Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.2.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2253
2254
MARIAGE, VÉRITÉS ACQUISES

du mariage. Sur les empéchements et sur le celibat, lès thèses des protestants sont développées, à l’aide de raisons et d’autorités (c. 14 et v). Confessio catholica.I. II. part. II a. 19, Francfort, 1679, p. 1328-1369.

La pensée du protestantisme français sur le mariage, il faut la chercher dans les synodes tenus entre 1559 et 1659. Les actes synodaux ont été publiés à Londres en 1692, sous le titre Synodicon in Gallia reformata, puis en 1720 à la Have par J. Aymon. Tous les synodes des Églises réformées de France. On trouvera tous les renseignements désirables dans d’Huisseau, La discipline des Églises réformées de France, 1656 ; P.Catalon, Discipline ecclésiastique des Églises réformées de Francs, Orange. 1658. Cf. J. Faurey, Le protestantisme français et le mariage, dans Revue générale de droit et de jurisprudence. 1924, p. 265 ; 1925, p. 45, 99, 175.

En somme, les protestants maintiennent leurs positions sur tous les points qui nous occupent : sauf sur la polygamie, qui n’a été admise qu’épisodiquement dans leur doctrine et qui, au XVII siècle, fut encore combattue par Brunsmann, Monogamia victrix, Francfort. 1679, ouvrage dirigé contre Lyserus. Le mariage, répètent les réformés, ne communique pas la grâce, il n’est pas un sacrement au sens propre, l’Église ne le traite comme tel et ne le réglemente qu’en vue d’assurer sa puissance.

Sur chacun de ces points, les théologiens catholiques défendront la doctrine de Trente qu’ils incorporent à leurs traités. Que le mariage fût un vrai sacrement au même titre que les six autres sacrements, le concile l’avait déclaré et la lignée des opposants est éteinte. Il serait seulement assez curieux de noter les tendances de l’exégèse, l’importance relative que l’on assigna aux divers textes scripturaires et patristiques. Ponce, par exemple, est disposé à en négliger plusieurs et non des moindres. Op. cit., n. 5-14. Estius cherche à établir la vanité des arguments que l’on tire des épîtres paulines en faveur du sacrement. Dist. XXVI, § 7. De même Silvius, q. xlii, a. 1, combat la preuve scripturaire. Ces auteurs s’appuient exclusivement sur la tradition de l’Église. D’autres, en plus grand nombre, attachent de l’importance à l’Épitre aux Éphésiens, v, 23, que le catéchisme du concile de Trente. part. II, e. viii, 19, avait rappelée. Voir, par exemple, Tournély, De sacramento matrimonii, q. ii. a. 2, 2° conclusion. Bellarmin. dans sa première Controverse, a réuni les preuves que l’on peut tirer des Écritures, de la tradition et de la raison même en faveur du caractère sacramentel du mariage : on y trouvera la discussion du texte fondamental de saint Paul, des témoignages des Pères, notamment de saint Augustin, des quatre raisons essentielles d’où l’on peut déduire que le mariage est un sacrement : l’indissolubilité, dont on ne saurait rendre compte si le mariage des chrétiens n’est point, à la différence du mariage des non-baptisés, signe de l’union indissoluble du Christ et de l’Église ; la collation de la grâce, qui est nécessaire pour que les époux réalisent les fins du mariage, à savoir l’éducation des enfants et l’apaisement de la concupiscence ; les cérémonies, qui s’expliqueraient mal si le mariage était simplement un contrat ; l’accord des Églises grecque et latine, que rend éclatant la condamnation des erreurs protestantes relatives au mariage qu’a prononcée en 1576 le patriarche de Constantinople.

