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LUTHER. LA LUTTE AVEC ERASME


ne citer que Virgile, combien de fois ne parle-t-il pas du destin I « Tout, dit-il, se tient sous une loi fixe… » Il soumet au destin jusqu’à ses dieux immortels ; Jupiter et Junon doivent céder devant lui. » P. 617, 23 ; de même 718, 19.

Ailleurs, il est vrai, Luther affirme bien haut la liberté divine. P. 636, 28 ; 662, 5 ; ci-dessus, col. 1292. Finalement, il semble que pour lui Dieu a été libre une fois, dans ce que l’on pourrait appeler le premier moment de l’éternité. Alors il l’a été pleinement, démesurément ; il a réglé à la fois la vérité des êtres et leur existence. P. 712, 32. Mais ces décrets une fois fixés, rien n’y saurait être changé : même dans son activité en dehors de lui-même, dans son activité par rapport aux créatures, il n’a plus de liberté.

Aux deux théories de Luther en faveur du serf arbitre correspondent, on l’a vii, deux théories sur la prédestination : prédestination restreinte par suite du péché originel, prédestination fixée de toute éternité. P. 784, 1 ; 705, 706 ; ci-dessus, col. 1285. Dieu a-t-il le droit de nous élire et de nous réprouver ainsi, sans liberté ni œuvres de notre part ? C’est ici que se présente ce que les protestants nomment volontiers la haute conception que Luther s’est faite de la grandeur de Dieu. Le bien et le mal dépendent uniquement de la volonté de Dieu, ou pour mieux dire, de son bon plaisir. En face de ce Dieu effrayant et implacable, la peur, une résignation passive et tremblante serait la disposition chrétienne par excellence. Luther estime même, et il aime à répéter, que Dieu a deux volontés : l’une révélée et manifestée en Jésus-Christ, l’autre cachée dans les profondeurs de son être. Par sa volonté révélée, nous dit-il, Dieu veut sauver tous les hommes ; mais par sa volonté cachée et adorable il appelle arbitrairement à la vie ou à la damnation éternelle. Par cette seconde volonté, il est « le Dieu caché », expression que Luther emploie avec piédiliction. W., t. xviii, p. 684, 35 ; 685, 3 ; 686, 6 ; 689, 18, etc. Il n’y a pas là comme deux degrés de la même volonté, il y a deux volontés différentes, contradictoires. Les limides, dit Luther, s’arrêtent à la volonté révélée ; mais pour les hommes pieux, pour les mystiques, il n’y a que la volonté cachée qui compte ; ils l’adorent, mais sans la scruter, car ils savent qu’elle est sans motif ni raison, ni règle, ni mesure, et que, supérieure a tout, elle est en tout la règle suprême. « Si ce que Dieu veut est bien, ce n’est pas parce qu’il doit ou a dû le vouloir ainsi ; au contraire, si ce qui arrive est bien, c’est parce que Dieu en a décrété la bonté. » 1°. 712, 35 ; de même p. 719, etc. Prétendre imposer des barrières à la volonté de Dieu, c’est vouloir le soumettre « au cinquième livre de V Éthique d’Aristote ou au Code de Justinien ». P. 729, 21. D’après sa volonté cachée, « Dieu aime les hommes ou il les hait d’un amour ou d’une haine éternelle et immuable, et cela non seulement avant leurs œuvres, mais avant même que le monde existât. » P. 724, 34. De toute éternité, l’enfer attend les uns et le royaume de Dieu lis autres. P. 694, 9.

Et Luther présente à sa manière cette grande épopée de l’humanité que saint Augustin avait tracée dans la Cité de Dieu, et que saint Ignace de Loyola devait reprendre dans sa méditation des deux Étendards. D’un côté, il y a les charnels : Satan les conduit totalement a leur perte : de l’autre, les justifiés : yràce à l’opération de l’Esprit, ils parviennent nécessairement a la béatitude. « Entre les deux rivaux, la volonté humaine est comme une monture. Si Dieu

la monte, elle va où il vent, ’1 c’(’C€ que dit le psaume : Je suis comme une brute devant toi. » Si r’pst Sa !. m. elle va ou il veut. Il n’est pas en son pouvoir (e courir vers l’un des deux cavaliers, de rcher l’un OU l’autl if les cavaliers qui

luttent pour l’atteindre et s’en emparer. » P. 635, 17. D’ailleurs, il est assez impropre d’opposer l’action de Satan à celle de Dieu. « Dieu meut tout avec nécessité ; c’est lui qui fait tout, même chez Satan et chez l’impie. » P. 709, 21.

