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LUTHER ET LES MYSTIQUES

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surtout des auditrices. l’Ii. Strauch, Meister Eckhart-Probleme, 1912.

Ce sont là aussi. les grandes raisons pour lesquelles Tauler est resté malheureusement peu connu, les raisons qui rendent particulièrement difficile une bonne édition de ses œuvres.

C’est en 1515, peut-être vers la fin de l’année, que Luther commença à lire Tauler, Otto Scheel, dans Feslgabe…. Julius Kaftan, 1920, p. 309. En marge d’un exemplaire des sermons de Tauler, il a écrit quelques notes, du reste de peu d’importance, W., t. ix, p. 95-104 ; elles doivent remonter à cette première lecture. Dans le Commentaire sur VÉpître aux Romains (1515-1516), on sent l’influence des mystiques, et, du moins dans la seconde partie, tout particulièrement celle de Tauler. Dans ses lettres d’alors, on voit qu’il soupirait après la lecture de Tauler ; il s’y adonnait avec une véritable passion. Le 14 décembre 1510, il écrivait à Georges Spalatin, chapelain de l’électeur Frédéric de Saxe : Les sermons de Tauler renferment « une théologie pure, solide et la plus ressemblante à l’ancienne… Ni en latin, ni dans notre langue, je ne connais de théologie plus salutaire ni plus conforme à l’Évangile. » Enders, t. i, p. 75.

La Théologie germanique.

1. Éditions de 1516

et 1518 par les soins de Luther. — En même temps, Luther envoyait à Spalatin la partie de la Théologie germanique qu’il venait d’éditer. C’était, lui disait-il, « comme un résumé de la théologie de Tauler ». (Pour la suite, voir J. Paquier, L’orthodoxie de la théologie germanique, 1922). C’était cette année-là même qu’il l’avait connue. Le 4 décembre, il l’avait éditée chez Jean Grùnenberg, à Wittenberg ; c’était même là sa première publication. Il y avait mis comme titre : Un précieux opuscule de spiritualité ; d’un bon discernement et d’une intelligence droite sur ce qu’est le vieil homme et le nouveau, l’enfant d’Adam et l’enfant de Dieu, et comment Adam doit mourir et le Christ naître en nous. W., t. i, p. 153. Deux ans après (1518), il publiait l’ouvrage entier ; il l’intitulait : Une théologie germanique, c’est-à-dire un précieux opuscule d’une intelligence droite sur ce qu’est Adam et le Christ, et comment Adam doit mourir et le Christ naître en nous. W., 1. 1, p. 376.

Où Luther avait-il trouvé les deux manuscrits dont il s’est servi ? Il n’en dit rien, et l’on n’a jamais pu les retrouver. Aussi est-on allé jusqu’à se demander si, sous le couvert d’un vieil auteur, ce n’était pas une œuvre personnelle qu’il avait publiée. Mais, en 1848, on a découvert un manuscrit de 1497, très vraisemblablement indépendant de ceux dont s’était servi Luther, et toutefois contenant bien la même œuvre. En outre, les divergences entre les deux éditions qui viennent de Luther montrent qu’il a dû avoir deux manuscrits à sa disposition, l’un en 1516, l’autre en 1518.

L’œuvre n’est donc pas de Luther. Mais par rapport à l’édition de 1516, et plus encore par rapport au manuscrit de 1497, l’édition de 1518 contient une série de divergences, allant toutes au même but : diminuer la nécessité des œuvres ; atténuer un aristotélisme chrétien, pour accentuer un néoplatonisme spéculatif et nuageux. Ces divergences viennent-elles du manuscrit ? Ne viennent-elles pas plutôt de Luther lui-même’? Nous sommes en 1518 ; depuis plusieurs années déjà, il a élaboré sa théorie de la justification par la foi sans les œuvres ; il est à la veille de nous montrer saint Bernard regrettant amèrement sur son lit de mort son état de moinerie. La Théologie germanique, le traité allemand qu’il dressait en face des théologies latines, ne devait-elle pas travailler elle aussi à montrer la vérité de la théologie de Wittenberg ? Luther, son époque, le Moyen Age lui-même tout entier n’ont-ils pas eu une tendance constante à

plier les textes ; i leurs préoccupations doctrinales.’Qui connaît le Luther de 1518 consentira difficilement à croire qu’il ait pu éditer la Théologie germanique

d’une manière toute scientifique et désintéressée.

