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    1. LEFÈVRE D’ÉTAPLES##


LEFÈVRE D’ÉTAPLES. IDÉES THÉOLOGIQUES

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apôtre Jacques indique et qui doivent être des hommes pleins d’esprit et de foi, annonçant en toute pureté le verbe de Dieu et l’évangile du salut, on appelle des prêtres quelconques (ainsi nomme-t-on ceux qui administrent les sacrements), ils font l’onction à ces moribonds, mais rien ou presque rien de ce que prescrit l’apôtre. » In Jac, § 39. Nul doute que l’on ne puisse tirer de ce texte des conclusions fâcheuses sur le sentiment de Lefèvre ; toutefois les expressions entend îes prout son mt restent, à la rigueur, susceptibles d’une interprétation orthodoxe. Autant peut-on en dire du passage relatif à la confession qui suit immédiatement et qu’il est bon de donner dans son texte. Après avoir signalé, à propos de Jac, v, 16, la pratique ancienne de l’aveu mutuel que les premiers fidèles se faisaient de leurs torts, Lefèvre ajoute : Nunc autem remissa fide aut prorsus in plurimis extincta, quam Christus Jésus per suum verbum et suum spiritum suscilel, est alius confessionis peccatorum modus, quem etiam sua misericordia acceptet, et parum nunc fit aut quod hic Jacobus monet, aut quod Christus ipse præcipit. Ibid., § 40. Et pourtant dans le Commentaire des Évangiles, à propos de Joa., xx, 23 il est dit clairement : « Comment les péchés seront-ils remis s’ils ne sont pas connus, comment seront-ils connus si le hommes ne les confessent.pas ? Ainsi donc quand le Seigneur parle de la sorte, il insinue qu’il faut faire l’aveu de ses péchés. La manifestation des péchés est donc de droit divin : est ergo peccatorum manifestatio juris divini. In Joan., » § 146. — Pas davantage sur la doctrine eucharistique Lefèvre ne se sépare de l’enseignement traditionnel. Inutile de multiplier les passages où il affirme la présence réelle ; et, si le mot de transsubstantiation ne se rencontre pas sous sa plume, cla ne veut pas dire que soit rejeté le dogme qu’il exprime. Je ne sais vraiment pourquoi l’on a voulu, et cela date de loin, chercher des traces de Vubiquisme luthérien dans des passages où Lefèvre affirme simplement que le Christ est présent corporellement partout où il veut, In Joan., xx, 19 sq., § 146, cf. In Joa., iv, 19-20. Ces passages sont l’expression même du dogme de la présence réelle. Il n’y a pas à insister non plus sur le fait que notre exégète demande, pour que le sacrement opère, la foi du communiant. Tous les théologiens l’ont dit, à la suite de saint Augustin. Et quant à prétendre qu’il nie la réalité du sacrifice de la messe parce qu’il affirme, à la suite del’Épître aux Hébreux, vii, 27, le caractère unique et définitif du sacrifice de la croix, il faut vraiment ignorer, pour tirer cette conséquence, les principes les plus élémentaires de la dogmatique catholique.

Ainsi, sur tous les points principaux où va s’exacerber à partir de 1520 la discussion entre luthériens et catholiques, nous trouvons Lefèvre plus rapproché de la dogmatique traditionnelle que des innovations de Wittemberg. Il n’est pas jusqu’à la doctrine de l’invocation des saints qui ne soit affirmée par notre humaniste. Sans doute il critique, et pour une fois avec assez de verve, la superstition qui ne voit dans les saints que des distributeurs de grâces temporelles, spécialisés en tel ou tel service qu’obtient infailliblement d’eux la prière du fidèle : « Demandes-tu aux saints, écrit-il, de t’accorder un seul grain de blé ? tu crées une nouvelle Cérès. Une seule mesure de vin ? c’est un nouveau Bacchus. La santé de ton troupeau ? voilà un nouveau Pan… La tranquillité des flots ? voici un nouveau Neptune. En toutes choses honorons moins les instruments de Dieu… que Dieu même se servant de ces instruments. » In Marc, xvi, 17 sq., § 104. « Lefèvre, dit Imbart de la Tour, n’en garde pas moins la foi à leur intercession comme à la réversibilité des mérites. Nul n’a mieux parlé de la Vierge « sans péché » et de sa maternité divine. Ici

encore le grand humaniste n’entend point supprimer la tradition doctrinale, mais la spiritualiser. » Les origines de la Ré/orme, t. iii, p. 150.

