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LUTHER. LE SERF ARBITRE ET LA PREDESTINATION


devait évidemment refuser de voir dans le mariage un sacrement ; dès 1520, il déclarait que c’était là une invention humaine. W., t. vi, p. 550, 551. Désormais, il n’y verra plus qu’ « un acte extérieur et physique, du genre des autres occupations ordinaires ». W., t. x b, p. 283, 8 (1522).

Le mariage devenait une union pour le plaisir des époux et surtout pour le plaisir de l’homme. Si les vues de Luther avaient suivi leur développement normal, le mariage serait vite devenu ce contrat résiliable au gré des parties qu’il faisait déjà entrevoir. Mais sur ce point comme sur plusieurs autres, luthériens et surtout princes luthériens furent retenus par le bon sens et par une certaine ambiance catholique ; ils revinrent à une pratique plus sage que les enseignegnements du Réformateur. Toutefois, dans le luthéranisme allemand, le mépris de Luther pour la femme s’est toujours quelque peu maintenu.

IX. Le serf arbitre et la prédestination. — Érasme et Luther (1524-1536). — Philosophie et théologie de Luther ont leur couronnement’dans l’affirmation farouche du serf arbitre et de la prédestination. En 1524, une attaque d’Érasme lui permit de présenter cette affirmation avec plus d’outrance que jamais.

I. préliminaires.

-La liberté est l’un des points le plus impérieusement affirmés par la conscience. Elle est la condition nécessaire de l’obligation morale et de la responsabilité. De fait, nous dit la doctrine catholique, Dieu nous a mis en mains la liberté comme une arme noble et périlleuse. La chute originelle a amoindri notre liberté pour le bien ; elle ne l’a pas supprimée. Elle n’a pas fait de nous un mal vivant ; l’homme est faible, il n’est pas foncièrement corrompu. Originairement, nous aurions même pu être créés dans l’état où nous naissons aujourd’hui ; la chute n’a rien enlevé aux éléments constitutifs de notre nature. Il n’est pas vrai que nous nous recherchions nécessairement en tout, au point de gâter par cette intention les meilleurs de nos actes. Et le plaisir que nous pouvons trouver à faire le bien n’est pas un mal ; c’est le plaisir qu’un être vivant et qui se sent vivre éprouve normalement dans un harmonieux développement de ses énergies. Survenant pour nous fortifier, la grâce ne détruit pas notre nature, elle la complète ; la foi complète les lumières de la raison, les autres grâces, les forces de la volonté. Après l’arrivée de la grâce, notre liberté subsiste. Enfin, force finie et, dans beaucoup de cas, force très combattue et contrariée, la liberté a ses degrés : Dieu, les forces ambiantes, l’atavisme, l’éducation peuvent peser sur notre volonté.

Ainsi, avec des nuances, a toujours parlé la théologie catholique. Puis elle a cherché à accorder les forces divines avec les forces humaines, prescience et puissance de Dieu avec la liberté de l’homme. Sur ce terrain, les discussions ont été très âpres et l’on a dû finir par reconnaître qu’il y resterait toujours du mystère. Il y a eu trois grands groupes de solutions : l’augustinisme, le thomisme, le molinisme. L’augustinisme dépeint l’homme placé entre deux délectations : la délectation terrestre, fruit de la concupiscence, la délectation céleste, fruit de la grâce. Dans le développement de ces idées, saint Augustin a toujours maintenu la liberté. Ci-après col. 1286. Mais ces disciples ne se sont pas toujours tenus dans de sages limites. En outre, cette théorie est peu philosophique : elle ne va guère qu’à constater un fait, le fait de grands courants essayant d’entraîner l’homme. Depuis le jansénisme, elle a été de plus en plus abandonnée.

Restent les deux autres théories : la théorie thomiste et la théorie moliniste. La première accorde plus à Dieu, la seconde plus à l’homme. J. Paquicr, Le Jansénisme, 1909, p. 202-225.

