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LUTHER ET LES MYSTIQUES

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tint plus fidèlement à la piété catholique du passé. Enfin, chez les mystiques allemands, il puisa une belle langue déjà assez apte à exprimer les concepts de la doctrine chrétienne.

A ces nobles motifs d’aimer Tauler, la Théologie germanique et les mystiques en général, s’en ajoutaient d’autres où le bon et le mauvais se coudoyaient subtilement. — Les mystiques parlent peu de dialectique et d’ascétisme ; pour eux ces deux préliminaires sont supposés et dépassés. Ce qu’ils décrivent surtout, ce qu’ils chantent, c’est l’obtention du but suprême : l’intuition de Dieu par l’intelligence, la possession de Dieu par le cœur. Or Luther, c’est par excellence l’impatience de l’obstacle ; impatience de l’obstacle pour arriver au vrai et au bien. Comme les limitations de sa nature heurtaient, contrecarraient cette impatience, il en a déjà conclu que sa nature était radicalement mauvaise. Au contraire, dans les Sermons de Tauler, dans la Théologie germanique, il goûtait la joie du repos ; la joie du repos dans l’intuition de la vérité infinie, la joie du repos dans la possession du bien infini, de la beauté infinie. Puis, suivant son habitude constante, il faussa le sens de ses modèles. Plus ou moins consciemment, il leur prêta ses propres préoccupations. Ainsi d’un bout à l’autre de la Bible trouvera-t-il plus tard l’inutilité des œuvres et la justification par la foi. Tauler et la Théologie germanique raisonnaient peu : Luther en conclut que le raisonnement était mauvais ; ils parlaient peu d’ascétisme : il en conclut que l’ascétisme était à rejeter en entier. C’était l’époque où, bréviaire et messe y compris, il abandonnait tout de ses exercices religieux, l’époque aussi où il se révoltait contre l’Église. Tauler et la Théologie germanique lui servirent puissamment à se tranquilliser ; le seul point qui importât, c’était le sentiment religieux, sans prières vocales ni exercices où le corps eût sa part, le sentiment religieux avec une profondeur toute spirituelle, le sentiment religieux tout seul, sans autorité extérieure pour le contrôler et le gêner ! Bref, comme ces œuvres étaient écrites en termes assez généraux, Luther put y mettre à peu près tout ce qui lui plut.

Enfin, ces œuvres étaient écrites dans sa langue maternelle, la langue allemande ! Aussitôt, avec une outrance qui tient à la fois à la force de son imagination, à une certaine incapacité d’emhrasser un sujet d’une vue d’ensemble et de le dominer du regard, à la surexcitation artificielle du tribun, il va faire de quelques pages sur la vie parfaite tout un programme, un véritable étendard national. L’opuscule du custode de Francfort, inférieur aux Sermons de Tauler, va deve nir une « Théologie germanique », cpii se dressera en face de la théologie latine, le représentant de l’esprit germanique en face de l’esprit latin ! Phrases de prédication, qui ne vont pas sans quelque exagération. Les motifs, ou d’autres analogues, ont maintenu la

popularité de ces œuvres dans le protestantisme

allemand.

Entre Tauler et la Théologie germanique d’un côté et Luther de l’autre, je me bornerai dans cet article a lieux points de comparaison : le quiétisme et l’Église.

Dans le quiétisme. je laisserai aussi de côté le désintéressement dans l’amour de Dieu ; |e m’en tiendrai au sens strict du mol. I abandon de toute activité dans l’œuvre du salut

2° l.r QulétUme. De la corruption radicale <le la nature déchue. I. vil lier a conclu a l’impossibilité pour nous de Coopérer a l’œuvre de notre salut.

1. Ce n’est pas là ce que lui avaient enseigné Tauler

ni la Théologie germanique.

a) huiler, a. Sur la chute originelle. Sans doute,

sur les suites de la chute originelle. I ailler a des p ; is — fort sombres : Maintenant, dit-il, la mauvaise

nature aime tellement à tout accaparer, elle est tellement inclinée vers elle-même qu’elle s’insinue partout et s’attribue ce qui ne lui appartient pas ; elle corrompt et souille la pureté des dons divins ; elle s’oppose ainsi au noble travail de Dieu en nous. A cause de l’empoisonnement produit dans la nature par le péché originel, la nature est complètement retournée vers elle-même en toutes choses. Et saint Thomas dit qu’àcause de cet empoisonnement l’homme s’aime lui-même plus que Dieu, ou ses anges, ou tout ce que Dieu a jamais créé. » A., ꝟ. 62 r° ; V.. p. 94, 6 ; N., t. iii, p. 23.

