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MANICHÉISME, DOGMATIQUE


M : iis elle n’a pas été moins violente. L'édit de 732 qui autorisait la religion de Mani déclarait en même temps qu’elle était singulièrement perverse : une telle réserve ne faisait rien prévoir de bon pour l’avenir. Lorsqu’eut disparu l’empire des Ouïgours, qui était le plus puissant soutien du manichéisme, les autorités chinoises prirent une attitude foncièrement hostile. « Les manichéens furent aussitôt en butte aux pires vexai ions. Dès 812, leurs temples du Yang-tseu furent fermés, et leurs religieux ramenés vers le Nord. L’année suivante, un nouvel édit, applicable à tout l’empire, proscrivit leur religion, et ordonna la confiscation de leurs biens et la fermeture de tous leurs sanctuaires. D’après l’ordonnance impériale, dont un texte plus tardif nous donne le résumé, les fonctionnaires que cela concernait devaient recueillir les livres et les images des manichéens et les brûler sur la place publique Condamnés par la loi, les disciples de Mani ne purent plus subsister qu’en se dissimulant. Mais le mystère même dont ils s’enveloppaient se retourna contre eux. On leur reprocha de s’adonner en secret à toutes sortes de maléfices et de désordres. A propos d’una révolte qui se produisit en 920 dans le Ho-nan, et dans laquelle ils furent impliqués, un texte les accuse de se rassembler la nuit pour se livrer à des débauches obscènes. Un autre les montre vers le milieu du xe siècle, dans le Fou-Kien, se vouant à des pratiques ténébreuses, et allant de nuit, avec leurs livres saints, exorciser un possédé qui meurt dans l’année. » P. Alfaric, op. cit., 1. 1, p. 106. Cf. Chavannes et Pelliot, dans le Journal asiat., loc. cit., p. 289-325. Les manichéens ne disparurent pas tout de suite de la Chine. Au début du xie siècle, ils retrouvèrent même un dernier éclat, et leurs livres saints furent introduits dans un Canon taoïque entrepris par l’ordre de Tshen-tsong. Mais ce canon ne rencontra aucune faveur. Les persécutions reprirent leur cours. En 1166, un lettré, Lou-Yéou, adressa une supplique à l’empereur pour lui demander, entre autres choses, de prendre des mesures sévères contre les adeptes de la religion de la lumière : car, tel était le nom sous lequel étaient alors connus les manichéens. Nous connaissons mal la suite donnée à la supplique de LouYéou. Du moins dans la première partie du xine siècle, savons-nous que le manichéisme était interdit dans tout l’empire chinois ; le bonze Tsong-Kien écrit en effet : « Selon les lois de la dynastie actuelle, ceux qui trompent le peuple par la transmission et la pratique du livre saint des Deux Racines, et du texte de livres saints sans fondement que les canons ne contiennent pas, seront condamnés du chef des doctrines hétérodoxes. » A la fin du xiv » siècle, un article du code des Ming condamne une dernière fois la religion du vénérable de la lumière. Son éclat était dès lors bien amoindri. Cf. E. Chavannes et P. Pelliot, dans le Journal asiat., loc. cit., p. 353-368.

Dans l’Asie centrale, le manichéisme ne fut pas l’objet des mêmes persécutions. Mais il rencontra d’autres obstacles. L’un des plus redoutables fut le bouddhisme, dont la propagande se poursuivait sans cesse. Déjà lesmmichéens n’avaient pu s’installer qu’en présentant leur m îître comme un nouveau Bouddha. A pratiquer un tel syncrétisme, ils couraient grand risque de perdre leur originalité et de voir leur doctrine se dissoudre dans les enseignements bouddhistes.

