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MABILLON

des points de discipline, des exposés d’opinions. En somme, Mabillon appartient beaucoup plus à l’histoire et à la liturgie qu’à la théologie.

Pour mettre un peu d’ordre dans notre exposé, nous suivrons l’ordre des traités de la théologie dogmatique, auxquels nous joindrons quelques points de morale.

1o  Sur la théologie elle-même, son objet et sa méthode d’enseignement, le Traité des études monastiques nous livre la pensée de Mabillon. Dans la seconde partie où il traite des études qui conviennent aux solitaires et de la méthode à suivre, il conseille de faire des recueils, il recommande la Somme de saint Thomas comme un excellent ouvrage, un peu trop long cependant. Mais, depuis ce grand docteur, ajoute-t-il, la scolastique a bien dégénéré : il ne faut pas s’amuser à ces questions inutiles qui ne servent ni à appuyer la foi, ni à régler les mœurs. Quant aux casuistes, ils ont subtilisé jusqu’à perdre la raison ; leur étude est dangereuse pour qui veut s’instruire de la morale chrétienne, il y aurait beaucoup plus de profit à lire les Offices de Cicéron. Les chapitres xviii-xxi contiennent un plan général pour la théologie. Traité des études monastiques, 2 vol. in-12, Paris 1692, t. I, p. 302-304 ; t. II, p. 315.

2o  Sur l’autorité de l’Église et ses décisions concernant les sources de la tradition, Mabillon donne quelques observations sur l’approbation des livres par le souverain pontife (Acta Sanctorum O. S. B., t. IV, 2e partie, préface). Se trouvant à Rome au moment où les écrits d’Isaac Vossius étaient déférés à l’Index, on voulut avoir son opinion avant de statuer. Sa réponse fut qu’il n’y avait pas lieu de les condamner ; le sentiment de Vossius tendant à restreindre le déluge biblique à la terre habitée par les hommes, n’étant opposé ni à la foi, ni aux mœurs, il n’y avait aucun péril à le tolérer. Votum D. Joannis Mabillonii de quibusdam Isaaci Vossii opusculis, dans Œuvres posthumes, t. II, p. 59.

3o  Culte des reliques et des saintes images. — Mabillon remarque que le culte des saintes images n’a pas été permis sans réserve dans les premiers siècles de l’Église : on voulait ménager la délicatesse des païens nouvellement convertis. L’hérésie des iconoclastes, quand elle parut, fut favorisée par les empereurs de Constantinople, Léon l’Isaurien, Constantin Copronyme. Le concile de Nicée, VIIe œcuménique, en 787, la condamna : les évêques français ne comprirent pas tout d’abord la décision de ce concile. Cf. Acta Sanctorum O. S. B., t. IV.

Pour ce qui est de la canonisation des Saints, Mabillon distingue trois temps différents ou trois manières successives de canoniser les saints dans l’Église catholique : 1. de la naissance de l’Église jusqu’au xe siècle, le pouvoir en était dévolu à l’évêque du consentement des peuples ; 2. depuis le xe siècle jusqu’à Alexandre III (1170), les évêques canonisèrent encore les saints, du consentement du pape ; 3. depuis Alexandre III, les papes se sont réservé le pouvoir absolu de mettre les serviteurs de Dieu au rang des saints. Acta Sanctorum O. S. B., t. V, préf.

Sur le culte des Saintes reliques, nous avons de Mabillon deux mémoires assez considérables entre lesquels on a voulu voir une contradiction. Après avoir résumé chacun de ces mémoires, nous dirons que la contradiction n’est qu’apparente.

