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MALEBRANCHE, VUES THÉOLOGIQUES


gérerait probablement rien en disant que c’est une intention apologétique qui a été le principe inspiraleur de toute sa philosophie. Assurément, cette philosophie a bien pu, à son insu, gâter sa dogmatique ; mais elle n’a jamais altéré son désir d’attirer les autres à la religion, et de la leur faire embrasser telle que l'Église nous la présente. Sans doute, il a parfois recouru à des preuves rationnelles qui n'étaient pas plus décisives que les conceptions philosophiques auxquelles il les empruntait. Mais, d’autre part, il a été si sine' renient pénétré des exigences de l’orthodoxie que, en matière de religion, il a adopté une attitude d’esprit qui allait à rencontre de ses goûts spontanés. Dans le domaine de la vérité révélée, non seulement il a admis et défendu le principe d’autorité, non seulement il a appuyé fortement sur l’importance de la tradition, mais encore il a montré un sens de l’histoire, il a manifesté une intelligence des preuves historiques dont il était complètement destitué dans les autres ordres de choses. Il faut insister sur ce point.

D’abord, il a le vif sentiment du caractère social de l'Église. « Maintenant que la raison de l’homme est affaiblie, il faut la conduire par la voie de l’autorité. » Cette autorité, nécessaire pour nous livrer la vérité, les protestants ont la prétention de la trouver dans l'Écriture sainte. Or, Malebranche fait observer très justement que la valeur transcendante des Livres sacrés repose sur le /ait de l’inspiralion. Mais ce fait, il faut le connaître pour s’y appuyer. Il faut en avoir, non pas un sentiment vague, mais une certitude inébranlable. Il a donc besoin d'être attesté par une affirmation compétente. Dès lors, faudra-t-il que le Saint-Esprit le révèle à' chaque particulier ? C’est là une prétention insoutenable. Combien il est plus naturel et plus sensé que l’EspritSaint révèle le fait de l’inspiration à l'Église considérée comme collectivité, comme société, afin que tous les particuliers puissent ensuite bénéficier, en toute sécurité, de cette attestation générale ! Une telle attestation, dont on peut contrôler les origines, est beaucoup plus justifiée et beaucoup plus autorisée.

C’est ici que Malebranche fait intervenir la notion de société avec une pénétration qu’on n’a pas assez relevée. Il oppose, avec finesse et avec force, le caractère raisonnable et réglé de l’organisation catholique au caractère irrationnel et anarchique de l’individualisme protestant. Il trouve illogique et contradictoire l’attitude des hérétiques. En effet, ces derniers admettent sans sourciller que l’Esprit-Saint inspire les particuliers. Et, en même temps, ils trouvent invraisemblable et inconvenant qu’il assiste l'Église ! En vérité, de telles conceptions sont contraires au bon sens. Les décisions d’un concile ne peuvent pas ne pas être préférées, non seulement aux sentiments des particuliers, mais encore aux opinions de quelque secte que ce soit.

Aussi, pour notre apologiste, les meilleures preuves des vérités nécessaires au salut sont celles qui se tirent de l’autorité de l'Église. Car, cette autorité est infaillible. L’infaillibilité de la société religieuse est renfermée dans l’idée même d’une religion divine. La prérogative essentielle de l'Église est donc impliquée dans la seule notion de révélation authentique. Le tout est de comprendre qu’il n’y a qu’un organisme social régulièrement constitué qui puisse raisonnablement et légitimement être le dépositaire de ce privilège de l’infaillibilité.

Mais l’appel que Malebranche fait à l’autorité enseignante de l'Église ne l’empêche pas d’attribuer en même temps une grande valeur à des réalités concrètes qui fondent précisément en partie cette autorité même et qui sont loin de constituer des

données purement externes. Ainsi, dans le sixième des Entretiens sur la métaphysique, il fait intervenir deux considérations dignes de remarque. D’abord, il met en relief par des arguments directs la valeur historique des Livres saints. Ensuite, il fait apparaître, dans une vive lumière, le caractère purement figuratif et manifestement provisoire des promesses temporelles faites au peuple élu, sous le régime de la loi mosaïque. Toujours est-il qu’il est bien clair que Malebranche n’a jamais eu d’autre ambition que d’amener ses semblables à l'Église pour recevoir son enseignement, pour obéir à son autorité et pour lui confier le soin de leur salut. Il a tout fait pour que la profession de foi qui était la sienne devînt la leur.

Thèses théologiques.

Laissons maintenant les

intentions pour regarder en face les doctrines qui appartiennent à l’ordre des réalités objectives.

En principe, la théologie de Malebranche est celle l'Église : on l’a vu de reste par tout ce qui précède. Il veut être orthodoxe, et il est convaincu qu’il est orthodoxe. Mais, en pratique, les éléments proprement théologiques de son œuvre sont influencés par le rôle d’apologiste qu’il s’est assigné et qu’il cherche à remplir. Or, son apologétique s’efforce, comme nous l’avons vii, de s’adapter aux besoins de ses contemporains. C’est pourquoi, elle se laisse pénétrer à fond par les données de la seule philosophie qu’il croit pouvoir leur faire accepter et que d’ailleurs il pense être vraie à l’exclusion de toutes les autres. De là des théories et des explications difficilement conciliables avec les exigences du dogme. De là des formules qu’un jugement impartial ne saurait accepter sans de graves réserves. De là l’inscription de certains ouvrages de notre auteur au catalogue des livres à l’Index. Du reste, ce n’est pas à dire que l’on ne rencontre pas, sous la plume de Malebranche, des indications théologiques vraies, utiles et précieuses à recueillir.

La théologie catholique tient tout entière dans la connaissance de Dieu, de l’homme et de l’HommeDieu. Pour livrer le secret de la vie divine, elle expose le mystère de la Trinité. Pour montrer exactement ce qu’est l’homme, elle décrit successivement la condition de justice originelle, la déchéance résultant du péché héréditaire, l'étatj de régénération spirituelle. Enfin, considérant l’union de Dieu et de l’homme dans un être concret, elle étudie le mystère du Verbe incarné dans ses origines qui se rattachent à la vocation du Christ, et dans ses résultats que manifeste l’analyse du composé théandrique. Nous suivrons l’ordre de ces questions, pour examiner la position que Malebranche a prise par rapport à chacune d’elles.

1. Dieu en lui-même.

La conception de la Sainte Trinité qui est ou exprimée ou supposée par notre philosophe est irréprochable. Sur cette matière capitale, il professe le plus pur catholicisme. — Au Père, par une appropriation légitime, il rapporte spécialement la puissance. — Il est aussi affirmatif que possible sur la consubstantialité du Fils avec le Père, consubstantialité qui a donné lieu à tant d’hérésies. Il est étranger à tout subordinatianisme, à tout gnosticisme, à tout arianisme. Pour lui, non seulement le Verbe est Dieu, non seulement il est éternel comme son Père, mais les archétypes du monde créé et les vérités premières sont éternels aussi parce qu’ils sont enfermés dans la substance du Verbe, qui est l’Intelligence de Dieu. Entendons comme il parle de ceux qui ne veulent voir dans la vérité qu’un produit des décrets divins. « Il y a des gens qui pensent qu’il n’y a point d’ordre immuable et nécessaire par sa nature, et que l’ordre ou la sagesse de Dieu selon laquelle il a fait toutes choses, quoique la pre-