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LEFÈVRE D’ÉTAPLES. LE PHILOLOGUE CHRÉTIEN

thodes qu’ils préconisaient dans l’étude de la philosophie antique. Or, en ce domaine, le travail de déblaiement était plus indispensable encore que dans le premier. Sans doute le Moyen Age n’avait pas ignoré les Pères de l’Église ; mais d’abord il n’en connaissait qu’un nombre relativement restreint, et ceux qu’il étudiait, il les utilisait surtout pour renforcer l’argumentation dialectique, beaucoup plus que pour acquérir une connaissance du passé chrétien. Ce passé, il se le représentait aisément sous les couleurs du présent, et il n’éprouvait pas le besoin de savoir jusqu’à quel point, les dogmes, les pratiques, les sentiments qu’il connaissait correspondaient aux enseignements, aux lûtes, aux habitudes des anciens.

Ayant pris l’habitude de retourner en toutes choses aux sources anciennes de nos connaissances, l’humanisme ne pouvait pas négliger cette source de la connaissance chrétienne que constitue la patristique. Lefèvre, ici, n’était point un initiateur, et on ne l’avait pas attendu pour étudier en philologue les Pères de l’Église ; il faut reconnaître néanmoins la part énorme que lui et Clichtoue son disciple vont se tailler immédiatement dans ce domaine encore si peu exploré. En 1498 paraît la Theologia viuificans. Qu’on en remarque le sous-titre : cibus solidus. C’est une édition latine des trois grands traités attribués à l’Aréopagite, Cœlestis hierarchia, Ecclesiastica hierarchia, Divina nomina, et des dix lettres (Lefèvre en publie onze) du même auteur. A quoi s’ajoutent les onze épîtres de saint Ignace (les sept classiques dans la recension longue et les quatre qui ne sont connues qu’en latin) et la lettre de saint Polycarpe. — En 1504 sont publiés sous le titre fort significatif Pro piorum recreatione les œuvres suivantes : Le Paradis d’Héraclide (adaptation latine de VHisloire Lausiaque, voir P. L., t. lxxiv, col. 243-342) ; la Lettre de Clément à Jacques qui se lit en tête de la traduction rufinienne des Récognitions clémentines, et les Récognitions elles-mêmes ; une Lettre (apocryphe) d’Anaclet. La préface est datée du 10 février 1503 (en réalité 1504, à cette époque, en France l’année commençait à Pâques.) — En 1507 paraît la Theologia Damasceni, traduction du De fide orthodoxa ; en 1510 le pseudo-Hégésippe qui est attribué à saint Ambroise ; la même année encore les Œuvres de saint Hilaive ; en 1513, la version vulgate du Pasteur d’Hermas (dans un volume de contenu très mêlé intitulé : Libertrium virorum et trium spiritualium virginum) ; en 1520 les Œuvres de saint Basile (Hexameron, Adv. Eunomium, oraison funèbre de Grégoire de Nazianzesur saintBasile, sermons et règles monastiques). Si l’on ajoute à cette œuvre de publication entreprise par Lefèvre lui-même, celle non moins importante que menait à bien Clichtoue, voir t. iii, col. 237 sq., on remarquera combien considérable est la part de ces deux hommes dans la renaissance de l’antiquité chrétienne.

Il convient d’ailleurs de ne pas oublier que, s’il fait revivre le passé de l’Église, ce ne sont pas seulement les siècles les plus lointains que Lefèvre entreprend de faire connaître. Au contact de l’Aréopagite son goût naturel pour la théologie mystique s’est encore développé. De là l’idée de mettre à la portée des contemporains les œuvres mystiques les plus importantes. C’est à cette inspiration que doivent le jour, en 1490, quatre livres de Raymond Lulle ; en avril 1505, les écrits hermétiques, en décembre de la même année le premier volume des Contemplations de Raymond Lulle ; en 1510, le traité de Richard de SaintVictor sur la Trinité, et le Libellus de officio missæ de Bernon, abbé de Reichenau ; en 1513, les divers opuscules de piété contenus dans le Liber trium virorum ci-dessus mentionné ; en 1514, l’édition des œuvres de Nicolas de Cuse. C’est encore à la même veine qu’appartien nent les Agones martyrum mensis Januarii, où Lefèvre fut aidé par Farel, et où il commençait à publier 1rs actes des martyrs qu’il se proposait de compléter ultérieurement par les Gestes des confesseurs ; de même encore, dans un genre un peu différent, les Contemplationes idiotie, parues en 1519, méditations pieuses d’un moine anonyme (en réalité Raymond Jordan, chanoine régulier de Saint-Augustin, mort en 1381). Et mentionnons encore la publication, en 1509, de diverses œuvres apologétiques dirigées contre les mahométans.

