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M A H IAGE, L’OPPOSITION DES — PHILOSOPHES


plus connus sont le janséniste Van Espen, Jus ecclesiasticum universum, Louvain, 1700, part. II, scet. i, tit. xiii, qui reconnaît au pouvoir civil le droit d'établir les empêchements dlrimants, et Oberhauser qui, dans plusieurs ouvrages, en 1703, 1770, 1771, 1777, défendit en cette matière le droit exclusif « les princes.

2. Les philosophes.

La critique des philosophes était plus libre et plus dangereuse encorequc celle des juristes, elle visait les caractères fondamentaux du mariage chrétien.

Les contempteurs de l’indissolubilité se plaçaient volontiers au xviii 8 siècle, sous le patronage de -Montaigne qui dans ses Essais, t. II, c. xv, écrit : « Nous avons pensé attacher plus ferme le nœud de nos mariages pour avoir osté tout moyen de les dissoudre ; mais d’autant s’est dépris et relâché le nœud de la volonté et de l’affection, que celuy de la contrainte s’est estroicy. Et, au rebours, ce qui tint les mariages à Rome si long temps en honneur et en seurté, fut la liberté de les rompre, qui voudroit. Ils aymoient mieux leurs femmes d’autant qu’il les pouvoient perdre… » Édit. Armaingaud, 1926, t. iv, p. 148 sq. Un passage non moins fameux de Charron peint l’intolérable misère d’un ménage mal assorti. De la sagesse, t. I, c. vi. Et Bodin, en sa République, t. I, c. iii, insinue le procès de l’indissolubilité. Dès la fin du xw siècle, nos livres de Pensées commencent donc à répandre le doute sur l’excellence du principe que les canons du concile de Trente avaient énergiquement maintenu en face de l’hérésie.

Ces morceaux isolés ne troublèrent point le sage xviie siècle. Au xviiie siècle, en revanche, presque toutes les philosophies sont liguées contre la doctrine catholique du mariage. Pour comprendre tout le sens de ce procès, il serait bon de caractériser les courants idéologiques qui précèdent et préparent la Révolution européenne : le rationalisme allemand, cf. von Brockdorff, Die deulsche Au/klàrungsphilosophie, Munich, 1926, les nouvelles écoles du droit naturel, cf. Arnold Gysin, Die Lehre vom Naturrecht bei Léonard Nelson und dus Naturrecht der Aufklarung, Berlin, 1924, et surtout l’Encyclopédie. Les conceptions du mariage au xviiie siècle pourraient faire le sujet d’une vaste enquête. Nous ne pouvons retenir ici qu’un tout petit nombre d'œuvres et d’idées essentielles.

La morale et la philosophie sociale de l'École du droit naturel, fondée par Grotius, ont été mises en système par Pufendorf, dans le De jure naturie, 1672 et dans le De ofjicio hominis et civis, 1673. Ces deux ouvrages ont été traduits en français par Jean Barbeyrac, sous les titres : Le droit de la nature et des gens (nous utilisons l'édition de Bâle, 1771) et Les devoirs de l’homme et du citoyen (nous utilisons l'édition d’Amsterdam, 1723). Le 1. VI du Droit de la nature s’ouvre par un long chapitre sur le mariage, t. ii, p. 183-232, qui est assez maigrement résumé dans Les devoirs de l’homme, t. II, c. ii, p. 293-302 et que l’on peut résumer ainsi : L’ordre de la société humaine demande manifestement que la propagation de l’espèce se fasse selon les lois du mariage ; il proscrit les actes contre nature, les conjonctions vagues et Iicentieuses, § 4 et 5. Il y a pour l’homme quelque obligation de vaquer à la propagation de son espèce, § 3, variable selon les lois positives, §6, et selon les cas ; le célibat n’est point blâmable « de ceux qui, aiant le don de continence, croient avec quelque fondement qu’en ne se mariant point ils rendront plus de service au genre humain ou à leur Patrie que s’ils vivaient dans l'État du Mariage : » mais il y a des cas où le mariage est obligatoire, § 7. L'État peut imposer le mariage à tous les citoyens en état de constituer une famille, mais non pas contraindre personne au célibat.

