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1869
1870
MANICHÉISME, EXPANSION

le règne de Mouktadir (928-932) les manichéens chassés de l’Irak. Ils s’installèrent particulièrement à Samarkand, où l’iman orthodoxe de Babylone établit sa résidence. Vers l’an 1000, la masse de la population de cette ville adherait aux dogmes dualistes. Et dans La seconde moitié du xiie siècle, un écrivain de la même region Abou’l Fath Mohammed ach Sharastani, ne à Sharistan, petite ville du Khorassan, savait que des Mazdakites, ou disciples de Mazdak résidaient dans le pays d’Ahwaz, puis plus à l’est dans les régions de Fars, et de Shahrozour, et finalement aux environs de Samarcand (Transoxiane).

Dès le temps des Sassanides, les Turcs occidentaux s’étaient installés dans les mêmes contrées. À la fin du vie siècle, ils établirent leur suprématie au sud et à l’ouest de l’Oxus. Sans doute, un grand nombre d’entre eux adoptèrent-ils le manichéisme. En tout cas, au début du viiie siècle, un de leurs chefs, Ti-cho ou Tes le Borgne devait contribuer à répandre en Chine la religion de Mani.

3o Dans l’empire chinois. — À ce moment, le manichéisme n’était pas inconnu dans le Céleste Empire, si l’on peut ajouter foi au témoignage d’un compilateur chinois du xiiie siècle, suivant qui le premier livre de Mani fut introduit en Chine en 694. En 719, un manichéen de marque fut envoyé au souverain de la Chine par le chef turc Ti-cho : « Cet homme est d’une sagesse profonde, écrivait ce dernier au sujet de son ambassadeur. Il n’est aucune question à laquelle il ne sache répondre. J’espère humblement que l’empereur, dans sa bonté, le fera appeler auprès de lui et l’interrogera en personne sur l’état des choses chez votre sujet, ainsi que sur nos doctrines religieuses. L’empereur reconnaîtra que cet homme a bien de réelles capacités. Je souhaite et je demande que, par ordre de l’empereur, il soit subvenu à son entretien et en même temps qu’on établisse une église pour qu’il s’y acquitte du culte prescrit par sa religion. Chavannes et Pelliot, dans le Journal asiat., 1913, XIe sér., t. I, p. 152-153. En 732, un édit impérial autorisait la pratique du manichéisme tout en réprouvant ses doctrines.

4o Dans l’Asie centrale. — De la Chine, le manichéisme pénétra jusque chez les Turcs septentrionaux. Certains de ces derniers, les Quigours, venaient de fonder en Mongolie un grand empire qui s’étendait de l’Ili au Fleuve Jaune, et des rives de l’Orkhon aux montagnes du Thibet. Le 20 novembre 762, leur souverain ou qaghan, mettant à profit des intrigues de palais auxquelles venait de donner lieu la brusque disparition de l’empereur Hiuan-tsong et de son fils Sou-Tsong, traversa le Hoang-ho, s’empara de Lo-Yang, et s’y installa durant plusieurs mois. Or, il rencontra dans cette ville des missionnaires manichéens qui l’initièrent à leur foi et qui lui firent connaître leurs livres saints. P. Alfaric, op. cit., p. 81.

Une inscription découverte à Karabalgasoun, en Mongolie et rédigée en chinois, en turc et en soghdien, nous apprend ce que furent les résultats de la prédication manichéenne dans le royaume des Ouïgours. Un édit du souverain, raconte cette inscription, publia la proclamation suivante : « Cette religion est subtile et merveilleuse. Il est difficile de la recevoir et de l’observer. Par deux fois et par trois fois, avec sincérité, (je l’ai étudiée). Autrefois j’étais ignorant et j’appelais Buddha des démons ; maintenant j’ai compris le vrai et je ne veux plus servir (ces faux dieux)… que toutes les images du démon, sculptées ou peintes, soient entièrement détruites par le feu… et qu’on reçoive le religion de la lumière. » Cf. É. Chavannes et P. Pelliot, dans le Journal asiat., loc. cit., p. 193 ; G. Schlegel, Die chinesische Inschrift auf dem uigurischen Denkmal in Kara Balgassun, dans les Mémoires de la Société finno-ougrienne, Helsingsfors, 1896 ; F. W. K. Müller. 1870 Ein iranisches Sprachdenkmal aus der nordlichen Mongolie, dans les Sitzungsberichte de l’Académie des Sciences de Berlin, 1909, p. 726-730. En peu de temps, tout le royaume ouïgour se trouva converti à la religion de Mani.

