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MARIAGE DANS L'ÉCRITURE. LA LOI MOSAÏQUE

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justifier dans certains cas et n’esl pas absolument opposée aux exigences fondamentales « le la famille. Elle peut avoir quelquefois pour origine une passion

qui ne sait pas se régler ou un désir d’ostentation et de faste ; mais d’autres fois elle s’expliquera par le seul désir d’avoir un plus grand nombre d’enfants, lit c’est sans doute, expliquent en général les théologiens, pour cette raison très louable que Dieu la permit aux patriarches : ne fallait-il pas que le peuple élu se lortifiât par ses familles nombreuses contre les ennemis qui l’auraient absorbé ou anéanti ? C’est aussi un des motifs pour lesquels les rois ou les puissants, ayant besoin de rendre plus ferme leur situation, cherchaient à multiplier le nombre de leurs enfants en qui ils devaient trouver le plus sûr appui pour euxmêmes et pour l’avenir de leur famille'? L’historien des civilisations ferait valoir aussi des considérations d’ordre réel que nous n’avons pas à déduire ici ; le moraliste enfin ne manque pas de faire remarquer que la pluralité des femmes ne va pas directement contre la procréation des. enfants.

Mais si elle n’est pas contraire à l’essence même de la famille, la pluralité des femmes s’oppose à ce que la perfection de la famille soit réalisée, et par suite elle est condamnée par les préceptes secondaires de la loi naturelle. Elle est contraire à l'égalité des deux époux, le mari unique devenant pour ses femmes le maître et le tyran, et celles-ci se trouvant ravalées au rang d’esclaves dont la seule loi est le bon plaisir du maître : apud viras habentes plures uxores, uxores quasi ancillse. habentur, remarque saint Thomas, Contra génies, t. III, c. 124, et ce ne sont pas les constatations des modernes sociologues qui infirment cette assertion. La polygamie est contraire à la bonne édu cation des enfants, le père laissant à chaque mère le soin d'élever les enfants qu’elle a mis au monde, alors que la nature a voulu que l'éducation fût l'œuvre conjuguée de la fermeté du père et de la tendresse de la mère. Elle est contraire à l'égalité qui doit exister entre les enfants du même père, celui-ci réservant toutes ses prédilections aux enfants de la femme préférée. Elle est contraire à la paix des familles : l’histoire d’Agar et de Sara, celle d’Anne et de Phenenna ne sont pas des cas isolés ; la polygamie engendre inévitablement des rivalités de femmes ou des jalousies d’enfants : ex hoc consequitur discordia in domestica familia, disait encore saint Thomas, loc. cit.

Le Docteur Angélique résume et complète à la fois ces réflexions en distinguant les divers buts du mariage. In 7V « m Sent., dist. XXXIII, q. i, a. 1. Il y en a trois principaux, dit-il : le premier est la procréation et l'éducation des enfants ; un second est la communauté de vie ; et chez les fidèles un troisième est la représentation de l’union du Christ avec son Église. « La pluralité des femmes n’empêche pas totalement d’atteindre le premier but et même n’en détourne pas : un seul homme peut rendre fécondes plusieurs femmes et élever les enfants qui naissent d’elles. Pour le second but, si elle n’en détourne pas absolument, elle rend au moins plus difficile d’y parvenir ; car il n’est pas aisé de maintenir la paix dans une famille où plusieurs femmes appartiennent à un seul homme… Le troisième but n’est plus du tout atteint là où il y a plusieurs femmes ; car il n’y a qu’un Christ et qu’une Église. Donc la pluralité des femmes est dans un certain sens contraire à la loi naturelle et dans un autre sens ne lui est pas contraire. »

2° Les déformations et la permanence de l’idéal du mariage. — Nous bornons notre enquête à la Bible et nous laissons donc de côté les sociétés païennes. C’est parmi elles surtout que nous constaterions l’oubli de l’institution primitive du mariage, qui, malgré de très nobles exceptions, n'échappe pas à la cor ruption générale. Mais chez les ancêtres du peuple juif et dans le peuple juif lui-même, l’ascension vers J’idéal à réaliser fut lente, plus lente qu’on ne.s’attendrait à la trouver dans une nation spécialement choisie et gardée par Dieu ; à mesurer ces délais, nous verrons combien lut bienfaisante, mais aussi combien peu préparée la restauration du mariage par JésusChrist.

