien des cas, le désir de pactiser, l’essai de pacte avec le démon. Quant à l’efficacité des pratiques magiques pour faire réellement intervenir le démon, elle paraît certainement possible ; on peut la dire probable, hautement probable dans nombre de cas ; mais ni la foi, ni l’expérience ne nous imposent invinciblement une conclusion plusferme.

Avant de passer à la question de moralité, il semble utile de prévoir une objection. Est-il sage et logique de se montrer encore hésitant devant la multitude des témoignages ? Si pareille exigence est légitime, elle doit être constante : à ce compte-là n’en arrivera-t-on pas nécessairement à rejeter tous les miracles ? La réponse n’est pas très difficile : il n’existe pas de parité entre l’un et l’autre cas. Le plus souvent, les faits de magie sont attestés par les aveux des inculpés, aveux arrachés par la torture, ou par le témoignage d’accusateurs dont la compétence ou la probité est sujette à caution. De leur côté, les phénomènes sont ordinairement pour la vue ou pour l’ouïe, sens facilement sujets à illusion, à suggestion, à hallucination. De plus, ils sont passagers ; si parfois ils se prolongent en effets durables, ces effets sont ordinairement des sensations, des impressions de fatigue, des douleurs, qui peuvent s’expliquer par des troubles fonctionnels. Des miracles semblables aux diableries, même telles qu’elles sont rapportées, ne retiendraient pas, le plus souvent, le bureau des constatations de Lourdes.


III. Moralité de la magie. —

Quand il s’agit de se prononcer sur la valeur morale de la magie, l’unanimité redevient complète entre théologiens catholiques.

C’est que, pour faire le procès de la magie, il n’est pas indispensable de mettre hors de doute l’efficacité des pratiques, et nous avons rapporté plusieurs condamnations ecclésiastiques portant sur la croyance des foules, à cause de sa vanité même, ou encore sur la prétention, convaincue ou non, de certains hommes à mobiliser la puissance du démon. Dans semblables croyances, dans semblables prétentions, il y a superstition condamnable : telle est la doctrine commune non seulement des théologiens, mais encore des âmes droites.

1° Condamnation de la magie dans les diverses religions. Une sorte d’instinct dit que la magie, croyance et pratique, a quelque chose de malsain, et dans plusieurs religions païennes, la magie est condamnée. Ainsi, les deux premiers articles du code de Hammourabî visent les magiciens et les sorciers : « 1. Si quelqu’un a ensorcelé un homme en jetant sur lui l’anathème et sans l’avoir prouvé coupable, il est digne de mort. 2. Si quelqu’un a jeté un maliflee sur un homme, sans l’avoir prouvé coupable, le maléficié se rendra au fleuve et s’y plongera. Si le fleuve le garde, sa maison passe à celui qui a jeté le maléfice ; si le fleuve l’innocente et le laisse sain et sauf, son ennemi est digne de mort, et c’est celui qui a subi l'épreuve de l’eau, qui s’empare de la maison de l’autre. » Peut-être d’ailleurs, cette magie est-elle défendue, non pour son caractère magique, mais pour son caractère nuisible.

Ches les bouddhistes, le but de la vie supérieure et ascétique étant le nirvana, toute activité, y compris les pratiques magiques, doit être considérée comme inutile, nuisible même. De fait, le recours à la magie est strictement interdit aux bouddhistes ; toute pratique magique, même dans un but bienfaisant, est tenue pour pernicieuse. Telle est du moins la théorie, car, en pratique, il existe chez les bouddhistes, nous l’avons remarqué, une magie assez développée, introduite ou maintenue par l’influence hindoue. Hastings, art. Magic, p. 255 b, 257.

Chez les Romains, la magie est strictement interdite par les lois ; elle peut être punie de la mort même. Hastings, p. 270 6-271, cꝟ. 275 b. — Chez les musulmans, certaines pratiques sont défendues par le Prophète, dans certains cas sous peine de mort ; d’autres pratiques, au contraire, sont permises ou encouragées, sans que l’on sache bien pourquoi. Hastings, p. 253. Peut-être la raison de la différence de traitement estelle à chercher non dans la nature de la pratique