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LEFÈVRE D’ÉTAPLES. SES TRIBULATIONS


ment le peuple chrétien ; amène des schismes qui seront indéracinables, prend à tâche de rappeler les hérésies des manichéens, des vaudois, des wicléfites et des luthériens ; il est en contradiction manifeste avec lui-même, puisqu’il inculque d’une manière continue l’idée qu’il ne faut rien prêcher au peuple que l’Évangile et puisque, d’autre part, il n’est à peu près aucune exhortation, contenue dans ledit livre, qui ne soit contraire à l’Évangile, car ce sont des inventions diaboliques et des contrefaçons hérétiques qui y sont renfermées. Et donc ledit ouvrage mérite d’être publiquement brûlé devant ce peuple même parmi lequel on a essayé de le répandre, avec tous les livres qui lui ressemblent et ceux qui l’ont composé, ou l’ont fait lire et prêcher (ceci est évidemment à l’adresse de Briçonnet ) ; ces personnes en tout cas doivent, pour réparer le scandale, publiquement l’exécrer et le condamner et spécialement les erreurs ci-dessus énoncées. » Duplessis d’Argentré, loc. cit., p. 35 à 40.

Pourtant du fond de sa prison, François I er avait, le 12 novembre, envoyé au Parlement l’ordre de surseoir en faveur de Lefèvre et de ses amis. La régente transmettait ces ordres à qui le droit, en déclarant qu’elle ne souffrirait pas que Lefèvre fût molesté ou travaillé à tort. Voir les références aux pièces d’archives dans Imbart de la Tour, t. iii, p. 250-251. Rien n’y fit. Le 29 novembre le Parlement donnait permission aux juges-inquisiteurs de commencer le procès de Lefèvre. Et les procès de ce genre ne sont pas de vains simulacres ; plusieurs exécutions ont lieu dans l’hiver de 1525-1526.

Ce n’était donc pas prudence exagérée que la fuite de Lefèvre et de ses amis. A Strasbourg ils étaient parfaitement à l’abri. Au moment où ils y arrivaient, la Réforme y battait son plein, la messe se disait déjà en allemand, ou même ne se disait plus ; dans plusieurs églises le service évangélique était déjà introduit ; les religieux commençaient à quitter leurs couvents, certains prêtres s’étaient mariés. Aussi les fugitifs trouvèrent-ils bon accueil auprès des chefs du mouvement réformiste strasbourgeois, spécialement auprès de Capiton. Ils crurent néanmoins devoir garder un incognito d’ailleurs assez transparent. Cette mesure de précaution leur semblait nécessaire pour que, s’ils rentraient en France, on ne pût leur reprocher des compromissions avec des personnages qui étaient dès lors en rupture ouverte avec l’Eglise. De leur côté les réformateurs strasbourgeois ne semblent pas témoigner pour les « évangélistes » de Meaux un très grand enthousiasme. Capiton écrit à Zwingle, le 20 novembre : « Farel, Jacques d’Étaples, Gérard Roussel…, tous français et mes hôtes te saluent. .. La tyrannie des théologiens les a chassés de France. » Zuinglii opéra, édit. Schulthess, t. vii, p. 438. Ce n’est pas très compromettant. Mais, s’ils demeuraient plus ou moins en marge du mouvement réformiste, les gens de Meaux ne laissaient pas d’observer avec beaucoup d’intérêt, disons même de sympathie, la façon dont se réalisaient à Strasbourg plusieurs de leurs idées favorites. Pour Lefèvre nous n’avons pas de renseignements positifs, mais la correspondance de Roussel tant avec Briçonnet qu’avec Nicolas Lesueur, l’élu de Meaux, est particulièrement instructive. S’il fait, au moins quand il s’adresse à l’évêque, quelques légères réserves sur les réformes les plus radicales, Roussel n’en exprime pas moins son admiration pour la manière dont s’annonce à Strasbourg le pur Evangile, dont se célèbre le nouveau culte ; et cette admiration ne laisse pas d’être fort inquiétante. Voir Herminjard, Correspondance des Réformateurs, t. i, p. 406, 411, 433. On ne saurait donc nier que le séjour des gens de Meaux à Strasbourg n’ait contribué à accentuer encore chez

eux la tendance réformiste. L’accentuation des idées « protestantes » dans le Commentaire de Lefèvre sur les Epîtres catholiques s’explique dès lors parfaitement. Sur le séjour à Strasbourg, voir A. Clerval. Strasbourg et la Ré/orme française, dans Revue de l’Histoire de l’Eglise de France, t. vil, 1921, p. 139-160.

