Rancé, piqué au vif, répliqua par une attaque directe d’une verve et d’une véhémence singulières ; Ses admirateurs eux-mêmes jugèrent qu’il dépassait le but. Sur ce sujet, voir Bossuet, Œuvres, éd. Vivès, t. xxiv, p. 831 ; Leibnitz : Œuvres complètes : Lettre à Magliabrecht, t. v, p. 98.
À peine l’impression de la réponse de Rancé était-elle achevée (27 février 1692) que Mabillon donnait au mois de juin suivant ses Réflexions sur la réponse de M. l’abbé de la Trappe au Traité des études monastiques : il y remettait la question dans son vrai jour, prouvait que les études intellectuelles, pour n’être pas de l’essence de la vie religieuse, n’étaient ni en désaccord avec l’état monastique, ni nuisibles à la perfection, mais bien plutôt aussi utiles aux religieux que profitables à la défense de l’Église, à l’édification commune. Il terminait en protestant qu’il voulait tout sacrifier à la paix et à la charité chrétienne. La dispute ne pouvait se prolonger indéfiniment : des amis communs préparèrent un rapprochement entre les adversaires. Mabillon se rendit à la Trappe ; dans un entretien où ils s’édifièrent mutuellement, les deux religieux promirent un oubli réciproque de la question qui les avait divisés un moment.
Le pape Clément XI ayant désiré une nouvelle édition des Livres de la Considération de saint Bernard, Mabillon fut chargé de ce soin : le pape l’en remercia par un bref élogieux pour toute la Congrégation de Saint-Maur.
Pendant son séjour à Rome, dom Mabillon fut frappé de la manière rapide dont on envoyait aux diverses églises des corps tirés des catacombes, et se demanda si l’on n’exposait pas ainsi les fidèles à vénérer de fausses reliques. Il s’expliqua sur ce sujet délicat dans une dissertation pseudonyme publiée sous ce titre : Eusebii romani epistola ad Theophilum gallum, de cultu sanctorum ignotorum, in-4o, Paris, 1698. Pleine de faits curieux et de sages critiques, Cette lettre détruisait plusieurs erreurs et diverses superstitions qui s’étaient introduites en faveur de corps qu’on appelle saints et qui n’ont peut-être jamais été baptisés. » (Lettre de Fléchier évêque de Nîmes à dom Mabillon). Traduite en français par différents auteurs, imprimée à Paris, à Bruxelles, à Grenoble, cette lettre eut un immense succès, mais elle déplut à Rome. On la déféra à l’Index ; peu s’en fallut qu’elle ne fût condamnée, mais le pape Clément XI, en ayant été informé, prit l’affaire en main, demanda quelques corrections que Mabillon fit dans une nouvelle édition : Eadem Epistola Eusebii… recognita et aucta, in-12, Paris, 1705. On trouve ces deux éditions dans Œuvres posthumes, t. i, p. 209 et sq. La lettre ainsi modifiée eut l’approbation de Rome.
Calomnié auprès des catholiques anglais à qui on avait voulu faire croire qu’il était passé au protestantisme, Mabillon dans une lettre indignée donna une nouvelle preuve de son attachement à la foi catholique déclarant vouloir y persévérer jusqu’à la fin de ses jours : Lettre aux catholiques d’Angleterre, sur le bruit répandu dans ce royaume qu’il avait changé de religion, 1698. — Trompé au sujet d’un frère dont il plaida la cause avec trop d’insistance, il crut devoir s’en humilier et en demander pardon par écrit : ceci nous a valu ses Réflexions sur les prisons des ordres religieux (Œuvres posthumes, t. ii, p. 321). Entre temps, il publiait une Lettre circulaire sur la mort de Jacqueline Bouette de Blémur (1694), donnait une traduction nouvelle de la Règle de saint Benoît, 1697, adressait la Lettre d’un bénédictin à M. l’évêque de Blois touchant le discernement des anciennes reliques, au sujet d’une Dissertation de M. Thiers contre la sainte Larme de Vendôme, in-12, Paris, 1700. C’est à tort qu’on a voulu voir une contradiction entre cet écrit et la Lettre d’Eusèbe. Mabillon, en prenant la défense du trésor de Vendôme, ne prétend pas prouver ou même simplement affirmer l’authenticité de la relique : il s’appuie sur l’existence séculaire d’un culte, inspiré par une parfaite bonne foi et dont la suppression causerait du scandale.