Ailleurs Tauler dira que « toute notre sainteté et justice est une injustice, une impureté, une indécence, que l’on n’oserait mettre sous les yeux de Dieu ». A., ꝟ. 154 i° ; V., p. 265, 28 ; N., t. iv, p. 200.

Ces passages, des passages similaires ont dû beaucoup plaire à Luther ; ils ont été vraisemblablement pour beaucoup dans son enthousiasme pour Tauler. Toutefois, par eux-mêmes, ils sont loin de nous présenter un Tauler partisan de la corruption absolue cl irrémédiable de l’homme déchu ; beaucoup de théologiens et d’auteurs de la vie spirituelle. < maître Thomas » lui-même, ont pu employer ce langage, sans croire à cette corruption, couronnée par la perte complète de notre liberté. Par là, ils veulent simplement nous enseigner l’humilité. Chez Tauler, on trouve des preuves péremptoires que c’est bien là sa pensée. Il dit, par exemple, que l’homme déchu est « faible et malade », ce qui est tout différent que d’être mort. A., f°176r° ; V., p. 329, 18 ; N., t. v, p. 110. Dans l’homme après la chute, il trouve encore la syndérèse, cette tendance profonde vers le bien ; très ouvertement, il suppose dans cet homme des lumières pour le vrai et des forces pour le bien. A., ꝟ. 22 v° ; V.. p. 25. 12 : N., t. ii, p. 48, 49 v » ; A., f » 31. V., p. 42. 28 : N.. t. n. p. 166, etc. Il faudrait citer toute l’œuvre de Tauler. Voir D. P., t. iii, p. 132-136 ; G. Sicdel, Die Myslik Taulers, 1911, p. 47 sq.

Bien plus, dans les passages sur le néant de l’homme, sur le mal son unique apanage, ce ne sont pas les suites du péché originel que Tauler a surtout en vue ; c’est la théorie aristotélicienne et thomiste de la nécessité de la motion divine. Personne ne se donne ce qu’il n’a pas. Or de nous-mêmes nous ne possédons que le néant. Tout le bien qui est en nous, tout le positif de notre être et de nos actes, actes naturels aussi bien qu’actes surnaturels, tout ce positif vient de Dieu. Au contraire, tout le négatif, défectuosités physiques, intellectuelles, morales, tout ce négatif > ient de nous-mêmes, de notre condition d’êtres limités ou encore d’une augmentation de ces limitations. De lui-même l’homme n’a rien ; tout ce qu’il possède, peu ou beaucoup, il le tient directement de Dieu : de lui-même, il ne peut que détruire tout bien, à l’intérieur et à l’extérieur. S’il y a quelque chose en lui. cela ne vient aucunement de lui. » A., ꝟ. 1731° ; V., p. 163. 23 ; N.. t. v. p. 93. L’homme doit avoir une profonde

humilité, attentif à ce qui lui appartient <n propre,

c’est-à-dire à son néant. S’il y a eu nous quelque autre chose, cela n’est certainement pas à nous. » A., f" ILSr" : V.. p. 187. 17 : V. t. m. p. 122. Notre nature nous conseille la noble vertu d’humilité, Ni nous nous considérons nous -mêmes avec loyauté et

avec |ustice, intérieurement et extérieurement, nous

trouvons toujours que nous ne possédons rien de

bon. que de nous-mêmes nous ne pouvons rien. »

A.ꝟ. 91 i « ; Y., p. 322.31 ; N., t. m. p. 228. 229. I 01 hhi/ nous en Dieu, dit saint Paul, ce que VOUS ">'

pouvez p ; is |i : n vous-mêmes, vous le nouvel par lui. v. I" Lui" : ’.. p. 403, 28 ; N., t. iv, p. 226.

Cette faiblissedont parle si Souvent’I aider. ( e n’est donc p.is surtout a la chute originelle qu’il la