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- LUTHER##
LUTHER. LA SOCIETE TEMPORELLE
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Pleine liberté chrétienne : liberté à l’endroit de la loi morale, liberté à l’endroit d’une société religieuse : dans la réalité, cet âge idyllique du luthéranisme fut toutefois de courte durée. Très rapidement, après la descente de la Wartbourg, une seconde conception vint corriger et compléter cette première : celle de communautés chrétiennes se gouvernant librement et choisissant librement leurs pasteurs. En 1523, Luther l’expose et la recommande a ses partisans de Leisnig, dans la Saxe électorale, puis aux hussites de Prague. W., t. xi, p. 408-415 ; de même, t. xi, p. 245 sq. ; t. xii, p. 160-196.
Cette conception multitudiniste, ou, comme on dirait aujourd’hui, démocratique, s’était fait jour pendant le Grand Schisme ; c’était peut-être dans des théologiens de cette époque que Luther l’avait puisée. D’ailleurs, posé que l’on ne veut plus du prêtre, elle est logique ; c’est des profondeurs de la communauté chrétienne que doit venir l’organisation religieuse. De fait, dans le calvinisme, c’est celle qui a prévalu. Chez Luther, au contraire, ce ne fut là qu’une conception éphémère, ou plutôt intermittente ; à de certains jours, il aimera à la contempler comme un beau rêve, et ce sera tout ; finalement, il ne la traduira nulle part en pratique.
Dès sa descente de la Wartbourg, ou plutôt dès son séjour dans la forteresse, ce fut vers une troisième solution qu’il s’envola comme d’instinct, vers la solution aristocratique et étatiste, vers la protection ou mieux la contrainte de l’autorité temporelle. Carlstadt, Miïnzer et autres se séparaient de lui, et c’était à ses principes qu’ils en appelaient : expériences intérieures, bonne volonté de l’âme qui cherche Dieu. Et ces adversaires, des communautés chrétiennes les appelaient et les suivaient. On a appelé Carlstadt « le calviniste de Wittenberg » : il voulait organiser la nouvelle Église sans recourir au pouvoir séculier. Contre lui, Luther en appela à l’Électeur, se montrant ainsi l’homme de toute sa vie : tenace sur le but à atteindre, absolument indifférent sur le choix des moyens. Le but, c’était le maintien et la propagation du nouvel Évangile ; les moyens, ce sera, à côté de la liberté de conscience imposée aux princes catholiques, la protection de « l’Évangile » imposée aux princes luthériens. Finalement, ce sera une Église d’État, ce sera l’administration et la doctrine de la chrétienté mis’."s sous le bon plaisir du pouvoir temporel, du prince luthérien.
Aux siècles précédents, le prince protégeait l’Église ; maintenant, il va protéger Luther et le nouvel Évangile. La seule différence c’est qu’autrefois l’Église était indépendante du prince, tandis que maintenant ce sera le prince qui en sera le dominateur ; il y aura autant d’Églises, autant de vérités religieuses, autant de révélations chrétiennes qu’il y aura de princes.
C’est ce qu’on a appelé l’évolution du luthéranisme au protestantisme. Commencée en 1522, cette évolution se termina de 1528 à 1530 : en 1528, par V Instruction pour la visite des Églises ; en 1529, par la diète de Spire et la Protestation qu’y présentèrent les princes luthériens ; en 1530, par la Confession d’Augsbourg. Comme on l’a dit fort ingénieusement, les professions de foi protestantes, Confession d’Augsbourg (1530), Confession de La Rochelle (1571), furent des pn><-s en papier, décidant de la doctrine. Consistoires et princes protestants se chargèrent de faire respecter les décisions de ces nouveaux papes ; les protestants durent y obéir aussi et plus strictement que les cathollqu relies du pape en chair qui était a Rome. Cu/ui regio, tjut religio ; il fallut avoir la religion de sa région, Le n’est qu’au iv siècle avec RitecbJ que reparattra l’esprit individualiste du luthéranisme de 1520.