2. Qu’est-ce que cette Théologie germanique » ? — C’est un écrit d’une centaine de pages, un petit écrit, comme la plupart de ceux qui ont eu de l’influence sur la marche de l’humanité. Il semble avoir vu le jour au xive siècle, vraisemblablement peu après 1350. D’après une petite préface, que l’on trouvait dans le manuscrit qui a servi à Luther en 1518, et que l’on trouve aussi, équivalemment, dans le manuscrit de 1497, l’auteur était un prêtre, qui avait la fonction de custode dans la maison des Chevaliers de l’ordre teutonique, à Francfort-sur-le-Main ; le milieu du xive siècle fut l’époque de l’effiorescence de cet ordre. C’était donc un Ami de Dieu, c’est-à-dire un de ces nombreux mystiques qui, du reste sans organisation précise, vivaient sur les bords du Rhin au xiv p siècle. Son travail est un petit traité de la vie parfaite, écrit dans la langue allemande encore quelque peu à ses débuts, assez obscur, influencé par le néoplatonisme chrétien et par la scolastique.

Cette Théologie est-elle orthodoxe ? — Chez les catholiques, l’estime où l’ont tenue Luther et beaucoup de protestants l’a fait passer pour un ouvrage dangereux, ou même formellement opposé au dogme. De nos jours, beaucoup de protestants et de rationalistes vont jusqu’à y trouver des idées panthéistes. Or, sans doute, la langue en est imprécise. Mais, de fait comme d’intention, l’œuvre est vraiment orthodoxe. Sur Dieu, sur les idées éternelles d’après lesquelles Dieu a créé, sur la vraie lumière et la fausse, la volonté bonne et la mauvaise, elle a des considérations très justes et très élevées. Cà et là. on se heurte à des expressions obscures : mais en général il est très facile de les interpréter dans un sens orthodoxe : elles ne sont que la traduction allemande d’expressions latines de la théologie scolastique. L’auteur a un reflet de la grande théologie du xme siècle plutôt qu’il n’est lui-même théologien : c’était une âme pieuse et ardente, avec d’excellentes intentions. C’est bien ainsi qu’on s’imagine un chapelain de l’ordre teutonique, enrôlé parmi les Amis de Dieu.

Dans ce traité, rien de luthérien avant Luther. Luther, ce sera le pessimisme nominaliste. avec la disjonction entre les données de la raison et celles de la foi ; ce sera la volonté, les impulsions de la nature prenant le pas sur les directions de l’intelligence : ce sera la haine d’Aristote et de « Thomas » : ce sera le pessimisme des augustiniens d’extrême gauche, renforcé encore, et singulièrement, par des outrances propres : dès lors, ce sera la corruption intégrale de la nature humaine et la justification par la foi sans les œuvres : ce sera le rejet de l’Église, et, pour couronner l’édifice, ce sera la certitude du salut. Dans la Théologie germanique, il n’y a rien de tout cela.

II. INFLUENCE DB8 MYSTIQUES SUE LUTBBS. — 1° Xotes générales.

Pourquoi Luther a-t-il tant

goûté Tauler, la Théologie germanique, et même les écrits mystiques en général ?

Ce qui l’attirait dans ces œuvres, c’était d’abord la piété qu’elles respirent, la profondeur des sentiments qu’elles expriment, ainsi que l’obscurité avec laquelle ces sentiments sont décrits. De son commerce avec ces mystiques, il a retiré de précieux avantages. L’union confiante de ces âmes avec.lésus-Christ contribua à le maintenir dans la ferme adhésion aux dogmes de la divinité de Jésus-Christ, de la rédemption, de la présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie, dans l’estime religieuse de la Bible. Tandis que le rationalisme de Zwingle se montra vite disposé à rejeter tout ce qui touchait au mystère, Luther se