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LUTHER. AU-DESSUS DE LA MORALE

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Platon avait estimé que la science du bien en entraînait la pratique. Depuis Denys l’Aréopagite, la comparaison du soleil répandant nécessairement la lumière était partout chez les théologiens et les mystiques. Mais ce n’est pas à l’accord des œuvres avec la foi que Denys l’applique ; c’est à la bonté de Dieu se répandant dans tous les êtres. Cette production des œuvres par la foi lui avait été aussi quelque peu enseigné. 1, par Staupitz. N. Paulus, Historisches Jahrbuch, 1891, p. 309-346. Malheureusement, cet enchaînement ne répond ni à la révélation ni à l’expérience. Foi et confiance en Dieu ne signifient ni ne produisent nécessairement l’harmonie de notre activité avec la loi de Dieu.

3. Souvent, Luther s’échappe vers une autre explication ; déjà on la sent poindre dans plusieurs des textes où il nous montre les œuvres découlant infailliblement de la foi. Mais elle est infiniment plus hardie ; d’un bond, elle nous mène au seuil du panthéisme de Hegel. En soi, dit Luther, aucun acte n’est bon ni mauvais. Tant vaut l’homme, tant valent ses actes ; c’est nous seuls, ce sont nos dispositions qui font le bien et le mal de nos œuvres. Si l’homme n’est pas justifié, toutes ses œuvres sont mauvaises ; si, au contraire, il est justifié, toutes sont bonnes ; ou, du moins, puisque la concupiscence est toujours là pour les vicier, elles sont toutes réputées bonnes.

A la fin de 1520, il dit dans son célèbre traité De la liberté du chrétien : « Ce ne sont pas les œuvres bonnes qui rendent l’homme bon ; c’est l’homme bon qui rend ses œuvres bonnes. Ce ne sont pas les œuvres mauvaises qui rendent l’homme mauvais ; c’est l’homme mauvais qui rend ses œuvres mauvaises. » W., t. vii, p. 32, 6 ; 61, 27 ; Kuhn, p. 49 ; Cristiani, p. 50. Et en 1531, dans son second Commentaire sur V Epitre aux Galates : « C’est une erreur pernicieuse des sophistes (c’est-à-dire des catholiques) que de distinguer les péchés d’après le fait et non d’après la personne. Pour le croyant, le péché est le même et aussi grand que pojr l’incroyant, mais ai croyant il est remis et non imputé ; à l’incroyant il est retenu et imputé. Pour le croyant, il est véniel : pour l’incroyant, il est mortel. Cette différence ne vient pas de ce qu’en soi le péché du croyant est moindre, et celui de l’incroyant plus grand ; elle ne tient pas aux péchés, elle tient aux personnes. » W., t. xl b, p. 95. Cinq ans après, avec plus de décision encore, il disait dans son entretien théologique avec Mélanchthon : « Si les vertus et les œuvres de Paul étaient justes, c’était que lui-même était juste. C’est à cause de la personne que l’œuvre plaît ou déplaît. » Erl., t. i.vm, p. 354 ; T. R., t. vi. n. 6727.

Ainsi présentée, la théorie est très simple et très harmonieuse : l’homme fait la morale de ses actes. Le Dieu du nominalisme fixe la morale comme il lui plaît ; créé à l’image de ce Dieu, c’e.t suivant ses dispositions intimes que l’homme façonne la pâte de la moralité. Ce qui porte à croire que c’était bien là la pensée, ou, pour mieux dire, la tendance profonde de Luther, c’est que pour le non-justifié, il garda toujours cette explication : dans le non-justifié, toutes les actions sont mauvaises ; pour cet homme, honorer son père ou le tuer sont deux péchés mortels.

