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MANICHÉISME, ORGANISATION ECCLÉSIASTIQUE

Et le royaume de Dieu s’étend brillant comme à l’origine, sans avoir plus à redouter aucune invasion des cohortes du Diable. L’ordre premier est rétabli entièrement et pour toujours.

4o L’Église manichéenne. — Suivant une tradition que connaît saint Augustin, et que rapportent d’autres auteurs, par exemple Agapius, Photius, Pierre de Sicile, Mani avait eu douze apôtres, comme le Christ. Ces derniers écrivains donnent même les noms de ces douze apôtres de Mani : Sisinnius et Thomas, Bouddas et Hermas, Adamas ou Adas et Adimante, Hiérax, Héraclide et Aphthonius, Agapius, Zarouas et Gabriabius. Photius, Contra man., 1, 14, P. G., t. CII, col. 41 : Pierre de Sicile, Hist. man., 16, P. G., t. cv, col. 1265. Ces noms semblent très peu sûrs ; et leur énumération, en trois séries binaires suivie de deux séries ternaires, est fort suspecte. Comme les Acta Archelai, 13, p. 22, mentionnent seulement trois disciples de Mani, Addas, Thomas et Hermas, il est vraisemblable que la liste primitive comprenait quatre séries de trois noms chacune. Ainsi Mani reproduisait-il l’exemple du Père de la lumière, entouré dès l’origine de douze éons répartis en quatre triades, et celui du troisième messager assisté lui aussi par ses douze vertus.

À l’exemple de Mani, la religion manichéenne avait à sa tête douze Maîtres soumis eux-mêmes à un premier chef. D’après An-Nadim la religion sainte comprend cinq degrés : celui des Maîtres, ce sont les fils de la douceur ; celui des Illuminés du soleil, ce sont les fils de la science ; celui des Prêtres, ce sont les fils de l’intelligence ; celui des véridiques, ce sont les fils du secret ; celui des Auditeurs, ce sont les fils de l’examen. Flügel, Mani, p. 95.

Le chef suprême du manichéisme est l’iman, qui en principe, réside à Babylone. Nous avons vu qu’à une certaine date, l’iman fut obligé de transférer sa résidence à Samarcand. An-Nadim nous fait connaître les noms de plusieurs imans, et dans la liste qu’il donne des épîtres de Mani sont insérés les titres de nombreuses lettres d’imans. Le traité manichéen de Touen-houang signale de la même manière un chef de la religion, É. Chavannes et P. Pelliot, dans le Journal asiat., Xe sér., t. xviii, p. 581, et n. 4 ; et un autre texte chinois nous fait voir le roi de la religion complimentant les Ouïgours. Ibid., XIe sér., t. i, p. 195.

Sur les douze maîtres, qui remplaçaient les douze apòtres de Mani, S. Augustin, De hæres., 46, P. L., t. XLII, col. 38, nous avons fort peu de renseignements ; nous savons surtout qu’ils étaient les chefs des évêques, au nombre de 72. Ce chiffre lui-même rappelle celui des disciples du Christ. Les évêques manichéens — Fauste de Milève était l’un d’eux à la fin du ive siècle — avaient la charge d’ordonner les prêtres et les diacres. Les textes chinois nous font connaître de hauts dignitaires de l’Église manichéenne auxquels ils donnent les noms de moucho et de fou-to-tan. On pourrait identifier les premiers avec les maîtres et les seconds avec les évêques.

Au-dessous des évêques, il y a des prêtres et des diacres. Fortunat, le contradicteur malheureux d’Augustin, était un prêtre manichéen établi à Hippone. Somme toute, cette hiérarchie, où l’on retrouve les souvenirs de l’Évangile, est manifestement calquée sur la hiérarchie catholique. Elle constitue un des points par lesquels les manichéens se rapprochaient le plus du christianisme.