Une fois pourtant la sagacité de Mabillon fut trouvée en défaut : avec Baluze et Ruinart il se trompa sur une expertise en vue d’établir la filiation des Latour d’Auvergne. Voir C. Loriquet, Le cardinal de Bouillon, Baluze, Mabillon et Ruinart dans l’affaire de l’Histoire générale de la maison d’Auvergne, Reims, 1870 : J. Depoin, Une expertise de Mabillon, dans Archives de la France monastique, t. v, p. 127-143.
Il contribua à la publication de l’Édition des Œuvres de saint Augustin, qui souleva les polémiques les plus vives. Voir ci-dessous, col. 1434. Ce fut lui qui rédigea la Dédicace au roi et qui composa la préface générale plusieurs fois modifiée et finalement arrêtée, refaite à l’aide des observations de Bossuet. Personne ne mit en doute la parfaite bonne foi du savant bénédictin, ni son inviolable attachement à l’unité catholique. Le silence se fit quand un décret de la S. Congrégation de l’Index du 7 juin 1700 eut condamné tous les écrits de polémique faits contre l’Édition de saint Augustin.
Élu membre de l’Académie des Inscriptions en 1701, dom Mabillon accepta cet honneur par obéissance. L’année suivante, en 1702, il composait un Traité de la mort chrétienne, dédié à la Reine d’Angleterre.
Dès l’année 1693, il avait commencé les Annales de l’ordre de saint Benoît, mais il en retarda l’impression pendant dix ans, pour avoir plusieurs volumes entièrement prêts. Le premier volume parut en 1703, les trois suivants furent édités du vivant de Mabillon ; les t. v et vi ont été publiés par les PP. Martène et Massuet : Annales ordinis sancti Benedicti, 6 in-fol., Paris, 1703-1739.
Pendant les premiers jours de décembre 1707, Mabillon sentit les avertissements de sa fin prochaine. Celle-ci fut marquée par de cruelles souffrances qu’il supporta avec patience et résignation, dans les sentiments d’une douce confiance. Ces mots que saint Paulin attribue à saint Ambroise lui revenaient en mémoire : Nec timeo mori quoniam bonum Dominum habemus. Ses dernières paroles furent : Humilité, humilité, humilité. Il expira dans son abbaye de Saint-Germain-des-Prés, le 27 décembre 1707. L’Europe entière s’émut à la nouvelle de cette mort ; bon nombre d’auteurs en France et à l’étranger firent l’éloge du savant. Bornons-nous à noter ici le respect et la soumission de dom Mabillon pour l’Église de Rome. L’extrait suivant de la préface placée en tête du t. iv des Annales de l’ordre de saint Benoît peut être considéré comme le testament de l’érudit : « Qu’à Dieu ne plaise que je me départe jamais en rien de cette règle de la vérité, je veux dire de l’Église notre mère, au jugement et à la censure de laquelle je soumets de tout mon cœur tout ce que j’ai jamais écrit, et tout ce que je pourrais écrire dans la suite, ayant toujours vécu dans son sein et dans la foi et souhaitant ardemment avec la grâce de Notre-Seigneur d’y finir mes jours. »
II. La théologie dans les écrits de Mabillon. — Nous nous sommes étendu un peu longuement sur les ouvrages de Mabillon en donnant sa biographie, pour avoir un point de repère dans l’exposé qui suit. À part quelques dissertations où sont traitées des questions spéciales de théologie, à part aussi des appréciations d’ordre moral, ce que l’on trouve surtout dans les œuvres du savant bénédictin en matière théologique, ce sont des indications historiques concernant