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LYRE


Des temps plus rapprochés, il utilise Pierre Lombard, ’Guillaume de Paris, Richard de Saint-Victor, Albert le Grand, Hugues de Saint-Cher et ce Hugo commentalor, In S. Joa., procem., qui n’est pas Hugues de Saint-Cher, comme on pourrait le croire, mais Hugues de Saint-Victor, Comment, in Hicrarch. cœlest. S. byonisii, t. VI, P. L., t. clxxv, col. 1038, saint Bonaventure, Raymond Martin, etc. Il mentionne des écrivains restés obscurs : tels Girard de Prunio, In Ezech., xl, 1, et cet autre frère mineur, son contemporain, qui a exposé vakle sufficienter, quod opus habetur communiier, les prologues de saint Jérôme sur les livres de la Bible, IIe prol., 1. 1, ꝟ. 3 a : il s’agit d’un Guillaume (ou Guibert, si c’est le même qui est l’auteur du commentaire sur le prologue de l’Apocalypse, t. iv, ꝟ. 320 b) Brito († 1356), dont le commentaire sur les prologues hiéronymiens a été inséré dans certaines éditions des Postules, comme celle de Nuremberg (1497).

Nicolas de Lyre doit beaucoup à saint Thomas d’Aquin, surtout dans ses commentaires de Job, d’Isaïe, de saint Jean, de saint Paul. Paul de Burgos lui reprocha de combattre à tort saint Thomas, quelquefois expressément, quelquefois tacitement. Intéressante serait l’étude des critiques et des emprunts du postillateur. On y constaterait que, s’il nomme peu saint Thomas conformément aux habitudes de son temps, en règle générale il ne s’écarte de lui que pour se rapprocher davantage du sens littéral — que saint Thomas avait du reste en haute estime — et qu’il le fait sans parti pris, avec un vrai respect pour le Docteur angélique : ainsi, In Job, proœm., où il dit que Thomas hune librum exposuit eleganler, et propose une manière de voir différente de la sienne, mais salvo meliori judicio.

Avec les théologiens et les commentateurs de l’Écriture, Nicolas cite les chroniqueurs, surtout dans la postille sur l’Apocalypse : Guillaume le Breton, Pierre Comestor, Hugues de Fleury, Sigebert de Gembloux, Hélinand, Vincent de Beauvais, Guillaume de Tyr, Jacques de Vitry, etc., et un certain nombre d’apocryphes. Ou encore, il se réclame du témoignage oral d’un compagnon de saint Louis à la croisade et d’un évêque franciscain qui a séjourné plusieurs années parmi les Tartares. In Matth., xxvii, 29 ; Ap., xiii, 18.

3. Les sources chaldéennes, arabes et grecques. — Des sources chaldéennes et arabes, Nicolas semble n’avoir d’autre connaissance que celle qu’il doit au Pugio fidei de Raymond Martin, qu’il nomme quelquefois et qu’il utilise plus souvent sans le dire. Inutile d’ajouter qu’il cite Averroès d’après la traduction latine.

Il ne paraît pas avoir connu le grec. Non sum ita peritus in lingua hebraica vel latina quin in mullis possim defuere, dit-il modestement, t. i, ꝟ. 3 a ; le silence qu’il garde sur le grec équivaut à un aveu d’ignorance de cette langue. L’usage qu’il fait et, plus encore, celui qu’il ne fait pas du texte grec du Nouveau Testament confirment cette conclusion. Nombre de ses étymologies grecques sont défectueuses. Il fait venir phglacteria de philare quod est servare et loi a quod est lex, Matth., xxiii, 5 ; aporiamur de poros græce quod est pauper latine, II Cor., iv, 8 ; sobrii de bria, bria enim grœce mensura dicitur latine, II Cor., v, 13 ; scenopegia de scenos quod estumbraculum et phagin quod est comederc, Joan., vrr, 2, etc. Ses interprétations grecques, heureuses ou inexactes, sont des emprunts ; ces deux dernières étymologies se lisent dans saint Thomas. Il connaît par des traductions les auteurs païens et les Pères grecs. Parmi ces derniers, il allègue volontiers saint Jean Chrysostome. Parmi les païens, Aristote est « le philosophe » par excellence, In ps. xviii, 15 ; mais l’admiration qu’il lui voue n’est pas sans réserves. In pluribus deviavit a veritate, sicut palet de mundi seternitate, de intelligentiarum numéro et earum felicitate,

quorum proseculionem causa brevilatis omitto, dit-il. In Joan., i, 8, cf. In Tit., i, 1, écho des condamnations d’Aristote par l’Université de Paris. Cf. Paul de Burgos et Dôring, t. iv, ꝟ. 116, 242 b.