4. Lefèvre à Blois.

Le 17 mars 1526, à Bayonne, François I er était échangé contre ses deux fils aînés, dont la présence en Espagne garantirait l’exécution du traité de Madrid. Quelques jours après, le roi était à Paris. En même temps qu’il faisait suspendre le procès contre Berquin, il prenait les mesures nécessaires pour que Lefèvre et Roussel pussent rentrer en France. Mais le séjour à Meaux n’était plus possible. Étroitement surveillé par le Parlement et la Sorbonne, sérieusement effrayé par l’allure qu’avait prise en son diocèse le mouvement réformiste, Briçonnet ne songeait plus qu’à se faire oublier. Paris n’était pas plus sûr pour Lefèvre, la manière dont le Parlement agissait à l’égard de Berquin, malgré les vigoureuses interventions du roi, montrait ce que l’on pouvait craindre du zèle des magistrats. C’est dans l’entourage immédiat du souverain que la sécurité était le plus complète ; Lefèvre fut installé au château de Blois, résidence ordinaire de la cour, et chargé du soin de la « librairie », en même temps que de l’éducation des enfants de François I er. Peu de temps après, Roussel venait le rejoindre, ayant été nommé aumônier de Marguerite, laquelle venait d’épouser, le 24 janvier 1521, le roi de Navarre et résidait d’ailleurs à la cour de France. Ainsi les deux amis se retrouvaient, et il semble bien qu’ils aient travaillé ensemble, durant le séjour à Blois, à la traduction des homélies de saint Jean Chrysostome sur les Actes des Apôtres. C’est à Blois encore que Lefèvre prépara la version française de l’Ancien Testament dont nous avons parlé, col. 146.

Mais, si la personne de Lefèvre était à l’abri, son œuvre n’en continuait pas moins à attirer les colères des théologiens. Il n’y avait pas à tenir grand compte des attaques du chartreux Pierre Le Couturier. Petrus Sutor, qui, en 1523, avait remis sur le tapis la question du triple mariage de sainte Anne, et qui, en

1525, s’était exercé contre les traductions de la Bible : De tralatione Biblise et novarum reprobatione interpretationum. De plus grave conséquence étaient les critiques véhémentes que faisait de Lefèvre (et d’Érasme) le syndic de la faculté de théologie, Beda. Le 28 mai

1526, paraissaient Annotationum Natalis Bedse… in Jacobum Fabrum Stapulensem libri duo et in Desid. Erasmum Roterod. liber unus qui ordine tertius est. Primus in Commeniarios ipsius Fabri super Epp. B. Pauli. Secundus in ejusdem Commentarios super IV Evv. Tertius in Paraphrases Erasmi super eadem quatuor Evv. et omnes apostolicas Epp. La préface se terminait par ces mots : « Si la secte des misérables luthériensavait tiré son nom, comme cela aurait dû être, de son premier fondateur, je ne sais s’il aurait fallu la nommer luthérienne, d’après Luther, ou plutôt fabriste d’après Lefèvre. » Érasme, dès le 14 juin, avait saisi de cette querelle le Parlement, puis le roi. Son intervention amena François I er à prendre une fois de plus la défense de Lefèvre. Le 3 août, il écrit au Parlement, qu’il a soumis à des juges spéciaux l’examen des livres des deux auteurs attaqués, et qu’il ne tolérerait pas la circulation des pamphlets de Beda. Il fallut du temps pour amener à composition le vindicatif syndic, et le roi dut, le 18 mars 1527, citer devant lui la Sorbonne, pour lui demander raison de ses attaques contre ses protégés. Voir pour les références aux pièces d’archives Imbart de la Tour, t. iii, p. 257-259.

Ainsi les derniers mois de 1526 et le début de 1527 voient François I er revenir à cette politique de conciliation qui est proprement la sienne. Pour lui il ne