Les empêchements qu’il édicté ne doivent point faire injure à la liberté naturelle, § 8. Comment doivent se contracter les unions, quel est le fondement de l’autorité maritale, que la possession de la femme par le mari est la condition du mariage, tels sont les.sujets des § 9-14. La polygamie n’est poinl absolument contraire à la nature, mais le règlement le plus honnête, le plus avantageux et le plus propre à entretenir la paix dans les familles, ('est que chacun n’ait qu’une femme à la fois ». § 15-19. Jusqu’en cet endroit, Pufendorf semble confirmer souvent même répéter les scolastiques. On ne s’attend point à la persistance de l’accord sur le sujet de l’indissolubilité : l’adultère et la désertion malicieuse sont réputés justes causes de divorce, § 21, et aussi l’incompatibilité d’humeur, § 22 et 23 (où l’auteur discute le curieux Traité du divorce de Jean Milton). Quelques explications sur les empêchements, où Pufendorf traite de la pudeur naturelle assez longuement et sur les mariages de conscience terminent ! < chapitre.

La divergence avec la doctrine catholique apparaît, on le voit, sur le chapitre de l’indissolubilité, et si Pufendorf ne fait eu somme que soutenir la théorie protestante, le nouvel appui qu’il lui donne ajoutera beaucoup au crédit de cette théorie. Une histoire des fondements naturels de la doctrine théologique du mariage devrait tenir compte de la vive opposition que les philosophes modernes ont faite à cette doctrine au nom du droit de la nature. Barbeyrac renvoie avec raison au Traité du gouvernement civil de Locke, IIe partie, c. vii, § 10 sq., où les raisons pertinentes et très élevées que les scolastiques invoquaient pour justifier par le droit naturel l’indissolubilité sont repoussées. L'École du droit naturel elle-même devait en plus d’un endroit ébranler la morale traditionnelle. Thomasius n’a-t-il point quelque temps douté si la sodomie et la bestialité sont expressément exclues par le droit naturel ?

L'École du droit naturel étudie les besoins de l’homme plutôt que la Loi du Christ, mais elle n’exclut point Dieu de ses conseils. Plus détachés du christianisme, les philosophes français ont fait des conceptions traditionnelles une critique sans grand appareil, très dissolvante cependant, à cause de sa méthode et de ses procédés : ils observent d’un point de vue politique, comme un fait social, les religions et les croyances ; par des allégories, des exemples, ils détruisent dans l’esprit de leurs très nombreux lecteurs le respect des enseignements de l'Église. Avec les régaliens, plus audacieusement, ils dégagent le caractère humain, légal du mariage. « Le mariage, écrit Voltaire au Dictionnaire philosophique, au mot Mariage, est un contrat du droit des gens dont les catholiques romains ont fait un sacrement. Mais le sacrement et le contrat sont deux choses bien différentes : à l’un sont attachés les effets civils, à l’autre les grâces de l'Église. » Et ailleurs : « Le mariage peut donc subsister avec tous ses effets naturels et civils indépendamment de la cérémonie religieuse. » Dictionnaire philosophique, au mot* Droit canonique. Montesquieu au 1. XXIII de l’Esprit des Lois aura quelque peine à établir les frontières de la loi religieuse et de la loi civile. Dans le Prix de la justice et de l’humanité, Voltaire montrera moins de ménagements pour l'Église.

De la nature civile du mariage, les philosophes pouvaient déduire la légitimité du divorce ; mais ils s’arrêtent peu à cet argument de juriste. La raison ne suffit-elle point à montrer que l’amour qui cimente les mariages échappe à la’contrainte des lois, qu’obliger deux époux refroidis à demeurer ensemble, ou un mari déçu à vivre dans la continence, c’est contrarier la nature et blesser la justice'? L’un des plus célèbres plaidoyers pour le divorce est le Mémoire d’un Magis-