Tel est le bilan du travail accompli par Lefèvre dans le domaine de ce que nous pouvons appeler la philologie chrétienne. S’il n’a rien de très original, s’il a consisté surtout à mettre à la portée du public savant des œuvres jusqu’alors plus ou moins accessibles, il n’en est pas moins d’une portée considérable. La théologie positive est encore à naître, et il n’est pas encore question de l’histoire des dogmes ; mais les matériaux commencent à s’entasser qui permettront plus tard la constitution de ces nouvelles disciplines. L’œuvre scripturaire de Lefèvre plus étroitement mêlée aux controverses de l’époque risque parfois de faire oublier l’importante contribution fournie par le grand humaniste à la patristique. Elle a occupé néanmoins beaucoup moins de place dans sa vie ; elle ne commence à le passionner qu’à partir de 1509, et pendant longtemps encore les travaux sur la théologie historique chemineront de pair avec ceux qui concernent la Bible.

III. Le commentateur de l’Écriture. — 1° Travaux scripluraires. — Depuis l’année 1507, Lefèvre était installé à Saint-Germain-des-Prés, dont son ami Guillaume Briçonnet venait d’être nommé abbé et qu’il entreprenait de réformer. Il est possible qu’à partir de ce moment l’humaniste ait cessé son enseignement au Collège du cardinal Lemoine. Ce qui est certain c’est que les nouvelles conditions de sa vie n’ont pas tardé à influer sur l’évolution de sa pensée et la marche de ses travaux. Au début de sa carrière c’est la philosophie qui l’a surtout préoccupé ; insensiblement d’autres études ont accaparé son attention. Le Theologia vivificans lui a révélé le monde de la pensée chrétienne antique ; peu à peu aussi les études philosophiques disparaissent de son œuvre. Mais les sentiments des Pères ne sont pas, tant s’en faut, la source première de la doctrine catholique. C’est plus haut qu’il faut remonter, aux saintes lettres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Dans l’abbaye dont il suit partiellement la vie, et où les efforts de Briçonnet tendent à faire revivre une plus exacte observance, la psalmodie tient une place considérable. Quel service ce serait leur rendre que de montrer aux moines, aux prêtres, aux clercs astreints par office à la récitation des Heures, les trésors cachés que récèle le psautier qu’ils ont sans cesse entre les mains et qui, pour le grand nombre est, un livre scellé !

Telles sont les idées qu’exprime Lefèvre dans la lettre-dédicace du Psallerium quincuplex qui paraît en 1509, dédié au cardinal Briçonnet. Les deux tendances de Lefèvre s’y reflètent au mieux. Le philologue veut restituer, autant qu’il est possible, un texte à la fois intelligible et sûr. Tel qu’il se lit dans le bréviaire officiel, le psautier est. en bien des endroits, obscur, parfois incompréhensible. Il est vain de songer pour l’instant à le remplacer par une version nouvelle du texte original, mais ce texte reçu, il est loisible de le faire comprendre en lui comparant d’autres traductions existantes. Sur trois colonnes, dans la première partie du livre, Lefèvre dispose les textes du psalterium gallicanum, du romanum, de Vhebraicum, dus tous trois à saint Jérôme. Dans la seconde partie paraissent sur deux colonnes le texte antéhiéronymien et un texte nouveau (textus conciliatus) établi par la comparai-