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MARIAGE, OPPOSITIONS SCIENTI1 loi ES A LA DOCTRINE

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délicatesse de sentiments que Buppose le mariage. Cette notion générale, les évolutionnistes la croienl Justifiée pur l'étude des peuplades non civilisées. SI l’on groupe, un peu arbitrairement peut 6tn

leurs explications, voici leur tableau de l'évolution humaine : à l’origine, promiscuité sans règles, l’incertitude de la paternité chez certains peuples anciens et aujourd’hui encore en I lawai (Morgan) en serait une preuve La première règle qui apparaisse serait l’interdiction du mariage entre parents au premier degré. Puis la prohibition s'étend, mais entre les hommes d’un groupe et le^ femmes d’un autre groupe, la liberté des rapports sexuels est admise (noces par groupe). Famille matrimoniale (liachofen), famille patriarcale et polygamique, famille monogamique, tels sont les derniers stades. Les transformations continuent de s’accomplir sous nos yeux.

Les conclusions de.Morgan avaient d’abord été acceptées par la plupart des sociologues. En 1888, elles étaient très vivement attaquées par Starcke, Die primitive Familie in ihrer Entstehung und Eniwickelung (trad. française en 18'.)1). Les frères Sarasin publièrent les résultats d’observations laites chez les Weddas de Ceylan, dont la civilisation est très primitive et qui connaissent cependant une organisation matrimoniale régulière et même une véritable monogamie. P. et F. Sarasin, Die Weddas von Ceylan und die sieumgebende Vôlkerschafien. Westermarck reprit les objections de Starcke (et aussi celles que, dès 18(55, avait formulées Mac-Lennan) qu’il appuya de nombreux documents ethnographiques. The hislory of human marriage, Londres, 1891.(trad. française en 1895). A quoi Mucke répondit par une nouvelle interprétation des faits observés par Morgan, cf. Horde und Familie in ihrer urgeschichllichen Entwiekelung, Stuttgard, 1895 ; J. Kolher, Zur Urgeschichte der Ehe, Totemismus, Gruppenehe, Mutlerrechl, a réhabilité les conclusions de Morgan.

Peu de mois après cet important ouvrage, enl898, paraissait le premier volume de l’Année sociologique. Chacun des volumes de cette publication contient une sorte de chronique consacrée aux études récentes sur le mariage dans les sociétés primitives, et dont les éléments sont répartis entre la troisième section : Sociologie et morale juridique (sous la rubrique : l’organisation domestique et matrimoniale) et la quatrième section : Sociologie criminelle et statistique morale (n. Nuptialité, divorces). C’est là, et dans quelques articles, qu’il faut chercher la pensée de Durkheim sur le mariage, intéressante pour sa valeur propre, et à cause de l’influence qu’elle a exercée. Nous la connaîtrons mieux quand auront été publiés par les soins de M. Mauss les cours de Bordeaux et de Paris. On peut lire la conclusion de l’un d’entre eux dans la Revue philosophique, janv.-fév. 1921, p. 1-14, et ils ont été utilisés par G. Davy, Vues sociologiques sur la famille et la parenté, d’après Durkheim, même Revue, juillet-août, 1925, p. 79-117. Il ne peut être question, dans cet article, que de signaler celles des conclusions de Durkheim qui intéressent la théologie, de résumer très rapidement ses vues sur les origines et les propriétés du mariage. Elles s’opposent aux opinions récentes que nous venons de mentionner. L’un des résultats de la critique de Durkheim a été d’achever la ruine des hypothèses de Bachofen, Morgan, Giraud-Teulon sur la promiscuité primitive et le mariage collectif. Avec constance, Durkheim s’est appliqué à dissoudre cette vaine conjecture. Voir ses comptes rendus des ouvrages de Kohler, Grosse, Howitt, dans Année sociologique, 1898, t. i, p. 313, sq., p. 332 ; 1906, t. ix, p. 366 sq. Par d’autres conclusions encore, Durkheim fortifie les vues traditionnelles : son opposition au divorce par consentement

