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LUTHER. LA SOCIÉTÉ SPIRITUELLE


allemande, le « nouveau haut allemand », comme on l’a dit souvent. La langue qu’il y a employée était celle de la chancellerie de Saxe. Mais à cette langue il a donné de la clarté, de la force et de la souplesse. Puis, par sa prodigieuse diffusion, sa traduction a grandement contribué à la fixer. Tôt ou tard, la diffusion, de cette langue unique devait aussi abaisser les barrières entre les diverses provinces de l’Allemagne et contribuer ainsi à l’unité de l’Empire. Enfin, la Bible de Luther a grandement contribué à répandre et à fixer la doctrine luthérienne elle-même.

/II. le verbe intérieur. — Constamment, la Bible entière et tout particulièrement le Nouveau Testament doivent être non seulement interprétés mais encore complétés par leur auteur, c’est-à-dire par Dieu lui-même. Cette interprétation, ce complément, comment nous les donnera-t-il ? Par la voix de l’Église et par des illuminations intérieures. Mais Luther rejette l’Église. Il va donc ne garder que les illuminations intérieures, autrement dit le verbe intérieur. Plus tard, ces illuminations deviendront l’expérience religieuse, et finalement la conscience individuelle. J. Paquier, Le protestantisme allemand ; Luther, Kant, Nietzsche, 1915, p. 38.

Les premières déclarations.

En 1519, Luther

écrivait contre Jean Eck : « Un seul chrétien sans fonction officielle a-t-il pour lui une autorité ou une raison meilleure que le pape ou tout un concile, c’est lui qu’il faut croire. » W., t. ii, p. 404, 28. Trois ans après, s’adressant plutôt à ses adhérents, il écrivait : « Il faut qu’en toi-même, dans ta conscience, tu ressentes le Christ ; il faut qu’à n’en pouvoir douter tu sentes que c’est là la parole de Dieu. Tant que tu n’auras pas eu cette expérience intime, il est trop certain que tu n’auras pas goûté la Parole ; tu adhéreras par l’oreille à la voix et aux écrits des hommes, tu n’adhéreras pas par le fond du cœur à la parole de Dieu. » W., t. x b, p. 23, 6 ; de même, t. xviii, p. 609, 4 (1525) ; T. R., t. i, n. 130 (1531).

Cette année-là et les années avoisinantes, des déclarations de ce genre vont de front avec celles sur la clarté de la Bible : « Chaque chrétien doit croire non d’après les vues de toute la chrétienté, mais parce que la parole de Dieu existe et que dans son intérieur, il sent qu’elle est la vérité. » W., t. x b, p. 90, 9 (1522). « Connaître et juger de la doctrine appartient à tous les chrétiens et à chacun d’eux en particulier. C’est le Christ lui-même qui leur a donné ce droit : « Gardez-’vous des faux prophètes, » nous dit-il. Cette parole, c’est certainement au peuple qu’il l’adresse contre les docteurs ; il recommande d’éviter les faux dogmes qu’ils inventent. » W., t. x b, p. 217, 14 (1522). En 1526 : « Comment le Christ vient-il dans ton cœur ? Tu n’en sais rien. Mais par l’expérience de la foi, ton cœur sent qu’il est là, véritablement présent. » W., t. xix, p. 489, 14. En 1532 : « L’Écriture et l’expérience sont les deux témoins et comme les deux pierres de touche de la véritable doctrine. » W., t. XXXVI, p. 506, 20. Mais, .le ces deux témoins, l’un, l’Ecriture, est extérieure nous ; qui nous assurera de il imité ; qui nous en découvrira le sens ? Ce sera l’expérience, autrement dit le verbe intérieur. Il disait 1522 : t On vient nous dire : Comment peut-on savoir ce qui est la parole de Dieu, ce qui est « vrai ou ce qui est. faux ? C’est fin pape et des con" elles que nous devons l’apprendre. > Laisse-le* donc conclure et dire ce qu’Us voudront. Pour moi, je dis : « Il n’y a pas la de quoi te donner un appui solide, « ni l’assurer la paix de la conscience C’est toi même l qui dOl I I 0n< lui r- ; il y Va (le ta tête, i| y va de ta < vie. C’est Dieu qui doit te dire dans ton COSUI » Voilà i" [ » iroir, ic Dieu. Autrement, tu n’as are. ni., t. xiii, p. 280 (1522-1523).