I i contre-partie apparaît monstrueuse : pour le Justifié, pour celui qui aura la foi, un assassinat, un parricide va-t il donc devenir un acte bon et digne de louange 7 Que l’on inédite bien le passage suivant, d’un sermon de 1525, et l’on se demandera si Luther était si éloigné de cette conclusion, il explique ta recommandation de saint Paul a Timothée d’avoir la charité venant d’un coeur pur. d’une bonne

conscience et d’une foi sincère i, Il n’est pas possible, dit-il, de se débarrasser des pensées Impures ; qu’on

en chasse une, il en vient cent autres. « Avoir le cœur pur, conclut-il, ce n’est donc pas exclusivement ne rien penser d’impur ; c’est recevoir de Dieu une illumination et acquérir ainsi la certitude que dans la loi il y a rien pour souiller notre conscience. Ainsi le chrétien en arrive à savoir que V observance ou l’inobservance de la loi ne lui nuit en rien ; que s’il fait ce qui est défendu ou omet ce qui est prescrit, il n’y a pas là pour lui de péché. Il ne peut pas pécher, parce que son cœur est pur. Au contraire, un cœur impur se salit et pèche en tout. » W., t. xvii, p. 111, 18.

Cet abandon d’une moralité objective, d’actes de soi bons ou mauvais, allait contre le principe même d’où partaient les trois autres explications sur les rapports entre la foi justifiante et la morale, à savoir l’existence d’actes de soi moraux ou immoraux. Mais pour Luther, cette contradiction importait peu ; partout et toujours, ce qui le préoccupe avant tout, ce n’est pas la pensée, ce sont les conclusions. Or ici, la conclusion à tirer, c’était que le joug de la morale n’était pas tolérable.

4. Jusqu’à présent, nous avons vu Luther essayer tant bien que mal de joindre la foi et la morale, l’intelligence et la volonté. Mais les explications qu’il donne à cette fin sont par trop caduques. Des œuvres radicalement viciées ne sauraient être une condition de la foi ; l’enchaînement infaillible des œuvras à la foi est une affirmation gratuite ; la négation d’actes de soi moraux ou immoraux est une monstruosité. Luther le sentait. C’est pourquoi, assez souvent, surtout dans ses moments de spontanéité, il s’échappe vers une quatrième vue : actes moraux, actes immoraux, obligation de faire le bien et d’éviter le mal, ojut cela peut exister ou a pu exister ; mais le justifié n’a pas à s’en préoccuper. — Que cette idée se soit vraiment présentée à lui, bien plus, qu’elle résidât dans les profondeurs de son âme, qu’elle le hantât, on peut déjà le conclure de ses diatribes contre la Loi. Mais, en outre, nous avons de lui en ce sens des paroles troublantes, des attitudes étranges.

En 1518, il dit dans son Sermon sur la triple justice : « La justice du Christ nous vient par la foi. Qui possède cette justice, même s’il vient à pécher, n’esl pas condamné. » W., t. ii, p. 45, 5, 9.

Pour Luther, l’année 1520 fut l’année de l’enivrement, de l’enthousiasme. Alors, il déclarera que pour entendre infailliblement la Bible, pour posséder l’intégrité de la doctrine révélée, il suffit d’un peu de bonne volonté et des lumières d’un enfant ; alors il ne songe pas à la nécessité d’une Église, d’une communauté quelconque ; alors il dit hardiment à Léon X qu’il « ne peut tolérer de règles pour interpréter la parole de Dieu ». W., t. vii, p. 47, 29 (oct. 1520) : alors, il est tout entier à son individualisme mystique, tout entier à sa joie d’entendre la Parole résonner au fond de son âme. Et cette Parole intérieure, que lui dit-elle ? Foi, foi, confiance, confiance ; foi seule, confiance sans préoccupation ; délaissement de toutes ces œuvres dont la hantise l’a si longtemps et si cruellement tourmenté ; épanouissement de l’âme en un Dieu miséricordieux. Une Eglise venant l’encadrer, le resserrer avec des coercitions intellectuelles et légales, une règle morale venant diriger, brider sa volonté, tout cela le restreint, le guindé Jusque dans ses allures ; tout cela est inutile et odieux.

oilà la grande nouveauté, la grande découverte qui mettait Luther au comble de la joie. Pour célébra cette découverte, il B des pages d’un lyrisme étrange. Désormais, il en avait donc fini avec le joug de la loi et les tourments de la conscience. Voilà l’Évangile, C’esl ; < dire la Monne Nouvelle qu’il venait annoncer au nom de Dieu. Depuis des siècles, cette

vérité était restée cachée ; la pauvre humanité.i Mit