Mais ce royaume manichéen n’eut qu’une durée éphémère. En 840, les Kirghiz en détruisirent la capitale et s’emparèrent de son souverain. Les tribus turques qui le constituaient se dispersèrent et reprirent leur existence indépendante. Le manichéisme ne disparut pourtant pas de la région. Parmi les États qui se constituèrent sur les ruines de l’empire ouïgour, un certain nombre restèrent fidèles aux doctrines de Mani En 951, ceux de Kan-tchéou, envoyaient en ambassade auprès du gouvernement chinois un groupe d’Élus chargés de divers présents. Dix ans plus tard, ils faisaient également parvenir à l’empereur tout un stock d’objets précieux, dont plusieurs avaient été offerts par des maîtres manichéens. Vers le même temps, ceux de Kao-Tchang, les Toqouz-Oghouz ou Toghouzgouz, qui étaient de tous les plus puissants et les mieux organisés, gardaient dans l’ensemble la doctrine de Mani… En 981 et 984, un envoyé chinois, visitant leur royaume, y signalait la présence de temples manichéens. Plus tard encore, un voyageur arabe faisait observer que les disciples de Mani y subsistaient toujours, et que, dans la capitale, ils formaient même la majorité. » P. Alfaric, op. cit., p. 86. C’est précisément dans la région habitée par les Turcs Ouïgours, à Tourfan, à Chotso (Khotscho), à Touen-houang, qu’ont été retrouvés les textes manichéens dont nous avons déjà parlé, et qui témoignent de l’influence exercée par la religion de Mani sur les habitants du pays.

5o Régression, puis disparition progressive du manichéisme. — Les conquêtes du manichéisme en Chine et chez les Ouïgours marquent le terme de cette prodigieuse expansion. La religion de Mani, après s’être répandue dans toute l’Asie centrale, ne devait pas s’y maintenir. De bonne heure, elle fut persécutée par les autorités civiles et contredite par les théologiens ou les philosophes en face d’attaques menées avec vigueur et persévérance, elle se montra impuissante à résister. En Perse d’abord, les mazdéens ne cessèrent jamais de poursuivre de leur haine un culte qu’ils avaient déjà condamné en la personne de son fondateur. Sous le règne de Chosroès Ier (531-570) 80 000 manichéens dit-on, furent mis à mort : le roi rétablit dans ses États le culte du feu, et proscrivit les discussions, les controverses et les querelles religieuses.

Les musulmans ne se montrèrent pas plus favorables aux théories dualistes. La plupart des califes ordonnèrent des poursuites contre le manichéisme, ou tout au moins ne laissèrent à ses adeptes qu’une existence des plus précaires. Devant ces attaques, les manichéens perdirent très vite du terrain : vers la fin du xe siècle, An-Nadim écrivait : « Dans les pays de l’Islam, ils sont peu nombreux. Dans la ville du salut (Bagdad), sous le gouvernement de Mu’izz-ad-Daula, j’en ai connu environ 300. Actuellement, on en trouverait dans l’endroit à peine plus de cinq. Ces manichéens s’appellent les Adschari. Ils vivent dans les bourgs de Samarcand, de Sogd, et surtout à Nounkat. » Flügel, Mani, p. 106. Un peu plus tard, Birůni écrivait de même au sujet des manichéens : Il ne reste que quelques petits débris de ses partisans, qui se réclament de lui. Ils sont dispersés en divers endroits. On ne trouve pas un seul lieu dans le pays de l’Islam, où ils forment l’ensemble de la population, en dehors de la communauté de Samarcand où ils sont connus comme sabéens. » Biruni, Chronologie, trad. Sachau, p. 191.

En Chine, la campagne antimanichéenne a commencé plus tard que dans les pays soumis à l’Islam.