Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 9.2.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2055
2056
MARIAGE DANS L’ÉCRITURE. LA LOI ÉVANGÉLIQUE

imprécision a donné lieu entre les rabbins, particulièrement entre les écoles d’Hillel et de Schammaï. Lesêtre, art. Divorce, Dictionn. de la Bible, t. 11, col. 1451. —
b. — Une formalité est requise, le billet de répudiation que le mari remettait à sa femme pour attester qu’elle était désormais libre de contracter un nouveau mariage. Suivant une formule conservée par le Talmud ce reproduite par Lesêtre, loc. cit., col. 1449, cette remise du billet de répudiation se faisait devant des témoins qui y apposaient leur signature. ——
c. — L’effet de la répudiation était de rompre le mariage et de permettre à la femme de se remarier. Il n’est évidemment pas fait mention d’un droit semblable pour le mari, puisque celui-ci avait en toute hypothèse le droit d’avoir plusieurs femmes. Mais le mariage ainsi rompu l’était définitivement et sans retour, dès que la femme avait trouvé un second mari ; si celui-ci vient à mourir, « le premier mari, qui l’a renvoyée ne pourra pas la reprendre pour femme après qu’elle a été souillée, car c’est une abomination devant Jahvé. » Deut., xxiv, 1-4.

Ainsi semblait endiguée la tolérance du divorce. Mais on n’arrête pas aisément les passions humaines quand on leur a donné une issue. Les extravagances exégétiques de certains rabbins qui admettaient le divorce pour les motifs les plus futiles, un plat mal préparé, un rôti brûlé, etc., ou même simplement si le mari avait trouvé une femme plus belle que la sienne, montrent que le mariage juif tendait à perdre sa dignité et à se ravaler au niveau des mariages païens. Il était temps que Jésus vint restaurer dans sa pureté l’idéal voulu par Dieu à l’origine.

2. La permanence de l’idéal dans la famille juive.

Quelle que fût la corruption, et si large qu’on eût dû faire la tolérance, la plupart des familles juives semblent cependant avoir gardé du mariage une très haute idée.

Il en est, à cet égard, du mariage juif comme du mariage païen : les mœurs, dans les milieux modestes, valaient mieux que ne le feraient croire la législation et surtout les commentaires des rabbins, de même qu’on jugerait mal de la société moyenne des provinces romaines d’après divers articles de lois à partir d’une certaine époque, ou d’après les peintures des satiriques. La polygamie juive paraît avoir été restreinte aux grandes familles, sauf des cas exceptionnels ; et la possibilité de divorcer avait son remède naturel dans l’amour réciproque des époux et dans leur commun amour pour les enfants. Aussi, malgré la sobriété des détails que contient la Bible sur les familles de condition moyenne, en savons-nous assez pour nous assurer que l’idéal primitif n’avait pas disparu. Quelques exemples suffront.

D’après le livre de Ruth, Élimélech n’a qu’une femme, Noémi, et ses deux fils sont de même monogames. Et quand Élimélech et ses fils sont morts, la conduite des deux brus, surtout de Ruth, envers leur belle-mère, est un signe évident du lien d’amour très profond qui les unissait à leurs maris.

Urie, l’officier de David, n’avait pour femme que Bethsabée. Les reproches que Nathan fait au roi sur sa conduite criminelle en sont la preuve, en même temps qu’ils montrent combien le ménage était tendrement uni. On connaît la touchante allégorie dont se sert le prophète : Urie, c’est le pauvre qui « n’avait rien, si ce n’est une petite brebis qu’il avait achetée ; il l’élevait et elle grandissait chez lui avec ses enfants, mangeant de son pain, buvant de sa coupe, dormant sur son sein, et elle était pour lui comme une fille ». II Reg., vii, 3. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue qu’Urie était Hittite et non Israélite.