Un autre trait de ressemblance se trouve dans les sacrements manichéens. Ceux-ci sont au nombre de deux, le baptême et l’eucharistie. Le baptême est réservé aux élus. Les auditeurs sont donc, dans l’Église manichéenne, regardés seulement comme des catéchumènes. Par le baptême sont remis les péchés et les grandes souillures. Cf. S. Augustin, Contra Faust., v, 3 ; Contra Felic., 1, 10, P. L., t. XLII, col. 221, col. 533 ; traité de Touen-houang, dans le Journal asiat., Xe sér., t. xviii, p. 587. Turribius d’Astorga, P. L., t. liv, col. 694, prétend que les manichéens se servaient d’huile pour administrer le baptême, et de fait nous savons qu’ils regardaient l’huile comme une substance purifiante. S. Augustin, De mor. man., 39, P. L., t. XXXI, col. 1362. Il semble pourtant probable que le baptême manichéen était donné dans l’eau. L’eucharistie, elle aussi, est réservée aux élus. S. Augustin, Contra Fortunat., 3, 1. xiii, col. 114. Mais nous avons fort peu de renseignements sur ses éléments et sur la manière dont ils étaient consacrés. La formule grecque d’abjuration, qui est un document tardif, anathématise les gens qui rejettent la conversion du précieux sang et du corps du Christ, tout en faisant semblant de l’accepter, et lui substituent mentalement les discours doctrinaux du Christ, sur la seule communication desquels il aurait dit, d’après eux, aux Apôtres : Prenez, mangez et buvez. » P. G., t. 1, col. 1469. Mais le reproche ici adressé aux manichéens d’entendre l’eucharistie dans un sens purement symbolique est peu vraisemblable. On a supposé qu’à côté du pain, les manichéens consacraient de l’eau, par laquelle ils remplaçaient le vin, regardé comme particulièrement impur. P. Alfaric, L’évolution intellectuelle de saint Augustin, p. 133, n. 2. Cette hypothèse est du moins probable, mais on aimerait la voir confirmée par des textes précis. Au témoignage d’Augustin, à l’eucharistie manichéenne se mêlaient parfois d’ignobles pratiques : le saint docteur rappelle que les catholiques reprochaient à leurs adversaires de manger en guise d’eucharistie un pain immonde, une masse de farine aspergée d’un liquide impur. De hæres., 46, t. XLII, col. 36. Les manichéens, il est vrai, niaient les faits allégués, et récemment on a essayé de diminuer la valeur des témoignages rapportés par saint Augustin ; P. Alfaric, op. cit., p. 165, n. 1. Il semble pourtant difficile de n’en tenir aucun compte.

Si nous ne possédons que peu de détails sur les sacrements du manichéisme, du moins connaissons-nous davantage ses prières et ses cérémonies. Suivant An-Nadim, Mani lui-même inspira à ses fidèles le commandement des quatre ou sept prières : voici, d’après l’historien arabe, comment doivent s’accomplir ces prières : Le fidèle se tient droit ; il se frictionne avec de l’eau ou une autre substance, et il se tourne vers la grande lumière. Puis, il se prosterne, et, cela fait, il dit : « Béni soit notre guide, le Paraclet, l’envoyé de la Lumière. Bénis soient ses anges, les veilleurs ; et louées soient ses armées lumineuses. Ensuite, il se relève promptement… Dans une seconde prostration, il dit : « Glorieux et lumineux Mani, toi notre guide, la racine de notre illumination, le rameau de l’honnêteté, le grand arbre, tu es notre unique salut. Dans une troisième prostration, il dit : « Je me prosterne et je loue avec un cœur pur et une langue sincère le grand Dieu, le Père des lumières… » Dans une quatrième prostration, il dit : « Je loue et invoque tous les dieux, tous les anges lumineux, toutes les lumières et toutes les armées qui sont devant le grand Dieu. » Dans une cinquième prostration, il dit : « J’invoque et je loue les armées et les dieux lumineux, qui, avec leur Sagesse, foncent sur les ténèbres, les rejettent et les domptent. » Dans une sixième prostration, il dit : « J’invoque et je loue le Père de la grandeur, le sublime et le brillant qui est venu des deux sciences. » Il continue ainsi jusqu’à la douzième prostration. Après avoir achevé les dix (douze ?) prostrations, il passe à une autre prière, où il formule des louanges que nous n’avons pas à