Et pourtant il faut bien reconnaître que la lecture des commentaires de Lefèvre et, même des tout premiers en date, ne laisse pas de créer je ne sais quel vague malaise. A analyser celui-ci, on voit qu’il provient aussi bien de ce que dit notre exégète, que de ce qu’il ne dit pas. Chez lui, avons-nous dit, pas de récriminations violentes, contre les abus de l’Église, mais une perpétuelle comparaison entre la réalité présente et l’idéal que prescrit l’Évangile. Et ce perpétuel contraste finit par laisser le lecteur dans l’idée qu’il existe une opposition absolue entre l’état de l’Église présente et la vraie doctrine chrétienne. A suivre l’exégète, on arriverait à se convaincre qu’il manque quelque chose d’essentiel à l’institution chrétienne présente pourréaliserl’œuvre que le Christ avait voulu voir s’accomplir par elle. — Et d’autre part Lefèvre ne fait point appel à l’Église pour accomplir les changements nécessaires, très différent en cela de ceux qui, au cours de xve siècle, ont préconisé la réforme. Un d’Ailly, un Gerson s’expriment avec plus d’énergie peut-être sur les abus à combattre, les désordres à réprimer. Mais la lutte contre toutes les contrefaçons sera menée, pensent-ils, par l’Église même et au nom du principe ecclésiastique. Cette idée disparaît presque dans l’œuvre de Lefèvre. A le lire, on se douterait à peine qu’il existe une institution de droit divin dépositaire de la doctrine chrétienne, dispensatrice des grâces divines, gardienne des formes traditionnelles du culte. On ne voit guère chez lui que le croyant, isolé en face de Dieu, puisant dans la lecture des Saintes Lettres l’inspiration nécessaire à sa vie religieuse, directement illuminé, nous l’avons souligné au passage, voir col. 138, par l’opération du Saint-Esprit. Et sans doute cet état d’esprit n’est pas nouveau, il se constate chez nombre de mystiques du xve siècle. Ce retour à l’Évangile en dehors du contrôle de l’Église n’en est pas pour cela moins dangereux. Et la tranquille assurance avec laquelle Lefèvre répète qu’il suffira d’éclairer les âmes des croyants pour que se réforment et la foi et les mœurs, ne laisse pas d’inquiéter au moment surtout où se font entendre dans l’institution ecclésiastique, les craquements précurseurs de la ruine. Le jour où les principes qu’il déduit dans le silence tranquille de sa retraite pénétreront dans les masses, on peut s’attendre à des catastrophes. Or nous allons voir Lefèvre s’employer résolument à les divulguer.

IV. Le réformiste a l’œuvre et ses tribulations. — Des facilités spéciales s’offraient pour cela à l’humaniste converti à l’épangélisme. Dans le groupe qui entoure Briçonnet, nous allons le voir jouer pendant quelques années un rôle prépondérant. Mais bientôt les événements se développeront dans un sens un peu différent de celui qu’il avait prévu ; englobé, non sans raison, dans les suspicions qu’excite « le groupe de Meaux », Lefèvre n’aura plus que la ressource de disparaître.

1° Le « groupe de Meaux ». — Depuis 1520, Lefèvre avait rejoint à Meaux le nouvel évêque Guillaume Briçonnet ; logé d’abord au palais épiscopal, il sera nommé, le Il août, administrateur de la léproserie, et le 1 er mai 1523, vicaire général du diocèse. Il n’était pas le seul à avoir rejoint à Meaux l’évêque réformateur en qui l’évangélisme mettait ses espérances, et qui, avec le zèle d’un François de Sales, ou d’un Charles Borromée entreprenait la réforme de son diocèse. D’autres savants avaient accompagné le vieil humaniste. Gérard Roussel, à qui Briçonnet confiera la cure de Saint-Saintin. l’helléniste Yatable. un compatriote de Lefèvre ; deux théologiens aussi Martial Mazurier, principal du collège Saint-Michel à Paris, et Pierre Caroli,