Le verbe intérieur, l’expérience religieuse, dernier juge de ce que doit être notre religion, telle est finalement la note caractéristique du protestantisme, le seul point qui le sépare vraiment du catholicisme : autour de nous, il n’y a aucun interprète chargé par Dieu de nous exposer la Bible avec autorité.

Dès lors que Luther avait rejeté l’Église, c’étaient en effet les illuminations privées qui devaient être la règle suprême de sa foi. Puis il pouvait en appeler à maints passages de l’Écriture qui nous parlent des communications de l’Esprit-Saint avec l’âme : « Je la conduirai dans la solitude et je lui parlerai au cœur. » Et Jésus-Christ disait à ses apôtres : « Quand l’Esprit de vérité sera venu, il vous guidera dans toute la vérité. < D’ailleurs Luther était moine. Volontiers, le moine se croit constamment sous l’influence de Dieu, une influence immédiate et sentie ; volontiers, il se croit constamment et directement éclairé et inspiré d’En-Haut.

Pour s’encourager à marcher dans cette voie, Luther aimait sans doute aussi à se reporter vers les mystiques. Or, sans doute, les mystiques catholiques, un Tauler, un Suso, l’auteur de V Imitation de Jésus-Christ, un Eckhart même ou l’auteur de la Théologie germanique s’étendent longuement sur la parole intérieure que Dieu et Jésus-Christ font entendre à l’âme fidèle. Mais ces auteurs n’ont jamais nié ni méconnu la nécessité de la parole, extérieure de l’Église : ils ont toujours soumis la parole intérieure à l’enseignement de l’Église. Ci-dessus, col. 1268 sq.

Les conséquences.

Dieu ne nous a jamais promis

que les illuminations privées nous seraient un guide permanent et facile à discerner ; comment les distinguer infailliblement des apports de notre subconscience ? En supprimant l’Église, et notamment l’autorité doctrinale de l’Église, Luther supprimait une partie essentielle de l’édifice laissé par Jésus-Christ. Il n’était pas possible que cette suppression n’eût pas de conséquences : privés de leur gardienne normale, la Bible, les sacrements, la doctrine tout entière devaient nécessairement péricliter ; privé de sa toiture, l’édifice devait nécessairement tendre vers la ruine. Dans cette toiture, dans la hiérarchie catholique, Luther n’avait voulu voir qu’un écran qui empêchait son regard d’aller directement à Dieu ; il aurait dû plutôt y voir une protection contre la pluie et les tempêtes.

L’autorité de l’Église une fois supprimée, autant dire que la révélation elle-même n’existe plus. En niant cette autorité, Luther a placé l’homme au-dessus de la vérité révélée ; il a fait de l’homme le juge, la règle et finalement l’auteur et le destructeur de cette vérité. Par là, il a tué la vérité révélée. Voilà ce que, dès l’époque de Luther, enseignaient l’Évangile et l’histoire des origines de l’Église. A cette première preuve, l’histoire du protestantisme est venue en ajouter une seconde, tout aussi concluante.

A l’origine, Luther, on l’a vii, semble avoir cru sincèrement qu’entre doctrine chrétienne ou Bible et illuminations privées, il n’y aurait jamais lutte. Mais, dès les premières années de la Réforme, les divergences de vues sur la Bible, c’est a’lire la substitution des pensées de l’homme aux pensées de Dieu, s’opéra

avec une rapidité vraiment effrayante.

Luther lui même eut vite fait de mettre au-dessus de la Bible ses Illuminations privées, c’est-é dire ses impulsions personnelles. A plusieurs reprises, il s’en

est même tics crûment expliqué. La Bible, par exeni

pic, pouvait recommander les OSUVres hrist

était au-deesusde la Bible ; c’était a lui qu’il fallait adhérerai obéir. En 1531, dans son second Commtti’taire sur l’Êpttre aux Galatet, il rappelle que pour le chrétien, l « irc doit l’Interprétai par croire ; quand