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MAL, DOCTRINE DE SAINT Al GUSTIN


De subsiste pas, connue subsiste un animal quelconque- ; et on ne mettra jamais sous les yeux son existence existant vraiment. c.nr le mal est in privation du bien. » ibid., col..'ilO sq.

Le progrès est sensible en netteté et en précision. Au point de départ un essai de preuve, par le simple énoncé de ce principe évident en lui-même, que le contraire ne peut engendrer le contraire. Il s’ensuit que Dieu, étant bon, le mal ne vient pas de lui ; comme rien ne tient que de lui seul la subsistance, il s’ensuit encore que le mal n’a pas de subsistance. Il n’est pas une essence. Simple accident des substances, il est la privation du bien.

Il semble que ce soit là le dernier mot de la théologie grecque sur la nature du mal. Chez saint Jean Chrysoslome nous ne retrouvons que l’afîirmation pure et simple, l’appel à l’autorité. « D’où vient le mal ? me direz-vous. Et moi, je vous réponds que vous ne devez pas, pour en expliquer l’existence, admettre un principe mauvais. Vous blasphémez en soutenant que le mal existe par lui-même. C’est un blasphème que d’affirmer l'éternité d’un principe mauvais, de lui attribuer le pouvoir divin et de le mettre sur le même rang que la vertu. Le mal, dites-vous, existe par luimême ; mais vous avez oublié cette parole de l’apôtre : « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par tout ce qui a été fait. » Rom., v, 20. In Aci. Apost., hom. ii, n. 4, P. G., t. lx, col. 31.

C’est vraisemblablement à la même date qu’il faut placer divers traités faussement attribués à Justin. On y relève des sentences comme celles-ci : « Tout ce qui est sur la terre est bon, comme ayant pour auteur le Souverain Bien ; le souverain mal, quant à la substance, n’atteint pas les créatures, ni par l’opération de ce qui est le mal par la substance. » Quæst. Christian, ad gentiles, n. 5, P. G., t. vi, col. 1412. « Le souverain mal n’existe pas ; le supposer, c’est poser un principe contraire à Dieu. » Ibid., n. 1, 2, col. 1405. « Rien d’essentiellement mauvais n’est adjoint à notre vie. » Quæst. et respons. ad orlhodoxos, 46, id., col. 1292. « Le mal n’est que la perversion », « la dépravation du bien ». Ibid., 73, col. 1313.

La liste des auteurs et des citations pourrait s’allonger ; nous en avons rapporté assez pour pouvoir conclure que partout, en Orient, au ive siècle, les docteurs chrétiens avaient le sentiment très vif que Dieu ne saurait être regardé comme l’auteur du mal.

b) Chez les Latins. — En Occident, le seul auteur qui mérite une mention spéciale est Tertullien. Il a dit sa pensée sur la question du mal tout spécialement dans son traité contre Hermogène, mais aussi, à l’occasion, dans le volumineux traité contre Marcion.

L’africain Hermogène, philosophe stoïcien passé au christianisme, troublé par la question de la création, s'était mis à enseigner que la création ex nihilo ne se comprend pas, que Dieu ne peut créer une chose de rien. Un tel principe conduisait nécessairement à l’une ou à l’autre des deux doctrines que nous avons signalées : le monde émanation de Dieu, ou bien la matière existant éternellement. Hermogène s'était arrêté à cette seconde conséquence, et prétendait que Dieu avait tout fait avec une matière incréée qui lui était coéternelle. C’est à cette matière première, incréée, coéternelle à Dieu qu’il attribuait le mal. Hermogène aboutissait donc, comme le gnosticisme, à un véritable dualisme. « Admettre une Matière éternelle, répond Tertullien, c’est introduire deux dieux, puisque c’est faire la Matière l'égale de Dieu. Prétendre que Dieu a tout créé avec cette Matière incréée qui lui était coéternelle, c’est faire la Matière supérieure à Dieu, puisqu’elle lui