L’exécution.

« On peut lui donner cette louange

que, depuis saint Jérôme, aucun auteur ne peut lui être comparé pour ce qui est du sens littéral de l’Ancien Testament ; j’excepte néanmoins certains endroits où il a trop suivi les fausses idées de son R. Salomon. On peut encore dire à sa louange que ceux qui sont venus après lui l’ont copié et qu’ils n’ont parlé rabbin qu’après lui. Ainsi s’exprime R. Simon, Critique de… Dupin, 1. 1, p. 353 ; cf. son’Hisloire critique du Vieux Testament, Rotterdam, 1685, p. 415.

Nicolas de Lyre excelle, en effet, par la détermination du sens littéral. Il s’y attache ; à peine quelques rapides expositions mystiques, pas ou peu de questions vaines et inconsistantes. Il le pénètre, souvent du moins. En même temps que littéral, son commentaire est net et bref. Là où le sens littéral est clair il passe vite, quelle que soit l’importance, dogmatique ou morale, de la matière, par exemple quand il s’agit du décalogue ; pour cette raison, il s’attarde, moins qu aux autres, aux écrits historiques. La critique textuelle se borne, là où l’hébreu et le latin diffèrent, à éclaircir celui-ci par celui-là. Quand le sens littéral est obscur, contestable, quand les juifs l’ont dénaturé, le commentaire est plus long ; c’est le cas pour les textes qui prophétisent le Christ : Genèse, Isaïe, psaumes, etc. Sur les 70 semaines de Daniel et les derniers chapitres d’Ézéchiel, il se déroule avec une ampleur exceptionnelle.

Dans quelle mesure Nicolas est-il débiteur des rabbins juifs ? « Raschi et les tosaphistes firent Nicolas de Lire, » dit Renan, Histoire littéraire de la France, Paris, 1877, t. xxvii, p. 434. Et Grâtz, Histoire des juifs, trad. Bloch, Paris, 1897, t. v, p. 14 : « Si, dans les écrits de Nicolas de Lyre, le meilleur commentateur chrétien de la Bible, on défalque les emprunts faits à Raschi, on peut réduire toute son œuvre personnelle à quelques pages. » L’exagération est criante. Nicolas ne doit rien à Raschi pour le Nouveau Testament. Pour l’Ancien, il ne le suit pas en aveugle. Il le discute, il le corrige, il y ajoute, profitant des progrès réalisés durant les deux siècles qui l’en séparent. C’est ce qui ressort de la comparaison établie par Ntumann entre le commentaire des psaumes de Raschi et celui de Nicolas. « Nicolas de Lyre, dit-il, fait preuve d’esprit critique, et il montre qu’il possède les qualités nécessaires pour la saine interprétation d’un texte. » Il utilise « avec indépendance » Raschi et la littérature rabbinique postérieure ; « il a su se servir avec intelligence et habileté des éléments agaddiques fournis par cette littérature. » S’il est, « en quelque sorte, imprégné de l’esprit du commentateur juif, son travail présente certains avantages sur celui de Raschi : il n’a pas son obscurité, il est plus complet et témoigne d’ « un sens historique à un degré élevé ». Revue des études juives Paris, 1893, t. xxiii, p. 176, 178 ; t. xxvii, p. 261, 262.

Avec cela, il lui arrive de faire trop confiance aux juifs et, bien qu’il soit résolu à supprimer ce qu’ils mêlent de frivole à leurs expositions, cf. In Gen., xviii, 1, il leur emprunte des choses inutiles ou inacceptables, par exemple quand il fait d’Agar la fille du roi d’Egypte, Gen., xvi, 1, ou qu’il voit dans les trois viri stantes de Gen., xviii, 2, 4, les archanges Gabriel, Raphaël et Michel, celui-ci au milieu de ceux-là parce que supérieur à eux. Il serait aisé de signaler d’autres imperfections dans les Postules. L’auteur n’a pas réussi à débrouiller la notion du sens littéral et du sens spirituel ou typique. Quand il commente l’Apocalypse, s’il échappe à la contagion de la croyance à la fin prochaine du monde, il découvre dans les seize premiers