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MARIAGE DANS L/ÉCRITURE. MARIAGE ET VIRGINITÉ


vrai mariage mystique, ne forment plus qu’un seul corps. « Ce mystère, ajoute-t-il, est grand ; mais moi je ilis : par rapport au Christ et à l’Eglise. » Le mystère, ce ne peut être le mariage de l’homme et de la femme : rien de mystérieux dans celle union. Ce qui esi mystérieux, c’est le lien mystique qui unit l'Église à son Époux divin ; c’est le plan par lequel Dieu veut sauver les hommes dans ce mariage invisible ; c’est aussi le symbolisme profond qui permet de voir, dans l’union de l’homme et de la femme, une image diminuée du mariage parfait de Jésus-Christ avec son Église.

El nous retrouvons ainsi, dans le sacramentum hoc magnum est, la même pierre d’attente que nous avons constatée plus haut, le symbolisme sacré du mariage chrétien ; mais rien de plus probant, rien qui dépasse le mot innuit employé par le concile de Trente.

Mariage et virginité.

Si haut que le christianisme ait placé le mariage, il fait entrevoir un état

supérieur auquel sont conviées certaines âmes. Le mariage, nécessaire à la propagation de la vie, but auquel est ordonné un instinct naturel puissant, sera le lot commun ; mais Jésus, tout en le déclarant saint et sanctifiant, montre aux âmes privilégiées un partage plus saint encore, réservé à ceux qui ont reçu de Dieu une vocation spéciale : c’est la virginité et le célibat.

La virginité est la plus belle fleur de la morale chrétienne ; elle en est la marque propre. Non pas que les civilisations étrangères au christianisme l’aient totalement ignorée ; mais nulle part elle ne fut, comme dans la religion du Christ, une institution permanente et florissante ; nulle part elle n’eut une pareille splendeur d'épanouissement. Ailleurs, elle ne nous apparaît que comme une exception, ordinairement temporaire, en tout cas assez rare.

En lui-même le paganisme, avec sa morale facile et ses dieux peu austères, ne pouvait être une terre où fleurissent les âmes chastes. « Le célibat (selon les opinions de l’antiquité) devait être à la fois une impiété grave et un malheur : une impiété, parce que le célibataire mettait en péril le bonheur des mânes de sa famille ; un malheur, parce qu’il ne devait recevoir lui-même aucun culte après sa mort et ne devait pas connaître ce qui réjouit les mânes. C'était à la fois pour lui et pour ses ancêtres une sorte de damnation. » Fustel de Coulanges, La cité antique, édit. de 1924, p. 50, 51.

Et pas davantage Jésus ne pouvait trouver dans l’histoire ou la religion juive un précédent qui lui inspirât cette magnifique création. Rien dans la Loi ne prévoit une institution d'âmes vierges. Bien plus, non seulement le célibat, mais la stérilité dans le mariage passaient pour un malheur et un déshonneur. Que l’on songe seulement à la loi du lévirat, Deut., xxv, 5-10, ou encore aux regrets de Sara, femme d’Abraham, Gen., xvi, 1 sq., de Rachel, femme de Jacob, Gen., xxx, 1 sq., d’Anne, mère de Samuel,

I Reg., i, 5 sq., etc.

1. L’enseignement de Jésus.

C’est toujours dans Matth., xix, que nous le trouvons, tant ce passage est riche de sens pour la doctrine sur le mariage. Quand les Apôtres, effrayés de la rigueur avec laquelle. Jésus vient de proclamer le mariage indissoluble, s'écrient : » Mieux vaut alors ne pas se marier, » Jésus reprend : « Tous ne comprennent pas cette parole, mais seulement ceux à qui cela a été donné. Car il y a des eunuques qui le sont de naissance, dès le sein de leur mère.

II y a aussi des eunuques qui le sont devenus par la main des hommes. Et il y en a qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre, comprenne. » t. 11, 12.