1. Les déformations de l’idéal. Elles étaient inévitables après la faute originelle. Rien qu'à lire la sentence prononcée par Dieu contre la femme coupable, on y découvrirait d’abord cette idée que l'égalité est rompue entre les deux époux : i Ton désir se portera vers ton mari et il dominera sur toi. » Gen., iii, 16. L’homme sera plus qu’auparavant le maître quelquefois tyrannique, et il lui arrivera fatalement d’abuser de sa suprématie. C’est la femme qui sera le plus souvent victime dans les cas de polygamie ou de divorce. Car ce sont là les plus importantes déformations que subit le mariage primitif : il perd son unité par la polygamie et son indissolubilité par le divorce.

a) La polygamie. — Le premier cas de polygamie mentionné dans la Bible est celui de Lamech, Gen., iv, 19-24 ; le Livre sacré ne formule d’ailleurs aucun blâme contre lui.

Avant Abraham, la Bible ne mentionne plus aucun cas de polygamie : mais.de toute évidence, ce silence est uniquement dû à l’excessive sobriété des renseignements qui sont donnés sur les patriarches. Genuit filios et filias : c’est le refrain qui revient à propos de chacun d’eux, et de leur vie nous ne savons rien de plus. En réalité les ancêtres d’Abraham ont été polygames ou du moins ont vécu dans un milieu où la polygamie était en usage.

A vrai dire, c'était plutôt un régime intermédiaire entre la monogamie et la polygamie. L'épouse était unique en principe ; mais à côté d’elle, l’homme pouvait prendre une concubine, c’est-à-dire une épouse de second rang, ou encore une esclave qui lui était donnée par l'épouse principale. Le Code d’Hammurabi contient à cet égard des dispositions très curieuses qui nous expliquent parfaitement la conduite d’Abraham : « § 144 : Si un homme a épousé une femme et si cette femme a donné à son mari une esclave qui a procréé des enfants, si cet homme se dispose à prendre une concubine, on n’y autorise pas cet homme et il ne prendra pas une concubine. — § 145 : Si un homme a pris une épouse et si elle ne lui a pas donné d’enfants, et s’il se dispose à prendre une concubine, il peut prendre une concubine et l’introduire dans sa maison. Il ne rendra pas cette concubine l'égale de l'épouse. » Édit. Scheil, Paris, 1904, p. 27, 28. On pense d’ailleurs que cette législation restrictive ne s’appliquait pas aux grands à qui il était permis d’entretenir des harems plus ou moins nombreux.

Abraham suivait donc les habitudes de ses ancêtres et la législation sous laquelle il avait vécu lorsque, sur les instances de Sara demeurée stérile, il prend pour femme de second rang une servante de sa femme, dont les enfants seront censés nés de l'épouse proprement dite : « Voici que Jahvé m’a rendue stérile ; viens, je te prie, vers ma servante ; peut-être aurai-je d’elle des fils. » Gen., xvi, 2. Le rôle d’Agar est bien déterminé : elle donnera des enfants au foyer qui sans elle menaçait de rester vide ; mais elle n’est pas une épouse au même titre que Sara ; et son fils Ismaël, devenu luimême un enfant de second rang après la naissance d’Isaac, ne peut prétendre à partager avec lui l’héritage. Gen., xxi, 10. Sara demeure la seule épouse véritable et Isaac le seul vrai fils, héritier des promesses. Gen., xvii, 19-21. — Dans la suite Abraham, devenu puissant chef de clan, se conforma sans doute aux