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MAGIE, RÉALITÉ


Et cet heureux résultai, au gré de l’auteur de l’article, est dû « au progrès de l’instruction publique ».

Mais il est impossible de résoudre la question présente par voie d’autorité : à un témoin qui nie ou qui doute, on pourrait opposer un ou plusieurs témoins fermement convaincus ; et parmi ceux-ci un certain nombre s’appuient sur la révélation. La question de l’efficacité du rite magique se pose donc. La révélation ou l’expérience apportent-elles une réponse ferme ?

1. l.n révélation. — Il ne semble pas que la révélation tranche le cas de façon péremptoire, en affirmant « les faits de vraie magie, c’est-à-dire des interventions sensibles du démon efficacement et volontairement provoquées par l’homme.

J. Didiot, dans sa Morale surnaturelle spéciale ; Vertu de religion, Paris, 1899, parle assez légèrement des sorciers : « Que les sorciers, autrefois si redoutés, quoique assez peu redoutables peut-être, aient disparu de la société actuelle, nous en sommes véritablement bien aises, » p. 490, n. 618. Cependant un peu plus haut, p. 487, n. G13 fin, après avoir signalé les exagérations et les supercheries fréquentes en la matière, il avance que la révélation surnaturelle garantit « la réalité de bon nombre de faits où la méchanceté diabolique s’ajoute à la malice et à la sottise humaines, pour produire d'étranges phénomènes, impossibles à nier. » A quelle vérité, à quel fait révélé J. Didiot fait-il allusion ? Il ne le dit pas.

Un catholique ne peut évidemment pas nier l’existence du démon, ni son intervention puissante et malfaisante dans le monde. Mais il y a intervention et intervention, intervention spontanée de la part du démon et intervention provoquée par l’homme, par exemple au moyen d’un pacte.

La puissance d’intervention spontanée du démon et son intervention de fait est certaine. Voir ici t. iv, art. Démon, Démoniaques surtout, col. 331, al. 3 : le démon dans l'évangile, et col. 405-407 : action du démon sur les hommes, d’après l’enseignement commun des docteurs. Le démon peut certainement intervenir d’une manière insensible, c’est-à-dire qui ne tombe pas sous l’expérience de l’homme, en agissant sur le composé humain, corps, imagination, sensibilité, pour provoquer ou renforcer certains actes, certaines représentations, certains appétits, sources d’illusions ou de tentations. Là souvent se borne son action. Il est certain pourtant qu’il intervient parfois d’une manière sensible, on veut dire qui tombe sous l’expérience, par exemple, dans les cas de possession. En effet, il est insoutenable que les possédés guéris par Notre-Seigneur dans l'Évangile, fussent de simples névrosés ou hystériques : Jésus, en parlant à l’esprit qu’il chassait, en lui commandant, aurait autorisé, favorisé une croyance superstitieuse extrêmement nuisible. Il aurait joué un rôle indigne de Lui. « Tais-toi, et sors de cet homme. » Luc, iv, 35 « Comment t’appelles-tu ? » demande Jésus au possédé de Gerasa. — « Je m’appelle Légion, » répond Satan ; et Jésus en chassant cette légion du corps de l’homme lui permet d’entrer dans les porcs et de les précipiter dans le lac. Luc, viii, 30-34 ; Matth., viii, 28-33. Voir art. Démoniaques, col. 411.

Tout cela est certain ; mais tout cela ne prouve pas la réalité de la magie, parce que rien de tout cela n’est de la magie. La question précise est celle-ci : « Sommesnous, comme catholiques, obligés de croire à l’existence de la magie noire, d’admettre que des hommes puissent par certaines pratiques, s’assujétir le démon, pour ainsi parler, le contraindre à produire des phénomènes préternaturels, ou du moins obtenir par un pacte qu’il mette sa puissance au service de l’homme pour opérer des prodiges surhumains ? »

On peut songer à trois moyens de preuve : Écriture,

tradition théologique, raisonnement théologique. Or, aucun de ces trois moyens n’aboutit à une conclusion absolument ferme.