II. LE SERF ARBITRE DANS LVTEBS Ji SQV’BS 1524.

— 1° Les affirmations de Luther. — Dans son premier ouvrage, les Dictées sur le Psautier, Luther maintient encore le libre arbitre. « Mon âme est en mon pouvoir, dit-il en s’adressant à Dieu ; ma liberté me permet de la perdre ou de la sauver, en choisissant ta loi ou en la rejetant. » W., t. iv, p. 295, 34. Toutefois quelques psaumes auparavant, comme on’le verra bientôt, il dit clairement que Jésus-Christ n’est pas mort pour tous les hommes et que par conséquent tous les hommes n’ont pas le pouvoir de se sauver.

Dans le Commentaire sur l’Épitre aux Romains, il en arrive fréquemment à la négation de la liberté, du moins de la liberté pour le bien. Ficker, t. ii, p. 187, 208, 210, 212, 225 ; voir ci-dessus, col. 1213. Toutefois, l’on ne saisit pas toujours s’il attaque vraiment toute liberté pour le bien, ou cette opinion des nominalistes que, par no3 propres forces, nous pouvions nous préparer à la grâce.

Mais, de plus en plus, à partir de 1516, il fit de la négation de la liberté dans l’homme déchu le centre de sa théorie de la justification. Au mois de septembre 1516, il faisait soutenir par Barthélémy Bernhardi des thèses sur les forces et sur la volonté de l’honune sans la grâce. « Sans la grâce, y lit-on, la volonté de l’homme n’est pas libre, mais esclave, quoiqu’elle suive sans résistance. » Sans la grâce, la volonté pèche dans tout ce qu’elle fait. W., t. i, p. 147, 38 ; p. 148, 2. Le 4 septembre 1517, il instituait une Dispute contre la théologie scolastique. On y lit : « Il est faux que l’appétit soit libre de se décider dans un sens ou dans l’autre. Sans le secours de la grâce, la volonté de l’homme produit nécessairement des actes déformés et mauvais. » W., 1. 1, p. 224, thèses 5, 7 ; de même 29-32.

En 1518, à Heidelberg, en 1519 dans les actes de la Dispute de Leipzig, contre Jean Eck, il se prononçait énergiquement contre la liberté : « Le libre arbitre est mort… Nous sommes toujours les esclaves de la concupiscence ou de la charité ; toutes deux sont les dominatrices de notre libre arbitre. » W., t. i, p. 360, 9 (1518) ; t. il, p. 424, 10 (1519).

Le 15 juin 1520, Luther est condamné par Léon X. Au commencement de l’année suivante, il fait paraître son Assertion de tous les articles de Martin Luther condamnés par la dernière bulle de Léon X. Contre la liberté, il y est déjà tout aussi tranchant qu’il le sera cinq ans plus tard dans son traité Du serf arbitre. C’est déjà la même définition de la liberté, de manière à en arriver plus facilement à la nier. En 1525, il définira la liberté : « Une force qui peut se tourner librement à droite ou à gauche, qui ne cède ni ne soit soumise à aucune autre. » W., t. xviii, p. 637, 9. Cette liberté ne se trouve vraiment qu’en Dieu, peut-être même seulement chez le Dieu des nominalistes. Or, dès 1521, Luther dit dans le même sens : « Le libre arbitre n’est qu’une fiction ; qui a jamais fait tout ce qu’il voulait ? » W., t. vii, p. 145, 14, 16.

Voilà, dit Luther, ce que nous enseigne l’Écriture. « A défaut de l’Écriture, voilà aussi ce que nous enseignent abondamment l’histoire entière et notre propre vie à chacun de nous ; … voilà ce que nous affirme l’expérience universelle. » W., t. vii, p. 145, 29.

Dans cet écrit, comme Érasme le fera remarquer en 1521, Luther esquisse deux raisons de la négation de la liberté. Jusque-là, c’était seulement à cause de la chute originelle que l’homme n’était pas libre, et il conservait la liberté pour les actes inférieurs de la vie. Aujourd’hui, Luther donne de cette négation une autre raison, d’ordre beaucoup plus général : c’est comme créature que l’homme est soumis à la nécessité. Précédemment, dit-il, il a accordé que chez l’homme la liberté était un titre, le titre d’une propriété perdue. Il s’est trompé. Il aurait dû dire simplement que « la