Le sacrement de mariage a été institué par Jésus-Christ : la doctrine qui en faisait un sacrement de la Loi naturelle est abolie. Les uns pensent que l’institution fut faite aux noces de Cana, les autres, par les paroles : Quod Deus conjunxit. Cf. Sanchez, I. II, disp. IV, p. 120. La doctrine de la grâce fut reçue par tous comme traditionnelle. On trouvera un exposé précis du développement du dogme, sur ce point, tel que le concevaient les théologiens du xvie siècle sous la plume de Pierre de Ledesma, op. cit. q. xliii, a 3 : avant le concile de Florence, pas de définition dogmatique, mais l’opinion de beaucoup la plus probable est que le mariage confère la grâce : après le concile de Florence, il devint impossible, sans commettre une erreur, de nier la collation de la grâce. Après le concile de Trente, c’est une vérité de foi que la grâce est conférée ex opere operato. P. de Ledesma montre la haute convenance de cette définition. Les effets de la grâce sont plus amplement expliqués par les théologiens modernes qu’ils ne l’avaient été par les scolastiques. Becanus en compte quatre : fidelilatem, dilectionem, sanctificationem, sobrietatem. Op cit., p. 644.

La transformation du mariage en contrat solennel ne souleva point parmi les théologiens de critiques durables. L’explication qu’en avaient adopté les Pères de’Trente devint, sans difficulté, traditionnelle ; voir, par exemple, P. de Ledesma, op. cit., q. XI, a. 5, et Bellarmin, De matrimonio, loc. cit. c. v. Elle fut justifiée dans de petites dissertations comme celle de Jacopo Nacchianti. Une seconde explication fut conservée : l’Église pouvait annuler les mariages clandestins non seulement par ce moyen indirect, mais directement, par l’annulation immédiate du contrat. Sanchez soutient que l’Eglise, de facto irritavit utroque modo matrimonia clandestina, I. III, disp. IV, p. 205 sq. Tout le troisième livre de Sanchez est consacré aux mille difficultés que soulève la clandestinité.

Le chapitre le plus attrayant de la doctrine du mariage, dans les temps modernes, ce n’est point dans la théologie dogmatique ou chez les exégètes qu’il le faut chercher, mais chez ces moralistes et directeurs d’âmes qui enseignent à leurs contemporains, dans une langue moins sèche que celle des scolastiques, la tradition chrétienne. Nul ne la présente avec plus de charme que saint François de Sales, dans son Introduction à la vie dévote (1609) et dans sa correspondance. En un temps où l’on tient pour le bon mariage de raison, combiné par d’ingénieux parents — telle est l’idée de Montaigne et de Rabelais — saint François de Sales, qui n’est d’ailleurs point hostile au mariage de raison, traduit ainsi la doctrine catholique de : consentements requis : « Pour l’entière résolution d’un mariage, trois actions doivent entrevenir quant à la demoiselle que l’on veut marier ; car, premièrement, on lui propose le parti ; secondement, elle agrée la proposition, ce en troisième lieu, elle consent. » Les parents se bornent donc à présenter un parti ; les époux arrêtent leur choix, après longue méditation. « le mariage… est un ordre où il faut faire la profession avant le noviciat. » (On reconnait ici la vieille formule de Guillaume Pérauld) « et s’il y avait un an d’épreuve, comme pour la profession dans les monastères, il y aurait peu de profès. » L’amour conjugal, traité avec tant de légèreté par la plupart des écrivains profanes et de réserve gênée par presque tous les auteurs spirituels, saint François de Sales en disserte autant qu’il le faut et sans reculer devant les précisions nécessaires. Il autorise et recommande, au rebours du puritanisme, les marques publiques d’affection, mais il proscrit les « muguetteries », l’intempérance de la chair, les susceptibilités mesquines. Dans toute la conversation des époux, il veut de la franchise et de la dignité, une ardeur mesurée que n’émoussera point l’habitude. F. Vincent, Saint François de Sales directeur d’âmes, Paris, 1923, p. 213-250, et aussi H. Bordeaux, Saint François de Sales et notre cœur de chair, Paris, 1923, notamment le I. II.

Comment nos auteurs spirituels ont jugé le mariage, depuis le temps de l’humanisme dévot jusqu’au temps du jansénisme et du quiétisme, il ne serait point inutile de le rechercher : est-il beaucoup de