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    1. MALEBRANCHE##


MALEBRANCHE, SYSTÈME PHILOSOPHIQUE

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blanc est le produit mixte de l’idée d'étendue et du sentiment de blancheur. Supprimez le sentiment de blancheur : la colonne cessera d'être vue par les sens, mais l’entendement retiendra l’idée d'étendue avec certaines déterminations géométriques. Ce sont là deux données très différentes. Le sentiment est obscur et confus : l’idée est claire et distincte. Le sentiment est propre à chacun et inexprimable par des paroles ; je ne puis faire éprouver à personne ni mon plaisir, ni ma douleur, ni ma sensation de couleur : au contraire, les idées sont générales, communes à tous les hommes, éminemment définissables et communicables.

Mais d’où viennent ces idées ? Ici, Malebranclie s’efforce d'établir qu’elles ne peuvent, ni provenir des corps, ni être créées par nous, ni avoir été déposées en nous par Dieu dès le principe et toutes ensemble. Il arrive ainsi à sa célèbre thèse de la vision en Dieu. D’abord, c’est en Dieu que nous voyons les vérités immuables et éternelles. Mais c’est en Dieu aussi que nous voyons, dans les idées qui les représentent, les choses matérielles. Sans doute, nous n’en trouvons pas en Dieu les sentiments. Quand un corps est présent, le sentiment qui nous affecte est simplement causé en nous par Dieu ; mais, en même temps il nous laisse apercevoir en lui l’idée qui correspond à ce sentiment. Est-ce à dire que nous voyons Dieu ? Nullement. Nous ne voyons pasDieu lui-même, mais seulement ce qui, en Dieu, est participable par les créatures. Néanmoins, si les idées que nous apercevons en Dieu ne sont pas l'être absolu de Dieu, elles sont comprises dans l’essence immuable de Dieu. Et c’est ici que Malebranche se sépare nettement de Descartes. Les deux philosophes n’ont pas la même conception de l’essence des vérités métaphysiques et de la nature des idées. Descartes n’y voit que des créatures : elles sont ce qu’elles sont par un décret arbitraire de la puissance infinie. Malebranche les fonde dans l’essence même de Dieu : elles sont nécessaires et immuables comme lui. Pour toute cette doctrine, il se réclame de saint Augustin. Il se retranche aussi, dans une certaine mesure, derrière l’autorité de saint Thomas qui a en effet professé, à sa manière, la théorie de l’exemplarisme divin. « Dieu, dit le Docteur angélique, en tant qu’il connaît son essence comme imitable par une créature, la connaît comme la raison propre et l’idée de cette créature. »

Mais voyons-nous en Dieu l’idée particulière de chaque corps pris individuellement ? Non. Nous ne voyons en Dieu que l'étendue intelligible, principe de tous les corps. Comme elle a servi à Dieu à procurer l’existence des réalités matérielles les plus variées par la multitude indéfinie des combinaisons géométriques, elle nous sert à nous-mêmes à nous représenter ces différentes réalités par les façons diverses dont, perçue en Dieu, elle est par ailleurs appliquée à notre esprit. Qu’est-ce donc au fond que l'étendue intelligible ? C’est ce qui, en Dieu, constitue l’archétype du monde matériel. Elle se distingue nettement de l'étendue créée ou extension locale. Elle est un absolu. Mais, dans cet absolu, se trouvent idéalement représentées toutes les relations qui forment les corps. Ces relations, de nature géométrique, sont toutes des rapports de distance : rapports stables et permanents d’où sortent les figures, rapports successifs et changeants d’où procèdent les mouvements. Bref, l'étendue intelligible, que nous voyons dans la substance divine, n’est rien d’autre que cette même substance en tant que représentative des corps et participable par les corps. On voit donc que, sur ce point, Malebranche fait subir au cartésianisme une transformation décisive. Il admet bien, comme Descartes, que l'étendue est une substance et qu’il y a une étendue créée dans laquelle les figures et les mouvements dessinent les corps particu liers. Mais Descartes semble n’avoir jamais considéré cette étendue que dans sa matérialité donnée : Malebranche l’envisage avant tout dans son idéalité exemplaire. Et comment pourrait-il faire autrement sans renoncer à la thèse de l’exemplarisme divin qui lui est si chère ? S’il y a des corps, il faut bien qu’il y en ait en Dieu une représentation, puisqu’ils ne peuvent procéder que d’un archétype divin. Et si ces corps ont pour essence unique et irréductible l'étendue, qu’estce donc qui pourra en Dieu en être tout à la fois le principe et la représentation, sinon l’idée même de l'étendue, autrement dit, l'étendue intelligible'.' Comment n’a-t-on pas vu plus généralement et plus distinctement que l'étendue intelligible est à ce point dans la logique du système, qu’elle y entre comme un élément obligatoire ? Étant donné qu’il y a un univers matériel et que la matière est de l'étendue réalisée, la vision en Dieu n’est possible que par l’existence d’une étendue intelligible.

