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LUTHER ET L’ETAT RELIGIEUX


battue par les flots, une sorte de surhomme puissamment tourmenté.

Quelque temps après, il écrivait à un ami, religieux prémontré : « Je te demande instamment de prier pour moi ; de jour en jour mon âme s’approche de l’enfer ; je deviens constamment plus mauvais et plus misérable. » Enders., 1. 1, p. 76 (fin de 1516). Il se rappelait ainsi l’un de ses psaumes préférés, le psaume lxxxvii : i Ma vie s’est approchée de l’enfer ; les flots de votre colère ont passé sur moi et vos terreurs ont jeté en moi l’épouvante. » Ps. lxxxvii, 3, 17, Vulg. Souvent, à cette époque, il aimeà parler de l’amour de la croix, du besoin des souffrances. Bien que presque toujours sur un ton quelque peu faux et outrancier, il a des paroles pieuses et émouvantes pour peindre la nécessité de nous rejeter en Jésus-Christ et de nous abriter sous les mérites de sa passion. Voir par exemple : Enders, t. i, p. 43, 37 ; W., t. i, p. 238, n. 17, 18 ; p. 628 (1516-1518).

Au milieu de 1518, sous le titre de Solutions sur la valeur des indulgences, il publie une défense de ses fameuses thèses du mois d’octobre précédent. Il y parle « de la crainte et de l’effroi, vrais supplices du purgatoire et de l’enfer ». « Qu’ilssont nombreux, ajoute-t-il, ceux qui aujourd’hui même sont abreuvés de ces souffrances ! Jean Tauler, dans ses sermons allemands, qu’enseigne-t-il autre chose que le support de ces peines ?… Moi-même, je connais un homme qui affirmait les avoir souvent éprouvées ; elles étaient de très courte durée, mais si intenses et si infernales que la langue ni la plume ne les saurait exprimer ; qui ne les a pas expérimentées ne saurait y croire. Si elles persistaient, ne fût-ce qu’une demi-heure ou même que la dixième partie d’une heure, on en serait détruit de fond en comble, et tous nos os réduits en cendres. Alors Dieu paraît horriblement irrité, et l’univers entier avec lui. » V., 1. 1, p. 555-557 ; de même, Enders, t. i, p. 223. « Je connais un homme. » De l’avis commun, cet homme, c’était Luther ; il empruntait ainsi l’expression de saint Paul parlant de son ravissement au troisième ciel. Comme saint Paul, il était assailli « par les comhats du dehors, les craintes du dedans ». En comparaison de ces craintes intimes, ses luttes extérieures n’étaient guère que des jeux d’enfants ! Mais, de saint Paul, il savait aussi que « tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ Jésus auront à soulTrir persécution >. Aussi, anxiétés cardiaques, remords de conscience, il mettra tout sur le compte des épreuves spirituelles et de la nuit mystique. En 1520, à la fin de son manifeste A la noblesse allemande, il écrira : « Je sais que si ma cause est juste, elle doit être condamnée sur la terre et justifiée seulement au ciel par le Christ… Aussi, ma plus grande inquiétude et ma principale crainte, c’est qu’elle pût rester sans condamnation. J’y verrais un signe certain qu’elle ne plairait pas a Dieu. Pape, évoques, cures, moines, théologiens, que tous s’avancent donc a l’envi contre elle : ce sont des gens tout désignés pour persécuter la vérité suivant leurs errements invétérés. iW., t. vi, p, ic>'i. 8.

Théorie de la justification par la foi. rejet de l’Église, les sermons de Tauler et la Théologie germanique contribuèrent donc notablement a maintenir Luther dans ces fausse* directions. Mais ni cet cllct fâcheux, ni la prédilection de I. ut lier et des protestants pour ces

oeuvres ne doivent troubler le regard de l’historien

Les protestants uni toujours témoigné de l’admiration

pour saint François d’Assise ; François n’en devient pas ; mssitôt protestant

Puis, a cote des paroles il y a les actes : écoutons ce que les « ens font plutôt que ce qu’ils disent. Luther s quitté son ordre et il s’est marié. El ses admirateurs

