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MAISTRE (.JOSEPH DE)


sur cet ouvrage », qu’est la constitution de 17 ! ».") ». Ibid., c. vi. Les « prétendus dangers d’une contrerévolution sont créés par l’imagination des coupables » qu’elle menacerait et, en réalité, « le rétablissement de la monarchie qu’on appelle contre révolution, ne sera point un révolution contraire, mais le contraire d’une révolution. » Ibid., c. x.

2° Les Soirées de Saint-Pétersbourg ou entretiens sur le gouvernement temporel de la Providence, 2 in-8°, 1821. Œuvres, t. iv et v, auxquelles se rattachent deux écrits de moindre étendue : Éclaircissements sur les sacrifices, t. v, p. 283-362, et Sur les délais de la justice divine, traduction d’un traité de Plutarque, in-8°, 1816, Œuvres, t. v, p. 382-470. Ces ouvrages, qui tous traitent du gouvernement de la Providence se relient par là aux Considérations.

Les Soirées sont une suite de Il entretiens entre le comte, Joseph de Maistre, le sénateur, un Russe illuminé, M. Tamara, et le chevalier, un jeune émigré français sceptique, de Bray, devenu représentant de Bavière à Pétersbourg. Cf. abbé J. Loth, Le Chevalier des Soirées de Saint-Pétersbourg, dans Mémoires de l’Académie de Rouen, 1883-1884. Ces entretiens touchent à de nombreuses questions, mais toutes se ramènent au gouvernement de la Providence, à l’ordre qu’elle assure dans le monde, aux rapports de l’homme avec Dieu, du libre arbitre avec la puissance divine. Sur ces points de Maistre contredit les solutions rationnelles du xviiie siècle par les solutions traditionnelles.

Une belle nuit d'été sur les bords de la Neva, les trois amis sont amenés à discuter « le grand scandale de la raison humaine, savoir, le bonheur des méchants et le malheur des justes » et par là « à sonder, autant du moins qu’il est permis à la faiblesse humaine, l’ensemble des voies de la Providence dans le gouvernement du monde moral >. L’autre vie assurera le triomphe de la justice, disent habituellement les défenseurs de la Providence. De Maistre va plus loin : il est faux, dit-il, « évidemment faux que le crime soit en général heureux et la vertu, malheureuse en ce monde… Les biens et les maux sont une espèce de loterie où chacun sans distinction, peut tirer un billet blanc ou noir. Il faudrait donc changer la question et demander, pourquoi, dans l’ordre temporel, le juste n’est pas exempt des maux qui peuvent affliger le coupable, et pourquoi le méchant n’est pas privé des biens dont le juste peut jouir ? » I er entretien, Œuvres, t. iv, p. 15. Mais « une loi générale, si elle n’est injuste pour tous, ne saurait l'être pour l’individu. Une loi juste n’est point celle qui a son effet pour tous, mais celle qui est faite pour tous ». Or, le mal physique, la souffrance, n’existe dans le monde que comme remède ou expiation du mal moral qui est le péché. Il est ainsi une loi générale. Ibid., p. 22-25. L’homme de bien souffre donc, non parce qu’il est homme de bien, et le méchant prospère, non parce qu’il est méchant, mais parce qu’ils sont hommes l’un et l’autre. Et même, à bien examiner les choses, si « le plus grand bonheur temporel n’est nullement promis et ne saurait l'être à l’homme vertueux », du moins « la loi visible et visiblement juste est que la plus grande masse de bonheur, même temporel, appartient à la vertu ». Imaginez un autre ordre de choses comme serait, par exemple, la récompense immédiate de l’action vertueuse ou le châtiment immédiat de l’action coupable ; aura-t-il seulement « une apparence de raison et de justice » ? I er et VIIIe entretiens, passim.

