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L619 MAIIOMÉTISME, SOUNNISME, DOCTEURS PRINCIPAL X

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la certitude sur des arguments, c’est amoindrir l’immense miséricorde de Dieu. Cette miséricorde se manifeste de temps à autre par des émissions de lumière ; il faut en épier s «  « ns cesse l’apparition. « Ainsi éclairé, je vis que tous ceux qui se livrent à la recherche de la vérité se divisent en quatre groupes : 1° Les scolastiques partisans de la discussion spéculative ; 2° Les bâtiniens qui mettent la source de toute science en leur imàm ; 3° Los philosophes qui arguent de la raison et de l’argumentation ; 4° Les oûfis qui se disent élus de Dieu et possesseurs de la vérité par l’extase. Convaincu que la vérité, si elle pouvait être trouvée, ne pouvait l'être en dehors de ces quatre groupes, je concentrai mes recherches sur eux en adoptant l’ordre suivant : scolastiques, philosophes, bâtiniens, soûfis. « Les scolastiques ne pouvaient me satisfaire : leur but est de maintenir l’orthodoxie et de la défendre par l’argumentation. Mais cette discussion s’appuie sur des bases une fois données ; elle ne remonte pas aux vérités primordiales, aux principes fondamentaux. Ce n’est pas que cette science soit à rejeter, mais elle reste dans un plan inférieur et je ne pouvais m’y arrêter. « Je mis deux ans à me pénétrer des doctrines des philosophes ; pendant un an encore, je les tournai et les retournai en tous sens pour en pénétrer les obscurités et les profondeurs. Je vis alors tout ce qu’elles contenaient de mensonges et de chimères. J’ai fait contre eux un traité intitulé : L'écroulement des philosophes. J’ai montré que la somme de leurs erreurs se ramenait à vingt propositions dont trois sont impies, contraires à l’islam et dix-sept hérétiques.

Je passai ensuite aux ta’lîmites. Ceux-là affirment qu’il faut, pour être guidé, un directeur infaillible. Soit, mais nous l’avons en la personne du Prophète. Son enseignement est parfait comme l’atteste le Coran : « Aujourd’hui j’ai mis le sceau à votre religion. » Peu importent quelques difficultés de détail que chacun peut résoudre par l’idjtihdd. Les croyances fondamentales sont toutes contenues dans le Coran et la tradition. Quant aux questions qui prêtent à la discussion, on y découvre la vérité en les pesant dans la Balance juste, c’est-à-dire par les règles d'équité dont parle le Coran. Je les ai établies dans mon traité intitulé la Balance juste. « Je passai enfin au soufisme. Je vis qu’il consiste en sentiments plutôt qu’en définitions ; ce que je devais lui demander était non du domaine de la science, mais de l’extase et de l’initiation. J’avais acquis une foi solide sur trois points : Dieu, la prophétie, le jugement ; j’y étais arrivé non pas seulement par raisonnements, mais encore par une suite de circonstances dont je ne parlerai pas. Je compris, par le ^oùfisme, qu’il fallait pour faire son salut, remporter la victoire sur ses mensonges pour se tourner vers l'éternité et la médii tation en Dieu. Je quittai subrepticement Baghdàd, je me retirai en Syrie, où je vécus deux ans dans la solitude, le recueillement et les exercices de piété ; j’allai ensuite à Jérusalem, à la Mecque, à Médine, partout où je pouvais vivre solitaire et me recueillir en Dieu. Dix années se passèrent ainsi, où j’eus la révélation que les ; où fis sont les vrais pionniers de la voie de Dieu, que rien n’est plus beau que leur vie, de plus louable que leur règle de conduite, de plus pur que leur morale. Au nombre des convictions que m’apporta la pratique du soufisme est la connaissance du véritable caractère du prophétisme. Pour la bien posséder, la raison ne suffit pas, il faut l’intuition et l’extase. Arrivé à cette connaissance, si l’on étudie sérieusement le Coran et la Tradition, on voit de toute certitude que Mahomet est le plus grand des prophètes. Je connus de même certitude bien d’autres vérités. « Voyant alors combien autour de moi les musulmans étaient ignorants, la pensée me vint d’abandonner ma retraite pour retourner au milieu d’eux et les enseigner. Puis j’y renonçai, désespérant de réussir dans une pareille tâche. Mais Dieu me ramena à ma première pensée : inspiré par lui, le souverain d’alors m’intima l’ordre de venir à Nichapoûr, afin de combattre l’affaiblissement des croyances. En conséquence, je m’y rendis en 499, après onze ans de retraite. »

