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MARIAGE DANS L’ÉCRITURE. LA LOI MOSAIQUE

habitudes des princes chaldéens, puisqu’il eut pour autres épouses Cétura et d’autres concubines ou femmes de second rang : mais la Bible a soin de faire remarquer que les fils qu’il en eut ne devaient pas plus qu’Ismaël partager l’héritage : « Quant aux fils de ses concubines, il leur donna des présents et il les envoya de son vivant loin de son fils Isaac, à l’orient, au pays d’Orient. » Gen., xxv, 6.

Ce n’est donc pas encore la polygamie absolue où les femmes sont officiellement sur le même rang et où tous les enfants ont des droits égaux, quelle que soit leur mère. Mais cet état intermédiaire va cesser par degrés.

D’Isaac, nous ne savons que son mariage avec Rébecca : peut-être eut-il pourtant d’autres femmes de second rang puisque la Genèse, xxvii, 29 et 37, suppose à Jacob et à Esaü des frères assez nombreux. — Jacob eut deux femmes, Léa qui lui fut donnée par fraude, puis Rachel : et quand toutes deux ont perdu l’espoir d’avoir de nouveaux enfants, elles veulent en avoir par leurs servantes, Bala et Zelpha. La requète de Rachel est significative : « Voici ma servante Bala ; va vers elle ; qu’elle enfante sur mes genoux et par ville, j’aurai, moi aussi, une famille. » Gen., xxx, 3. Et de fait les douze fils de Jacob sont égaux, sans distinction de mère, dans les droits éventuels à la possession de la Terre promise.

A partir de ce moment, à suivre la narration biblique, tout principe monogamique semble disparaître : il peut y avoir encore des épouses de second rang, mais les femmes de premier rang sont elles-mêmes nombreuses, chez ceux du moins à qui leur situation de fortune permet ce luxe. Et les droits des enfants ne dépendent pas de la mère de laquelle ils sont nés : la Loi défend à un homme qui à plusieurs femmes de conférer les privilèges de l’aînesse au fils de l’épouse préférée : il doit respecter les droits du véritable aîné. Deut., xxi, 15-17.

Il serait sans intérêt de parcourir tous les exemples de polygamie consignés dans la Bible. Certains chiffres toutefois ont leur éloquence, et ce n’est pas sans raison qu’on a assimilé les chefs hébreux, juges ou rois, à ces princes orientaux qui mettent leur faste à avoir un nombre considérable de femmes. Gédéon par exemple a 70 fils, Jud., viii, 30 ; un autre juge, Abesan compte 30 fils et autant de filles, ibid., xii, 8 ; Abdon, 40 fils, ibid., x, 14. De David, nous connaissons 9 femmes, sans compter les concubines et « des femmes de Jérusalem ». II Reg., ii, 2 ; iii, 2-5, 13 sq., v, 13-16 ; xi, 27 ; III Reg., i. 1. sq. Salomon, le plus fastueux des rois, a 700 femmes et 300 concubines, III Reg., xi, 1-8 ; Roboam, 18 femmes et 60 concubines, II Par., xi, 18-23 ; Joram, de Juda, a 42 fils sans compter Ochozias qui lui succède, IV Reg., x. 12-14 ; Jéhu le fait périr ainsi que les 70 fils du roi d’Israël, Achab.

Il semble que la captivité mit fin à ces extravagances de polygamie, peut-être simplement parce qu’elle ruina les grandes fortunes d’Israël. De fait on n’en trouve plus un seul cas dans la Bible. Aucune loi juive n’ordonna cependant l’unité du mariage et certains faits extra-bibliques montrent que la polygamie n’avait pas disparu complètement. Voir H. Lesêtre, art. Polygamie, dans le Dictionnaire de la Bible, t. v, col. 511-512. Mais les cas étaient assez rares pour que ni Jésus, ni les Apôtres n’aient cru à propos de la réprouver explicitement.

b) Le divorce. — Avec la polygamie, le divorce fut la plaie de toutes les civilisations antiques. Nous disons divorce : il serait plus juste de dire répudiation : car dans l’antiquité, la répudiation est le seul mode de rupture reconnu et pratiqué ; le mari seul a le droit de répudier sa femme ; il faut arriver à une conception plus égalitaire des époux pour que le droit de rompre le mariage soit accordé à la femme.