Que le châtiment soit un rouage nécessaire du monde, c’est une des croyances les plus anciennes de l’humanité « Le châtiment gouverne l’humanité entière, le châtiment la préserve » disent les lois de Manou.et, dans notre société, « toute grandeur, toute

puissance, toute subordination repose » sur le bourreau ; i ôtez du monde cet agent incompréhensible : dans l’instant même l’ordre fait place au chaos ». Ainsi ' fi y a sur la terre un ordre universel et visible pour la punition temporelle des crimes, et du vice ». I er entretien, passim..Mais tout homme est criminel ou de sang criminel. Le péché originel, qui explique tout, et sans lequel on n’explique ien », est la première affirmation de la solidarité par a race et le sang. Il a entraîné en chacun de nous « la capacité de tous les mau » parce qu’il est, « abtraction faite de l’imputation, la capacité de commettre tous les crimes ». Et « il y a des prévarications originelles de second ordre », c’est-à-dire, qui pèsent sur une descendance. De là viennent ces sauvages qui sont des dégénérés, et leur dégradation se manifeste dans leur langue. IIe entretien.

Si l’homme se plaint sans cesse de la Providence, c’est qu’il ignore les vrais biens, ses propres vices et ce que valent ses tristes vertus. Le vrai juste opprimé ne se plaint jamais. IIIe entretien. D’ailleurs, la Providence permet à l’homme de lutter contre les maux qui le frappent et même, puisque ces maux sont des châtiments, de les prévenir par la prière. L’humanité l’a toujours cru. Sans doute « une philosophie aveugle ou coupable ne voyant dans le mal physique qu’un résultat inévitable des lois de la nature », nie la puissance de la prière, mais aucune objection ne peut tenir contre les faits. « Les fléaux dont nous sommes frappés et qu’on nomme très justement fléaux du ciel sont des lois de la nature, comme les supplices sont des lois de la société », donc* d’une nécessité purement secondaire qui doit enflammer notre prière au lieu de la décourager ». IVe, Ve, VIe entretiens et VIIIe, p. 82, 83. De ces fléaux, châtiments du vice, la guerre, si contraire à l’instinct de sociabilité, avec cette gloire qu’elle apporte au soldat, tandis que le bourreau, « l’exécuteur des arrêts de la justice souveraine, occupe l’autre extrémité de l'échelle sociale », la guerre mystérieuse est une loi du monde. Elle est un anneau de cette longue chaîne des expiations par le sang qui font de la terre « un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin… jusqu'à la consommation des choses, jusqu'à la fin du mal ». De quelque côté qu’on la regarde, la guerre apparaît comme divine. VIIe entretien.

Enfin les souffrances du juste lui sont utiles et glorieuses ; « elles le perfectionnent et accumulent ses mérites ». VIIIe entr., t. v, p. 85 ; elles sont pour lui un moyen d’expier sur terre, avant ce Purgatoire dont l’existence est si compréhensible. Ibid., t.v, p. 89. De plus « le juste en souffrant volontairement ne satisfait pas seulement pour lui, mais pour le coupable par voie de réversibilité ». Ibid, p. 90, et IXe entretien. Dieu n’a-t-il pas accepté « les souffrances du Christ comme une expiation des péchés du genre humain » ? IXe entretien, t. v p. 121. Le dogme des indulgences n’est qu’une application du dogme universel de solidarité et de réversibilité ainsi prouvé. Xe entretien.

Les Éclaircissements sur les sacrifices développent ces idées : 1° On a toujours cru qu’il y avait dans l’effusion du sang une vertu rédemptrice ; 2° qu’une vie pouvait être offerte pour une autre plus précieuse. Ce dogme de la substitution enfanta même les sacrifices humains ; 3° il n’y a pas de religion entièrement fausse. Le paganisme, en affirmant universellement la rédemption par le sang, ne pouvait se tromper. Le christianisme a simplement « notifié » cette « idée universelle » qui lui avait « rendu d’avance le témoignage le plus décisif ».

Le traité Sur les délais de la justice divine, traduction libre d’un traité de Plutarque, justifie la Providence de ne point punir toutes fautes immédiatement. De