Telle est, chez Malebranche la théorie de la connaissance des objets distincts de nous, c’est-à-dire la théorie de la connaissance par idées. Mais nous n’avons pas à connaître seulement des objets extérieurs ; nous avons à nous connaître encore nousmêmes. Comment nous atteignons-nous ? Par un genre de connaissance absolument différent de la connaissance par idées, genre de connaissance qu’on peut appeler connaissance par sentiment intérieur ou par conscience. C’est la seule espèce de connaissance dont notre âme soit justiciable. — Car il n’y a pas en nous d’idée qui réponde à notre âme. D’une telle idée nous pourrions déduire toutes les propriétés de cette âme, que nous connaîtrions dès lors parfaitement. Or, cela n’est pas. Par exemple, si je n’avais jamais senti de douleur, j’ignorerais si j’en suis capable. Il me faut donc une expérience directe pour savoir que je suis susceptible de telle ou telle modification. Sans doute, il y a en Dieu une idée qui répond à mon âme, ou plutôt à laquelle mon âme répond. Mais, cet archétype de mon âme, je ne le vois pas. Et je ne pourrais pas le voir sans me détacher de mon corps et sans être fasciné par la beauté de mon être spirituel, en d’autres termes, sans sortir des conditions de la vie terrestre. Ainsi, la connaissance rationnelle, la connaissance claire et distincte, qui fait que la substance même des choses nous devient pleinement intelligible, cette connaissance par idées reste pour nous limitée au monde des corps. Pour notre âme, nous devons nous contenter d’une connaissance par sentiment. Cette dernière connaissance n’est rien d’autre que la perception ou la conscience que nous avons de nos diverses modifications. Assurément, elle demeure obscure et confuse. Cependant elle est certaine. Tout imparfaite qu’elle reste, elle est donc recevablc dans son ordre, qui est celui de la pure expérience.

Dieu.

Comment Malebranche conçoit-il Dieu

considéré premièrement en lui-même, puis dans son œuvre, enfin dans son gouvernement ?

1. Existence et attributs.

De toutes les vérités accessibles à la raison, l’existence de Dieu est celle qui comporte le plus grand nombre de preuves. Et les preuves métaphysiques, en même temps qu’elles établissent que Dieu est, font apparaître ce qu’il est.

Or, la plus forte des preuves métaphysiques est la preuve ontologique. Elle se tire de l’idée même de l'Être infini. Mais ce n’est pas seulement le contenu, c’est encore la présence en nous de cette idée qui atteste l’existence de Dieu. En effet, l’idée de l’infini ne peut pas se déduire de l’idée du fini par voie d’addition ou de majoration. C’est, au contraire.l’idée du fini qui est extraite de l’idée de l’infini par mode de limitation. Et la preuve qui résulte de cette idée de l’infini que nous portons en nous, est une preuve de