nous disent que par ces actes il g été en pleine logique

avec sa doctrine ; ce serait même par raison, nous dit-on, et non par entraînement, qu’il se serait marié. Que ce soit sa conduite qui ait correspondu à ses idées ou plutôt ses idées aux tendances de sa volonté et de son cœur, peu importe : il est certain qu’en effet, entre idées et conduite, il y a eu ici chez lui correspondance parfaite. Mais entre les paroles et les actes de ses mystiques préférés, n’y aurait-il donc pas eu la même harmonie’? Leurs actes ne doivent-ils pas expliquer leurs paroles ? Or, pas plus que Bernard, Tauler n’a quitté l’Église ni son ordre pour se marier. Et du custode de Francfort, on ne sait non plus rien de semblable.

Dans son Traité de la liberté du chrétien, Luther a écrit : « Ce ne sont pas les œuvres bonnes qui rendent l’homme bon ; c’est l’homme bon qui rend ses œuvres bonnes. Ce ne sont pas les œuvres mauvaises qui rendent l’homme mauvais ; c’est l’homme mauvais qui rend ses œuvres mauvaises. » W., t. vii, p. 32, 6 ; p. 61, 27 ; ci-dessus, col. 1245. C’est là une admirable peinture de son âme. Oui, il savait à merveille, et d’un tour de main, faire le bon et le mauvais, changer le sens d’un écrit, d’une parole, et y substituer une couleur à son gré. A qui veut entrer dans la voie de la perfection, Tauler, la Théologie germanique, ne cessent de prêcher la désappropriation. N’est-il pas évident que de cette désappropriation Luther manquait absolument. Au lieu d’une âme humble et désappropriée, saintement indifférente sous l’action de Dieu, il n’apportait qu’un besoin envahissant de tout déformer selon sa fantaisie, de tout modeler à son image.

Tauler et la Théologie germanique ne sont pas les précurseurs de Luther. Mais quelle profonde tristesse que de voir les fleurs de la piété catholique devenir pour lui le parfum enivrant qui va achever de lui donner le vertige et le précipiter hors de l’Église !

VIII. L’ÉTAT RELIGEUX ET LE MARIAGE. Théorie

de la justification par la foi sans les œuvres, haine de Rome amenèrent Luther à une lutte violente contre la plupart des idées catholiques sur l’état religieux et le mariage. C’est surtout en 1521 et 1522 que cette lutte se produisit au grand jour.

I. VÊTA r HELIQIEUX. La haine de Luther contre les ordres religieux ne se montra qu’assez tard. Dans le. fond de son cœur, il gardait de l’affection pour cet ordre de Saint-Augustin où il était librement entre, où il avait été choyé et adulé. Mais après la diète de Worms et sa rupture définitive avec Borne, la logique de la passion fut plus forte ; il fallait lutter contre les grands remparts de deux objets abhorrés : les œuvres et la papauté. Enfin, contre les ordres religieux, Luther avait " la haine du défroqué. avec le désir du défroqué

de voir ses anciens confrères marcher à sa suite. Aussi. dès la Wartbourg, cette haine se produisit-elle, exubérante et féroce. Au mois de septembre 1521, il écrivit Sur 1rs VŒUX deux séries de propositions OU thèses.

W., t. vui. p. 313-335. i Voila, dit Bugenhagen, qui

va produire une révolution. A la Wartbourg aussi, il écrivit un long sermon sur le même sujet W’.. I. x a, "~ partie, p. 555-728 ; puis un traité latin qu’il intitula : De Dotis monasticis fudtctum, W., t. viii, p. 564-669,

parut au mois de février suivant. //>/, L. p. 566,

n. 1. Désormais, il éprouvera un plaisir maladil a

attaquer les V031U et les ordres religieux, lue de ses

productions les plus violentes en ce sens est sa Brève réponse au livre du duc Georges, en 1533. W.. i. xxxviii,

p. 1 II 17n

ses accusations contre la vie religieuse sont nombreuses, il les développe avec passion et habileté l’habileté d’un rhéteur qui du reste se préoccupe fort

peu de la Vérité : l’important était de frapper fort. Mais elles viennent toutes de deux grands griefs :

la vie religieuse suppose le mérite des œuvres, elle

suppose et favorise une religion collective.