1. Le premier mémoire est la lettre qui a pour titre : Eusebii Romani ad Theophilum gallum epistola de cultu sanctorum ignotorum, 1re  édit., in-4o, Paris, 1698 ; 2e  édit., in-12, Paris, 1705 (voir plus haut : Vie, col. 1429). Se trouvant à Rome, Mabillon avait étudié sur place les principes sur lesquels on se fondait pour reconnaître les reliques : un décret de la S. Congrégation des Rites rendu en 1668 donnait comme indices du martyre la palme gravée sur la pierre du loculus où étaient renfermés les ossements, et la fiole de sang placée à côté. Dans ses visites aux catacombes, Mabillon remarqua que plusieurs inscriptions même avec la palme et la fiole, n’avaient aucun caractère religieux, que d’autres avaient un caractère nettement païen, comme le diis manibus ; de ces constatations se dégageaient les conséquences suivantes : il ne fallait pas se hâter de voir un vestige de sang humain dans des vases d’argile qui étaient peut-être destinés à brûler de l’encens ; la palme pouvait être une représentation du cyprès, symbole non du martyre mais de la mort. En somme tous les ossements contenus dans les catacombes étaient des restes de chrétiens ; ceux-là seuls pouvaient être considérés avec certitude comme des ossements de martyrs près desquels se trouvait l’attestation expresse des supplices endurés pour la foi ; à la plupart des fioles, sinon à toutes, on pouvait attribuer un autre usage que celui de conserver le sang recueilli du corps des martyrs. Mabillon constatait d’autre part qu’en fait aucun discernement ne présidait à la recherche des reliques des martyrs ; de là des abus et des scandales pouvaient résulter dans le culte rendu à de telles reliques. Avec toutes les précautions que demandait une matière aussi délicate, mais aussi avec tout le zèle que lui inspirait son amour pour la religion, il exposa son opinion dans la lettre latine publiée sous le pseudonyme d’Eusèbe. Elle fut favorablement accueillie en France, comme le montre la lettre de Fléchier, évêque de Nîmes à Mabillon ; le prélat écrivait, en effet, en date du 2 mai 1689 : « Il fallait qu’un homme aussi éclairé et aussi judicieux que vous l’êtes nous apprît à discerner dans l’obscurité des sépulcres les cendres des saints d’avec celles des pécheurs, et à régler, selon les preuves évidentes ou douteuses, les honneurs qu’on rend quelquefois indifféremment à des ossements incertains comme aux reliques des martyrs. Il y avait longtemps que je souhaitais qu’on abolît certaines superstitions qui s’introduisent en faveur de ces corps qu’on appelle saints et qui n’ont peut-être jamais été baptisés. Les peuples sont naturellement crédules. La cour de Rome est quelquefois bien libérale de tels présents. » Non moins caractéristique est ce passage d’une lettre que Fleury écrivait à dom Ruinart le 2 février 1698 : « J’ai lu avec un grand plaisir la lettre du R. P. Mabillon que vous m’avez fait la grâce de m’envoyer. Tous les gens sensés et véritablement pieux voient avec plaisir réfuter solidement les erreurs qui peuvent être occasion de superstition et décrier au dehors les saintes pratiques de la religion. Cf. Valéry, Correspondance inédite de Mabillon et de Montfaucon avec l’Italie, 3 vol. in-8o, Paris, 1846, t. III, p. 7, 8. Cependant on s’émut à Rome ; de vifs contradicteurs déférèrent la Lettre d’Eusèbe au tribunal du Saint-Office. Voir à ce sujet une lettre de dom Estiennot à Mabillon, dans Valéry, op. cit., t. III, p. 8-14. Mabillon adressa à dom Estiennot une Commonitoria Epistola… super epistola de cullu sanctorum ignotorum, in-12, Paris, 1698, qui fut communiquée manuscrite aux cardinaux et aux prélats tant de la Congrégation du Saint-Office quedecellede l’Index. Valéry, op. cit., t. III, p. 39. Ceux-ci déclarèrent qu’ils en étaient fort contents. On croyait l’affaire terminée, quand après plusieurs années on recommença la poursuite à la Congrégation de l’Index. La condamnation paraissait imminente ; des cardinaux représentèrent au pape ce qu’elle aurait de fâcheux pour un homme de la réputation de Mabillon. Clément XI arrêta l’affaire en représentant que ce religieux respectueusement sincère à l’égard du Saint-Siège fournirait avec plaisir les explications qu’on lui demanderait sur son livre. On