mutuel est révolue. Voir son article sur ce sujet dans la Revue Bleue, 5 mai 1906. El s’il admet la dissolubilité du lien conjugal, on peut le compter parmi les plus réservés des partisans du divorce, dont il défend le principe, mais non point la liberté absolue. La facilité avec laquelle le mariage se rompt lui paraît être une anomalie. Tout ce que nous savons de l’histoire de la famille et de la société conjugale, enseigne-t-il, nous porte à croire que celle-ci doit revêtir de plus en plus un caractère sacré. Nous associons de plus en plus dans notre pensée les deux époux, nous tendons à considérer leur lien comme indissoluble. (Notes d’un cour inédit, communiquées par notre collègue M. Halbwachs.) Si l’enfant ne peut rompre les liens de parenté qui l’attachent à ses parents, pourquoi les liens conjugaux demeureraient-ils livrés à l’arbitraire individuel ? Le mariage n’est pas un contrat pur et simple : c’est un phénomène qui a un intérêt social. Le groupe conjugal est la seule molécule sociale qui ait une durée assez longue : il est bon que la société fasse sentir à l’individu que ce groupe n’est pas une convention de deux personnes, par conséquent que les conditions du divorce soient limitées. » Ibid.

Mais ses vues fondamentales sur la famille et le mariage dans les sociétés primitives sont fort éloignées de l’Anthropologie orthodoxe. « On voit combien est erronée cette opinion qui fait du mariage la base de la famille, » écrit-il dans un compte rendu de l’Année sociologique, 1898, t. i p. 341. Le centre et le foyer de la vie familiale, à l’origine, c’est le totem et c’est par le totémisme que Durkheim expliquera l’exogamie et toute la notion primitive de la parenté. Voir notamment La prohibition de l’inceste et ses origines, loc. cit., p. 1-70. La « famille conjugale » est le terme d’une évolution « au cours de laquelle la famille se contracte, à mesure que le milieu social avec lequel chaque individu est en relation immédiate s'étend davantage ; et cette évolution partirait, comme première forme de la famille, d’un vaste groupement politico-domestique, le clan exogame amorphe, et aboutirait à la famille conjugale d’aujourd’hui, en passant par la famille-clan différenciée, utérine ou masculine, par la familie agnatique indivise par la famille patriarcale romaine et la famille paternelle germanique. » G. Davy, art. cit., p. 83, et Revue philosophique, 1921, p. 6, note 2. La famille ne serait donc point le groupement naturel des parents et des enfants, mais une institution sociale, produite par des causes sociales. Primitivement, elle ne se di-'.ingue pas du clarr ; le mariage n’est dans sa vie, qu’un « accident » et il ne constitue point la parenté. Encore le mariage ne commence-t-il qu’avec la prohibition de l’inceste. « Ce qui montre bien que la prohibition de l’inceste est l’origine du mariage, c’est qu’un premier germe de mariage apparaît dès que l’inceste est prohibé. » Et il ne s’agit que d’un germe : « Prohibition de l’inceste, organisation du groupe familial, voilà les deux conditions nécessaires du mariage. Elles ne sont pas encore suffisantes. En effet, il n’y a pas encore de formalités au mariage : et ces formalités ne sont point dans le mariage quelque chose de superficiel… Elles sont quelque chose d’intrinsèque, d’essentiel » (Notes d’un cours inédit). Et ce mariage primitif n’est généralement ni monogamique ni indissoluble.

A côté du groupe constitué par Durkheim et ses disciples, qui garde une place importante dans l’Université et qui est aussi l’objet de vives critiques (voir par exemple, l’ouvrage récent de Lacombe), d’autres doctrines sociologiques se sont formées, dont les conclusions heurtent parfois les explications catholiques de l’origine du mariage. Voir un tableau de ces doctrines dans F. Squillace, Critica délia sociologia, t. i, Le dottrine sociologiche, Rome, 1902, et La classifi-