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Wartbourg, Luther, i commencé par consolidi
situation personnelle. Par l’affirmation de sa mission, par sa traduction de la Bible, il a aussi donné aux siens une certaine direction doctrinale. Enfin, assez rapidement, il a rétabli un culte et une Église. En même temps il opéra des consolidations dans la société temporelle. C’est ce que nous étudierons sous les deux titres suivants :
I. Le chrétien et le citoyen ; le prince, maître absolu de l’activité humaine. — II. Le patriarche absolu ; le prince, maître absolu de l’activité religieuse.
I. LE CURÊTIEN ET LE CITOYEN. LE PBINCB, MAITRE
absolu de l’activité humaine. — l° La théorie.
En 1523, par son traité De l’autorité temporelle, Luther sépare le citoyen du chrétien, et il établit l’État maître absolu de l’activité humaine.
Le fond de la pensée de Luther sur l’activité de l’homme, c’est qu’elle a deux aspects fort dissemblables : l’un, qui regarde Dieu et notre vie intime ; l’autre, nos semblables et notre vie publique. Le premier se résume dans la foi ou confiance en Dieu, le second comprend toutes nos œuvres extérieures, notamment nos relations avec nos semblables. Seule, la foi a une valeur religieuse, seule, elle sert à nous perfectionner, à nous rapprocher de Dieu. Nos œuvres n’ont qu’une valeur civile, et ce sera à l’autorité temporelle à en régler l’ordonnance. Entre ces deux compartiments de l’activité de l’homme, entre nos aspirations privées et la vie publique, il y a une cloison étanche, disons mieux, il y a un abîme profond.
Dans l’homme, il y a donc deux tendances très distinctes : les tendances religieuses et les tendances sociales. Voilà la distinction qui est au fond de toutes les vues de Luther sur l’activité de l’homme. Même cette distinction faite, il restera toujours chez lui des passages qui laisseront perplexes : Luther est un homme de sensibilité et d’imagination ; l’impression du moment le fera facilement vibrer avec des variantes nouvelles ; assez souvent aussi, il aura des réminiscences catholiques. Il n’en reste pas moins que cette distinction entre les aspirations religieuses de l’individu et son activité sociale est au fond de toutes ses élucubrations sur la vie du citoyen.
Tendances religieuses et tendances sociales ne sont pas seulement distinctes ; elles sont opposées ; comme prince (ni comme citoyen) on ne peut être bon chrétien. Dans ses fonctions publiques aussi bien que dans sa vie privée, le prince, dit l’Église catholique, est toujours disciple de Jésus-Christ ; dans son gouvernement, il doit s’inspirer de l’esprit de l’Évangile, espr de justice et de charité. Sans doute, les circonstances ne lui permettront pas de traduire intégralement cet idéal en pratique ; quel est l’idéal, même privé, que l’on peut intégralement réaliser ? Mais enfin ce sera du moins cet esprit de l’Évangile qui devra être pour lui l’idéal. Pour Luther, au contraire, le royaume du Christ et le royaume du monde sont d’ordre absolument différent. Un abîme profond les sépare, eux et les buts auxquels ils tendent. Le royaume du Christ est purement dans le plan de la foi et de la grâce, le royaume du monde et la vie du monde, purement dans le plan de la raison et de la loi. Le Christ n’a rien à VOUf avec les affaires temporelles : il les abandonne à la terre, et cette vie de la terre n’a pas à recevoir de consécration religieuse. Le royaume du Christ est purement intérieur ; il se sépare donc complètement du royaume du monde, de la vie naturelle, qui a pour lin
l’activité extérieure, i : t les principes qui président.ni royaume du christ sont fort différents de ceux qui président, et qui normalement, nécessairement, président au royaume du monde.
hi. pour bien iak41 la pensée da Luther, pour bien
voir la déviation qu’il a fait subir à la doctrine dl U Christ, d est besoin, comme il arrive fréquemment.