Celle troisième classe d’eunuques, « ceux qui se sont faits eunuques pour le royaume des cieux —, doit s’entendre au sens métaphorique : Jésus lui-même excitr ses auditeurs a s'élever au-dessus du sens littéral et grossier, lorsqu’il ajoute : < Que celui qui peut comprendre, comprenne. C’est d’ailleurs ainsi que toute l’antiquité chrétienne a entendu ce texte, même Origéne qui cependant, selon le récit d’Eusèbe, 11. 1. VI, viii, /'. G., t. xx, col. 535, l’avait pratiqué a la lettre, puisqu’il s'était mutilé pour ne pas laisser prise au soupçon d’inconduite. Non seulement Origène condamne comme un crime un tel attentat contre soi-même, Comm. sur saint Matthieu, tom. xv, n. 3, /'. ' » '., t. xiii, col. 1258 ; il interprète même au sens moral les deux premières espèces d’eunuques : les premiers sont ceux qui par nature ne sont pas portés aux plaisirs de la chair ; les deuxièmes sont ceux qui y renoncent par suite d’exhortations purement humaines ou de doctrines hérétiques condamnant le mariage ; les troisièmes, ceux qui font profession de virginité pour le royaume des cieux. Ces derniers seuls sont les vrais vertueux, d’après Origène. Ibid., n. 4, P. G., t. xiii, col. 1263, 1264. Personne d’ailleurs ne songe sérieusement à interpréter autrement qu’au sens moral le conseil donné par le Christ. C’est donc la continence dans la virginité qu’il envisage comme un idéal de perfection.

Mais il s’agit d’une continence voulue pour le royaume des cieux. Le célibat égoïste ou hypocrite pas plus que le célibat forcé ne sont un idéal moral. Celui que prône Jésus et que l'Église a réalisé comme institution, c’est le célibat librement choisi, dans un but religieux, personnel, apostolique ou charitable. Garder la virginité pour arriver plus facilement ou plus sûrement au royaume, la garder pour se consacrer plus entièrement et sans partage à l’extension du royaume ou aux œuvres de charité, tels sont les buts que Jésus propose, les seuls qui placent la virginité et le célibat au-dessus du mariage.

Ainsi entendue, . en eiîet, la virginité est présentée comme un idéal réservé aux âmes qui en ont reçu de Dieu le don et ont entendu l’appel spécial. Tous ne peuvent y prétendre, et le mariage reste le sort commun. Il faudra donc s'éprouver, consulter ses forces et ses attraits avant de s’engager dans cette voie privilégiée, mais pénible pour la nature. Imprudent et présomptueux serait quiconque prétendrait y entrer sans avoir été appelé de Dieu et sans compter sur les grâces de choix dont la vocation spéciale est la promesse : la déchéance serait d’autant plus lourde qu’on aurait voulu s'élever plus haut. Le conseil de prudence par lequel Jésus conclut, souligne davantage encore la beauté et la noblesse surhumaines de la vie chaste. Saint Jérôme en donne ce magnifique commentaire : Unusquisque considerel vires suas, utrum possit virginalia et pudicitiæ implere præcepta. Per se enim castitas Manda est et quemlibet ad se alliciens. Sed considerandse sunt vires ut qui potest capere capiat. Quasi hortantis vox Domini est et milites suos ad pudicitiæ præmium concitantis. Qui potest capere, capiat ; qui potest pugnare, pugnel, superet ac triumphet. In Matth., t. III, in h. 1., P. L., t. xxvi, col. 136.

Ces paroles doucement encourageantes, pour reprendre l’expression de saint Jérôme, ont été entendues. De l’idéal proposé, le divin.Maître a donné le premier l’exemple, lui qui, pour se consacrer tout entier à s ; i mission de docteur et de sauveur, a renoncé à tout ce qui aurait pu rétrécir son cœur ou encombrer sa vie. Aux apôtres qu’il a appelés à sa suite et dont il voulait faire les continuateurs de son œuvre, il a fait entendre la même vocation de renoncement et de détachement : eux aussi devaient se donner entièrement, sans qu’aucune affection familiale les gênât dans