Mais c’est surtout au livre de Tobie, ce ravissant tableau de vie familiale, que l’on trouve l’idéal du mariage chez les juifs pieux à une époque d’ailleurs assez rapprochée de nous. Cet idéal n’a pas été surpassé, au point qu’il mérite de rester comme un modèle, même pour les époux chrétiens. Tout y respire la fraîcheur et la pureté ; et dans cette idyllique peinture, le mariage est considéré comme un sacerdoce, comme l’accomplissement d’un devoir sacré, sans aucun mélange de passion sensuelle. Voici d’abord la prière de la jeune Sara, avant de connaître encore celui que Dieu lui destine pour époux : « Vous savez, Seigneur, que je n’ai jamais désiré un mari et que j’ai conservé mon âme pure de toute concupiscence. C’est dans votre crainte et non pour suivre ma passion que j’ai consenti à prendre un mari. » iii, 16-18. Tel est le thème que chacun des acteurs va reprendre ce qui reviendra comme un leit-motiv. L’ange Raphaël donne à son jeune compagnon des conscris au sujet de son futur mariage : il lui recommande de passer les trois premières nuits dans la continence et la prière, afin de ne pas ressembler à ceux « qui entrent dans le mariage en bannissant Dieu de leur cœur et de leur pensée pour se livrer à leur passion, comme le cheval et le mulet qui n’ont pas de raison », vi, 17 ; puis il ajoute : « La troisième nuit passée, tu prendras la jeune fille dans la crainte du Seigneur, guidé bien plus par le désir d’avoir des enfants que par la passion, afin que tu obtiennes dans tes enfants la bénédiction promise à la race d’Abraham. » vi, 22. Tobie, en effet, ayant reçu Sara pour femme, lui propose de suivre le conseil de l’ange et il lui en donne ce motif qui place le mariage à une hauteur sublime : « Car nous sommes les enfants des saints et nous ne pouvons nous unir comme les païens qui ne connaissent pas Dieu. » viii, 5. Les deux époux prient alors ensemble, et leur prière maintient leurs sentiments à la même élévation : « Vous savez, Seigneur, dit Tobie, que ce n’est point pour satisfaire ma passion que je prends ma sœur pour épouse, mais dans le seul désir d’avoir des enfants qui bénissent votre nom dans tous les siècles. » viii, 9. — De tels accents sont absolument uniques dans toute l’antiquité et montrent quel abîme existait entre le mariage juif et le mariage païen. Quoi qu’il en soit du caractère même du livre, poésie ou vérité, le fait seul que l’auteur inspiré ait pu exprimer des sentiments aussi nobles prouve que les lecteurs étaient capables de les comprendre : il laisse supposer que certaines âmes particulièrement élevées pouvaient s’en inspirer. Le mariage se retrouve à la hauteur même où les desseins de Dieu l’avaient placé, institution religieuse et sainte, destinée à augmenter le nombre des enfants de Dieu sur terre et des élus dans le ciel.

II. Nouveau Testament

L’œuvre de Jésus fut de restaurer dans toute son intégrité l’idéal primitif, en insistant sur l’unité et l’indissolubilité du mariage. Le Christ fit davantage : il sanctifia l’union conjugale en faisant du mariage un des sacrements de la Nouvelle Loi. C’est ce que nous verrons en étudiant l’enseignement de Jésus lui-même et celui de saint Paul qui le complète.

Jésus n’eut pas souvent à exprimer sa pensée au sujet du mariage, et les devoirs des époux ou les caractères de leur union tiennent une place très restreinte dans sa prédication. Il n’y a pas lieu de s’en étonner. Jésus vivait dans une société que la Loi avait garantie des excès d’immoralité qui sévissaient dans le paganisme ; dans son auditoire de pauvres gens, les mœurs familiales étaient en général demeurées pures. Il suffisait donc à son but de faire remarquer les imperfections de la Loi pour les corriger, et de placer ainsi le mariage chrétien à une hauteur de sainteté que le mariage juif ne connaissait pas. Il le fait surtout à deux reprises : d’abord dans le Discours sur la mon-