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LUTHER. LA COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE


plus producteurs de la grâce, ils excitaient en nous la confiance en Dieu ; dès lors, en quoi le baptême pouvait-il être utile à un enfant sans raison ! Pourtant Luther maintint le baptême des enfants ; à celle fin, il lutta même âprement contre Mùnzcr et ses « visionnaires » anabaptistes. La confirmation et l’extrême-onction pouvaient demeurer pour exciter la foi. La confession privée était « fort utile et même nécessaire ; pour les consciences affligées, elle était un remède unique ». V., t. vi, p. 546, 11 (1520) ; de même, t. x c, p. 61, 62 (1522) ; t. xxvi, p. 507 (1528) ; Op. varii arg., t. iv, p. 489, th. 35, en allemand dans Erl., t. lxv, p. 173 (1545). Pour la consécration des pasteurs et pour le mariage, on pouvait maintenir des cérémonies similaires à celles d’autrefois. Le nom d’évêque pouvait même être conservé ; l’important c’était que les nouveaux évêques ne fussent que les mandataires du peuple chrétien. Le 20 janvier 1542, Luther lui-même consacra Nicolas d’Amsdorf comme évêque de Naumbourg ; le 2 août 1545, Georges d’Anhalt comme évêque de Mersebourg.

Tels sont les principaux traits du culte luthérien naissant. Beaucoup de détails restèrent imprécis, se modifiant d’une année à l’autre, d’une ville à sa voisine.

Les cantiques de Luther.

Luther attachait une

très grande importance au chant. W., t. xxxv, Die Lieder Luthers. En 1523’et 1524, il se préoccupa tout particulièrement de trouver des chants religieux en langue allemande. On les chanterait soit pendant la messe, par exemple après le graduel, le Sanctus et l’Agnus Dei, soit dans d’autres circonstances. Il aurait désiré une traduction des psaumes en vers. Mais il n’osait l’entreprendre lui-même, et pour cette tâche il ne trouva pas de Clément Marot. V., t. xii, p. 218, 15 (1523) ; Enders, t. iv, p. 273 (1523-1524). A la fin de 1524 parut le Recueil de cantiques spirituels. Il contenait trente-deux cantiques allemands ; vingt-quatre étaient de Luther. La plupart, airs et paroles, étaient des transpositions d’anciens chants catholiques. Dans la suite, Luther en composa treize autres. Du reste, ces compositions n’ont pas toutes le culte pour objet. ^’.*’." ;

Beaucoup des cantiques de Luther ont une grande valeur poétique ; ici, spontanéité, sentimentalité l’ont beaucoup servi. D’un ton fort et sobre, d’une langue châtiée, ces cantiques ont été d’une grande influence en faveur de la Réforme. Assez souvent, les catholiques eux-mêmes se les sont appropriés. Il y a par exemple le « Du haut du Ciel voici que je descends », le « Garde nous, Seigneur, selon ta promesse », ou encore le « Du fond de ma détresse je crie vers toi ». Enfin, il y a la fameuse Marseillaise du protestantisme : Notre Dieu est une solide forteresse. Elle remonte peut-être au mois d’octobre 1527, dixième anniversaire de l’affichage des thèses sur les Indulgences, plus vraisemblablement aux premiers mois de 1528. H. Grisar, Luthers Trutzlied « Ein fesle Burg », 1922, p. 12-17 ; W., t. xxxv, p. 185-229. Luther éprouvait alors de grandes peines intérieures. La résistance catholique lui créait aussi de grands soucis, en grande partie du reste imaginaires. Au début de 1528, un Otto Pack, attaché à la chancellerie de Georges de Saxe, venait de révéler une ligue de princes catholiques contre les luthériens. Pack n’était qu’un faussaire ; mais, pendant plusieurs semaines, ses prétendus documents avaient bouleversé le clan de Wittenberg. C’est alors que Luther composa son cantique, traduction libre du psaume xlvi : Dieu est notre refuge et notre force. Ce cantique, a-t-on dit, est le symbole de l’indépendance de l’âme de Luther et de l’indépendance protestante. Il annonce « les fanfares de Gustave-Adolphe et les canons de Lutzen, Torstenson et Coligny, Cromwell

et Guillaume d’Orange ». A. Hausrath, Luthers Leben, 1905, t. ii, p. 155.