Dans l'Écriture sainte, il y a surtout deux passages OÙ il semble être question de vraie magie. Le premier est dans l’Exode, c. vu et suiv., où les magiciens du pharaon rivalisent avec Moïse et Aaron qui, par le secours évident dc^ Dieu, provoquent les plaies d’Egypte. Les insuccès partiels des magiciens confirmeraient l’efficacité des incantations couronnées de suc ces, en montrant que les réussites ne sont pas dues à la supercherie. Pareil raisonnement est loin d'être invincible ; par ailleurs, bien que le recours au démon soit l’explication la plus simple, la plus vraisemblable peut-être, cependant on ne peut pas dire que le Saint-Esprit affirme explicitement l’action du démon, et le récit n’est pas assez circonstancié pour que l’on soit forcé d’exclure toute explication naturelle : illusion, prestidigitation, prétentions non contrôlées, au moins non contrôlées par des témoins impartiaux. Les exégètes, même croyants, ont recouru à diverses explications : preuve assez forte qu’aucune ne s’impose.

Pareil défaut de concorde se retrouve dans l’interprétation du second passage. La pythonisse d’Endor évoque l'âme de Samuel ; celui-ci prédit à Saùl sa' défaite et sa mort. I Reg., xxviii, 7-25. Mais cet épisode offre plus de difficultés que de certitudes. Le démon s’amuse-t-il à décevoir, en prenant les traits de Samuel ? nous avons alors un fait patent de magie. Seulement à côté de cette explication, il y en a au moins deux autres possibles. Peut-être est-ce l'âme de Samuel qui a répondu à l’appel : dans ce cas on ne peut pas dire que l'évocation soit la cause de l’apparition d’une âme juste ; ce qui est exact, c’est que, à l’occasion de l'évocation, Dieu permet l’intervention miraculeuse de Samuel. Autre explication : Saiil, s’il voit ou entend l’apparition, est peut-être le jouet d’une illusion ou d’une supercherie attrihuable à un diable beaucoup plus voisin de la nature humaine ; et, s’il ne voit ni n’entend rien, il reste seulement la parole de la pythonisse ; mince autorité. Il reste aussi en tout cas la prédiction vérifiée par l'événement de la défaite et de la mort : mais les faits ne sont vraiment pas assez complexes pour exclure l’explication naturelle : conjecture vraisemblable, réalisée de fait. D’ailleurs, il est bon de remarquer qu’en semblable matière, événement futur dépendant de l’activité libre de l’homme, le démon en est, comme nous, réduit aux conjectures. Sans doute, il table sur des antécédents plus nombreux et mieux connus ; il aboutit ainsi à des conjectures mieux fondées : différence de degré, non d’espèce.

2. Le sentiment des Pères.

Il faut reconnaître pour la réalité de la magie noire, même pour une réalité assez fréquente, l’existence d’une opinion traditionnelle extrêmement forte. Pourtant, il ne faut rien exagérer, et la masse des références ne doit pas nous accabler. A l’art. Démon, § 2, Démon d’après les Pères, E. Mangenot s’est livré à une étude assez complète, col. 339-384 ; or, la plupart des textes parlent de la nature, de la chute, de la méchanceté, de la puissance des démons pour le mal, mal de la tentation, mal physique, possessions, obsessions, calamités. Parfois aussi il est question de magie ; mais souvent les Pères réprouvent la croyance à la magie, les pratiques magiques ou encore la magie en bloc. Les seuls textes vraiment certains en faveur de l’efficacité de la magie sont ceux où il s’agit explicitement de cette efficacité : et ces textes existent, mais moins nombreux qu’on ne dit parfois ; on peut même avancer que, parmi les textes qui parlent de la puissance du démon, ils tiennent une place relativement minime.

Saint Justin, dans son Dialogue contre Tryphon,