Le traité de Ghazâlî se termine par une étude des causes de l’affaiblissement des croyances, et par une démonstration de l'éminence du prophète, fondée sur les mystères de l’astrologie et de la médecine. Qui croit à l’influence des astres et aux propriétés des médicaments ne doit pas s'étonner que le Prophète ait été doué de qualités supérieures. Sa pensée, dit-il, a pénétré dans une sphère inaccessible à l’intelligence, et il répète : « lisez attentivement le Coran, étudiez la Tradition, et la conviction se formera dans votre esprit. »

On a parlé du scepticisme de Ghazâlî. Il nous semble, par ce court exposé emprunté à lui-même, qu’il n’y a en lui rien de semblable. On peut y voir bien plutôt un véritable cercle vicieux dogmatique, qui consiste à considérer comme démontrée l’infaillibilité du Prophète, l’excellence de l’islam, de s’en servir pour réfuter les opinions qui y sont opposées, et de conclure par une démonstration de ce qui a été posé en principe. Son scepticisme s’arrête à l’islam et consiste simplement à déclarer que les choses de la religion sont au-dessus de la raison. Au fond, toute sa pensée est là. Ce qu’il reproche aux philosophes, c’est de n'être pas d’accord avec l’islam. Or les philosophes musulmans affirmaient résolument le contraire. Pour eux, la raison laissée à elle-même, à son évolution naturelle, aboutissait à Dieu et à une vue de la vérité identique à celle de la révélation. Celle-ci était le mouvement de Dieu vers la créature, la philosophie le mouvement de la créature vers Dieu ; le chemin était parcouru en deux sens différents mais restait identique. Un de ces philosophes n’avait-il pas émis l’hypothèse hardie d’un enfant né dans une île déserte, se développant sans parents, sans aucune influence humaine et arrivant, par degrés, en ses méditations aux vérités fondamentales de la foi, si bien qu’un solitaire musulman, débarquant un jour dans cette île, constate avec stupéfaction ce résultat. C’est ce que Ghazâlî n’a jamais voulu admettre, et c’est pourquoi, résolu à trouver la vérité, c’est-à-dire à démontrer l’excellence de sa foi musulmane, il déclara que cette démonstration n’appartient pas à la raison, mais au sentiment, c’est-à-dire à la foi elle-même. Seulement pour que le sentiment, qui a un caractère essentiellement personnel, ait la généralité d’une démonstration, il faut qu’il soit provoqué par une discipline spéciale, par une règle de vie. C’est donc en définitive le renoncement et la méditation en Dieu qui donnent la vérité. Appliqués suivant les préceptes de l’orthodoxie musulmane, ils donneront la foi musulmane.

On a mis en doute la sincérité de Ghazâlî parce que dans l’ensemble de ses écrits, il ne paraît pas avoir toujours la même fermeté de conviction et qu’il semble souvent adopter des opinions, qu’il combattra ensuite. C’est que, comme on l’a remarqué, il s’est toujours efforcé de s’assimiler la pensée de ses adversaires et de la présenter sous son jour le plus favorable pour mieux la combattre. Déjà ses contemporains lui avaient montré le danger de faire ainsi le jeu de ces adversaires et que le lecteur, séduit par sa trop habile argumentation, n’attendît pas la réfutation et adoptât tout d’abord la doctrine qu’il fallait détruire.