D’autre part, la fragilité des principautés turques, les perpétuelles invasions qui transformaientsanscesse l'état du pays, furent pour le manichéisme une cause de faiblesse. La chute de l’empire ouïgour, dont les souverains lui étaient tout dévoués, l'ébranla profondément. Les invasions mongoles complétèrent sa ruine. Sans doute, la religion de Mani ne disparut pas entièrement de ces régions où elle avait été, pendant

une longue période, si florissante. Elle conserva un certain nombre de sectateurs fidèles. Du moins, son rôle historique fut-il achevé à partir du xie siècle : à cette époque, en 1035 d’après une tradition, furent cachés dans la grotte des mille Bouddhas les manuscrits manichéens de Touen-houang. Il était réservé à notre siècle de retrouver ces manuscrits et de rendre, par l’intérêt momentané qu’y portent les savants, une vie illusoire et factice aux idées dont ils renferment l’expression.

IV. Les doctrines manichéennes.

Quelles étaient donc ces idées, enseignées d’abord par Mani, et propagées avec le succès que nous avons dit, de l’Espagne jusqu’aux extrémités de la Chine ? Il semble bien que Mani lui-même, dans ses ouvrages et dans ses lettres, ait exposé un corps complet de doctrine, et que les prédicateurs manichéens se soient efforcés de transmettre intégralement l’enseignement du maître sans y rien changer. En fait, un système aussi compliqué que celui de Mani devait fatalement recevoir, selon les pays et par l’usure du temps, certaines modifications : le manichéisme dont parle saint Augustin diffère par un certain nombre de détails de celui des traités découverts dans le Turkestan chinois.

Dans l’ensemble pourtant, nous sommes assurés de connaître assez exactement la doctrine de Mani : nos documents, si variés par leur origine comme par leur date, sont d’accord sur les traits essentiels. Leurs divergences ne portent que sur des détails souvent importants, il est vrai, mais qui ne sont après tout que des détails.

Il est même remarquable que l’accord des textes soit poussé aussi loin qu’il l’est. Dans bien des cas, certains documents retrouvés dans le Turkestan chinois sont venus confirmer de la manière la plus inattendue, des renseignements fournis par saint Augustin et que l’on croyait particuliers au manichéisme occidental. Sans doute tout n’est pas éclairci dans le fatras des textes obscurs que nous possédons : et notre esprit a quelque peine à s’accommoder aux complications et aux aventures qui forment le centre de la cosmologie manichéenne. Mais cela n’a aucune importance ; nous n’avons pas à apprécier ; il s’agit seulement d’exposer avec autant de précision que possible un système assez embrouillé par lui-même. Nous traiterons successivement de la dogmatique, de la morale, de l’eschatologie et de l’ecclésiologie manichéennes.

Dogmatique manichéenne.

La base du système

manichéen, c’est le dualisme. Il y a de toute éternité deux principes opposés : le Bien et le Mal, la Lumière et les Ténèbres. « Chacun d’eux, déclare Mani, est incréé et sans commencement, soit le Bien qui est la lumière, soit le Mal qui est à la fois les ténèbres et la matière. Et ils n’ont rien de commun l’un avec l’autre… La différence qui sépare les deux principes est aussi grande qu’entre un roi et un porc. L’un est dans les lieux qui lui sont propres comme dans un palais royal. L’autre, à la façon d’un porc, se vautre dans la fange, se nourrit et se délecte dans la pourriture, ou comme un serpent est blotti en son repaire. «  Sévère d’Antioche, Hom., cxxiii, trad. de Cumont. Recherches sur le manichéisme, fasc. 2, p. 91, 92, 97. Dans son essence, la Lumière primitive est la même chose que Dieu. L'É pitre du fondement en donne la description suivante : « Sur l’empire de la lumière dominait Dieu le Père, perpétuellement vivant dans dans sa souche sainte, magnifique dans sa puissance, vrai par son essence même, toujours heureux dans sa propre éternité. Il contenait en lui la Sagesse et les sens vitaux. Par eux, il comprenait aussi les douze membres de sa lumière, qui sont les richesses affluentes