Quand la Bible consigne des cas de répudiation, ce qui est rare, ils apparaissent dès le début, comme un usage accepté, pratiqué, réglementé, dont personne ne songe à discuter la valeur. Ce que la Bible contient surtout à ce sujet, c’est une législation qui prévoit les cas, règle les formalités, essaie d’empêcher les abus.

Le seul cas certain de répudiation que contienne l’Ancien Testament est celui d’Abraham chassant Agar et son fils sur l’injonction de Sara. Gen., xxi, 9-14. C’était une application de la législation chaldéenne qui autorisait la répudiation moyennant certaines conditions. Voir Code d’Hammurabi, § 137-141, éd. Scheil, Paris, 1904. p. 25-27. —— H. Lesêtre cite également le cas de David, art. Divorce, dans Dictionn. de la Bible, t. ii. col. 1450. David avait pris pour femme Michol, fille de Saül. I Reg., xviii, 27. Celui-ci, dans sa haine pour celui que Dieu avait choisi comme son remplaçant, enlève Michol, « femme de David », à son époux, pour la donner à Phalti ou Phaitiel, I Reg., xxv, 41 ; c’est seulement lorsque Saül est mort que David reprend sa femme, et la Bible nous montre Phaltiel suivant, en larmes, les gens qui emmènent celle qu’il considérait comme sienne. II Reg., iii, 16. Mais en réalité on n’aperçoit ici aucun divorce ; la méchanceté et la tyrannie de Saül ont pu séparer par force David et Michol, le lien de leur mariage n’en était pas brisé ce il se renoue dès que le tyran est mort. — On pourrait plus justement invoquer ce que saint Matthieu nous rapporte de saint Joseph, I, 19 ; car bien que le récit appartienne au Nouveau Testament, l’intention dont il nous fait la confidence semble être une application de la législation mosaïque sur le libelle de répudiation. Et pourtant ce cas aussi est douteux. Si plusieurs Pères et commentateurs ont pensé que Joseph et Marie étaient déjà unis par le mariage, la plupart des exégètes, surtout plus récents et connaissant mieux les usages juifs, supposent avec vraisemblance qu’il n’y avait encore entre eux d’autre lien que celui des fiançailles. Voir M —J. Lagrange, Évangile selon saint Matthieu, Paris, 1923, p. 9-13. Mais à défaut d’exemples, la législation donne une suffisante lumière sur la répudiation chez les juifs. Cette législation, Moïse ne l’a point créée de toutes pièces : il n’a fait que réglementer les usages en vigueur, exiger des conditions et établir des formalités pour empècher les abus trop criants. C’est peut-être même dans la fréquence relative des divorces qu’il faut chercher la raison pour laquelle l’histoire nous en a conservé si peu d’exemples : c’était un fait trop peu important pour qu’il parût digne d’être signalé.

La législation de la répudiation est contenue dans le Deutéronome. En voici les principales dispositions. — Le mari seul a le droit de répudier sa femme. Aucun texte ne suppose que la femme ait un droit analogue. Il fallut attendre le début de notre ère pour que certains rabbins permissent à la femme de demander le divorce. Dans certains cas, la mari perd tout droit de répudiation : s’il a faussement accusé sa femme de n’être plus vierge quand il l’a épousée, Deut., xxii, 13-19, « il ne pourra la renvoyer tant qu’il vivra » ; si un homme a déshonoré une jeune fille non fiancée, il devra la prendre pour femme et « il ne pourra la renvoyer tant qu’il vivra ». xxii. 28, 29. — En dehors de ces exceptions, le mari a le droit de répudier sa femme moyennant certaines conditions : — « a. —— Il faut un motif. Moïse l’énonce d’un mot assez vague : « quelque chose de repoussant, une ’erväh, » probablement une grave infirmité physique inspirant le dégoût. On sait les discussions sans issue auxquelles cette