Est-il utile d’attirer l’attention sur le perpétuel et formidable contresens d’un homme qui tout le long de son traité veut convaincre et entraîner, qui parle de gens timides, d’autres confiants en Dieu, alors qu’en même temps il nous décrit tout s’opérant en nous avec une inexorable fatalité I

La doctrine de Luther sur la prédestination est tout aussi dure que celle de Calvin. Pourquoi en parlet-on moins, et même, comme pour la certitude du salut, attribue-t-on à Calvin la paternité d’idées que Luther avait déjà émises ? Parce que Luther ne les répandit pas dans des écrits populaires ; parce qu’il n’en fit pas comme Calvin le centre de sa doctrine : pour lui, ce centre, c’était la foi ou confiance en un Dieu miséricordieux. Enfin, sur le libre arbitre et la prédestination, Mélanchthon renia peu à peu les idées que, sous l’influence de Luther, il avait émises en 1521. Or il survécut à Luther, et les protestants ignorèrent, ou plutôt tinrent à ignorer les dissensions qui, de plus en plus, s’étaient accentuées entre eux. Ce fut donc Mélanchthon qui, vers 1550, stabilisa la doctrine officielle de la Réforme luthérienne ; il travailla à en faire disparaître les idées de Luther sur le serf arbitre et la prédestination.

Dans ce traité, Luther nous donne aussi des aperçus curieux sur son propre intérieur. En 1521, pour prouver le serf arbitre, il faisait appel à l’expérience intime. Ci-dessus, col. 1287. Aujourd’hui, il présente la même preuve avec plus de relief encore : « L’inexistence du libre arbitre a beau avoir été obscurcie par tant de dissertations, tant d’hommes et de siècles qui ont parlé en sens contraire, chacun dans le fond de son cœur trouve écrit que le libre arbitre n’est rien. » W., t. xviii, p. 719, 30. Contre son entêtement, son esprit de contradiction, il ne se sent pas la force de réagir : « La volonté n’a pas la force de s’arrêter et de se tourner vers une autre direction. Si on lui résiste, elle est plutôt excitée à persister dans le même sens ; c’est ce que prouve son indignation. Si elle était libre, il n’en serait pas ainsi. Consulte l’expérience : tu verras combien il est impossible d’amener à son idée celui qui est sous l’empire d’une préoccupation contraire. » Et pour couronner le tout, c’est de. nouveau l’affirmation d’une mission, d’une action irrésistible de Dieu en lui : « Pour ce que je suis, pour l’esprit et les pensées qui m’ont jeté dans cette entreprise, je m’en rapporte à Celui qui sait tout. Oui, il sait que tout cela a été l’œuvre de sa volonté, et que je n’ai pas été libre de m’y soustraire. Depuis longtemps, du reste, n’a-t-il pas été par trop visible qu’il en était ainsi ! » P. 641, 15.

Telle est, répandue çà et là, la doctrine du traité du Serf arbitre. Luther y voyait le couronnement de toute sa théorie de la justification par la foi sans les œuvres : Par ton affirmation du libre arbitre, dit-il à Érasme, tu abandonnes le Christ et lu rejettes toute l’Écriture, W., t. xviii, p. 77’.*. 31. de même, p. 516. Du reste, ajoutc-t-il, Érasme a parfaitement choisi sou sujet ; il a fort bien compris que la discussion ne

pouvait porter sur la papauté, le purgatoire, les indulgences, ou autres balivernes du même genre ». Ibid., p. 78(i, 28. Aussi, pour son traité « lu Serf arbitre,

Luther eut il toujours unigrande prédilection, Le

9 juillet 1687, il écrira a CapltO : i Il n’y a pas un dfl

mes ouvrages on Je me reconnaisse véritablement, si . p. 217. 9,

l)i [ait, cet cent reflète et résume la personne et la