Notre Dieu est une solide forteresse ; Il est notre armure et notre glai%’e. Il nous délivrera de toutes les angoi-Qui nous accablent à cette heure.

Le vieil et terrible ennemi

Aujourd’hui nous menace ;

La force et la ruse

Sont ses armes cruelles ;

Rien sur la terre ne lui est comparable.

v. la communauté religieuse. — En descendant de la Wartbourg, Luther n’avait sur l’Église aucune idée précise. Cette imprécision subsistera toute sa vie. Aujourd’hui encore, sur ce point capital, les théologiens protestants sont incapables de nous donner ses vues. Violemment saisi par la nécessité de combattre l’Antéchrist, il ne s’était pas préoccupé de construire. La destruction du pape : comme une femme obsédée par un sentiment, il ne pouvait songer à autre chose. Cette destruction opérée, Dieu pourvoirait à la durée de son œuvre. A des chrétiens de bonne volonté (et dans le christianisme régénéré, qui ne le serait pas ?), l’Écriture et les illuminations intérieures suffiraient.

Mais parmi ceux qui à sa voix s’étaient séparés de Rome, les dissensions doctrinales et autres ne tardèrent pas à se produire. Comment les comprimer ? Plus il avança, plus il vit que l’Église ne pouvait être la communauté vague et inconsistante qu’il avait imaginée : au lieu de cette abstraction, simple conception de l’esprit, l’expérience suffisait à lui montrer que Jésus-Christ avait voulu une société réelle. De plus en plus, devant le spectre d’un christianisme inconsistant, il se prit à reculer avec effroi.

Aussi a-t-il sur l’Église les déclarations les plus étranges et les plus opposées ; ici, plus encore qu’ailleurs, on sent lutter en lui deux forces contraires : le souvenir de l’ancienne foi et la fureur débordante de la rébellion. Sur l’Église, sa nature, ses prérogatives, sur la nécessité d’une Église, on trouve chez lui quantité de passages auxquels un catholique ne pourrait que souscrire avec empressement : l’Église, dit-il, est le rempart de la vérité ; en dehors d’elle, il n’y a ni Christ, ni Saint-Esprit, ni salut. Erl., t. ix, p. 285, 286 (1527) ; W., t. xxxui, p. 453, 454 (26 août 1531) ; t. ii, p. 510, 511 (1541). Mais, tout à coup, il s’aperçoit que c’est l’ancien moine qui vient de parler ; il entre en fureur, et ce sont les aménités ordinaires : l’Église est une polissonne du diable, une maison de p…, une p… n° 1, une p… du diable, une Église d’hermaphrodites. W., t. li, p. 487, 502 sq. (1541) ; Erl., t. xxvi, p. 164 (1545), etc.

Finalement, nous apprenons qu’il y a deux Églises, la vraie et la fausse. C’est à la vraie qu’il faut adhérer, mais elle n’est pas visible, et elle n’a jamais eu de nom sur la terre. T. R., t. iv, n. 4440 (1539), etc.

En principe, à cette doctrine d’une Église invisible, Luther aimera toujours à revenir. Il dira par exemple en 1539 : L’Église extérieure c’est l’Église du diable. Au contraire, Jésus-Christ opère à l’intérieur, « et c’est à peine si de loin on peut soupçonner quelque peu son Église et ses évêques ». W., t. l, p. 646, 19. A cette doctrine, il avait été conduit par les abus de la hiérarchie catholique, sans doute aussi par de vagues tendances platoniciennes venues de Wiclef par Jean Hus : le corps ne comptait pas ; c’était uniquement à l’âme qu’il fallait songer. Or, haine de l’Église catholique, tendances nuageuses à ne pas s’occuper du corps, il gardera ces dispositions toute sa vie. Puis cette théorie de l’Église invisible lui était apparue vers 1519, au milieu d’émotions violentes. Or une émotion forte et douce et tout ce qui s’y est trouvé mêle, une femme, un sensitif peuvent-ils l’oublier jamais ?