fournit les éléments de son œuvre, et que Dieu est soumis a la Matière, dont il a eu besoin. » Adv. Hermog., c. iv, viii, P. L., t. ii, col. 200. Mais passons. Dieu a donc tout fait avec la matière. Par conséquent le bien et le mal qui provient de la matière, doivent êtrenécessairement attribués à Dieu, ou le bien seul à Dieu et le mal à la matière, ou l’un et l’autre simultanément à Dieu et à la matière. Mais Dieu qui est bon ne peut être l’auteur du mal ! d’autre part, une matière totalement mauvaise ne peut engendrer le bien. Si donc Dieu ne peut être l’auteur du mal, on doit, ou admettre, l’existence de deux principes coéterncls, ce qui est absurde (iv, vin), ou revenir à la notion chrétienne de la création ex nihilo : superest uti Deum omnia ex nihilo fecisse constel. Op. cit., c. xvi, col. 211, 212.

Le principe est excellent, et Tertullien en tire ici un bon parti : mais il n’y est plus revenu, ce qui prouve qu’il n’avait pas approfondi la question de l’origine du mal.

Après Tertullien, les auteurs latins gardent le silence, ou à peu près. Saint Ambroise a bien combattu les manichéens (sermons sur la Genèse), mais en se plaçant au point de vue de leurs attaques contre l’Ancien Testament. Il n’y a guère que Lactance, qui, dans son De ira Dei, traitant au t. I, de la Providence de Dieu et de la création, indique d’un mot que le mal ne lui est pas imputable : Est enim disconveniens Deo, ut ejusmodi potestate sit præditus, qua noceal et obsit, prodesse vero, ac benefacere nequeat. Qum igitur ratio, quæ spes salutis hominibus proposila est si malorum tantummodo auctor est Deus ? C. iii, P. L.. t. vii, col. 84. Sur le dualisme réel ou apparent de Lactance, voir Lactance, t. viii, col. 2440.

2. Intervention de saint Augustin.

Il faut arriver à saint Augustin pour trouver, en Occident,

une doctrine du mal. Le premier, il a abordé le problème par son côté métaphysique.

Le grand docteur a élaboré cette doctrine au cours de sa lutte contre les manichéns. Ancien manichéen lui-même, nul plus que lui n'était apte à mettre en relief les erreurs de la secte. Il employa à les réfuter toutes les ressources de son génie philosophique et théologique. Sur les conditions historiques de sa lutte, cf. Douais, Saint Augustin contre le manichéisme de son temps.

La polémique commence avec le traité De moribus Ecclesiæ catholiav et de moribus manichœorum, (an. 388 d’après Portalié, Martin ; fin de 387, d’après Douais) et se termine avec le chap. xlvi du traité De hæresibus (428). Entre ces ouvrages, sans parler des sermons et de la correspondance de saint Augustin, s’en placent quinze autres. Cf. Douais, op. cit.

De cette polémique et de ces ouvrages, nous ne retiendrons que ce qui a trait aux deux questions qui nous occupent : nature et origine du mal. Du reste, ces questions dominent tout le débat ouvert entre Augustin et les manichéens. « Pour saint Augustin, là était le véritable débat entre lui et les manichéens. Aussi il est trois points auxquels il revient sans cesse, au sujet desquels il argumente et qu’il veut prouver : la nature du mal, son origine, la nature des êtres. » (Douais) Seuls, les deux premiers nous intéressent.

a) Nature du mal. — Les manichéens commencent toujours par demander : D’où vient le mal ? Mais comment répondre si l’on ne sait pas d’abord ce qu’il est ? De mor. manich., t. II, 2, P. L., t. xxxii, col. 1345. Or, d’après les manichéens, le mal pour une chose est ce qui est contraire à sa nature : cuique generimalum esse, quod contra ejus naturam est. Ibid. C’est encore ce qui nuit : quod nocet, 5, enfin, disaient-ils, le mal c’est la corruption, 7.

Mais ces définitions ne sont pas recevables : ou elles manquent d’exactitude ou elles n’atteignent