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    1. LUTHER##


LUTHER. AU-DESSUS DE LA MORALE

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foi… La foi qui justifie, c’est celle qui s’attache au Christ, Fils de Dieu, celle qui est ornée du Christ, et non celle qui renferme la charité. V., t. xl a, p. 164, 1 5, (1535). « Si la foi est formée par la charité, ce seront avant tout nos œuvres que Dieu regardera, nos œuvres, c’est-à-dire nous-mêmes. Loi et promesse, foi et œuvres sont aux antipodes les unes des autres. » W., t. xui, p. 565, 5 (1538 ?)

Ainsi, l’acte d’amour de Dieu a deux tares : produit d’une activité viciée, il est mauvais ; commandé par une loi, il va contre la spontanéité du chrétien selon l’Évangile. Pour vivre et progresser, la foi n’a que faire d’être aidée par l’amour.

Partout, chez Luther, on sent la joie de déprécier la Loi et nos œuvres, de les déclarer inutiles, nuisibles même à notre justification et à notre salut. Osons le dire : les accents de Luther contre la Loi et les œuvres ne sont pas d’un théologien. Cà et là, le ton y dénote une passion tellement vraie et sincère qu’il est même impossible de n’y voir que les cris d’un tribun. On y sent l’homme qui se souvient d’un horrible passé, où la Loi a pesé lourdement sur ses épaules, où elle lui a causé d’affreuses tortures. Tortures méritées ou tortures d’une conscience scrupuleuse, peu importe ici ; comme on l’a vii, il doit y avoir eu de l’un et de l’autre. Mais ce qui ressort des attaques violentes que l’on vient de lire, c’est qu’elles sont avant tout des documents vécus : le souvenir.de la Loi, c’était vraiment pour Luther le souvenir du bourreau.

Aux attaques de Luther contre la Loi, on a donné deux sens. Le premier est celui de la plupart des protestants, du moins jusqu’à ces dernières années. Pour notre justification, nos œuvres sont absolument inutiles : si nous nous appuyons sur elles, elles deviendront même nuisibles. Mais dans la dépréciation de Luther à l’endroit des œuvres, il faut s’arrêter là ; c’est une calomnie des « Romains » que de le montrer nous poussant à faire le mal ou nous disant du moins que pour notre union avec Dieu ce mal est inoffensif. Le langage de Luther peut être violent ; mais ni dans sa théorie de la justification, ni dans ses paroles, rien ne permet de conclure à la séparation entre la religion et la morale ; au contraire, la foi justifiante, la confiance filiale maintiennent notre activité dans les cadres de la loi de Dieu.

La logique de la théorie de la justification, les déclarations de Luther ne permettent pas de s’arrêter à cette explication. C’est ce que nous allons voir maintenant.

II. AU-DESSUS DE LA MORALE.

Si viciée que soit notre activité, si inutile qu’elle soit pour notre foi justifiante, elle n’en subsiste pas moins toujours ; elle est vivante et par là même beaucoup plus dangereuse. Nos énergies sont une ménagerie ; que va-t-on faire de cette collection de bêtes fauves ; va-t-on les laisser sans dompteur, toutes portes ouvertes ?

Par un bon sens à la foi catholique et humain, par déférence pour les autorités temporelles et pour l’opinion publique, Luther est porté à maintenir la soumission aux lois de la morale. Mais par une impulsion profonde, par la logique de sa théorie, il est violemment entraîné à se mettre au-dessus de ces lois, lui et ceux qui suivront sa doctrine. Il est fort curieux, ou pour parler plus exactement, il est angoissant, effrayant de le voir ainsi tiraillé, torturé par ces deux tendances contraires.

Souvent, il se borne à parler le langage traditionnel, le langage catholique ; il expose la nécessité d’obéir aux commandements de Dieu. C’est ainsi qu’il en use dans ses sermons et surtout dans ses deux Catéchismes (1529). Dans son Grand catéchisme, il n’a pas un mot sur la théorie du serf arbitre, clef de voûte de toutes ses vues sur la justification. Et ce seront ces deux écrits, le

Traité du serf arbitre et le Grand catéchisme, que plus tard il unira pour les reconnaître comme les seuls fils légitimes de sa pensée 1 Enders, t. xi, p. 247, 9 (1537)

Mais, malgré qu’il en eût, il lui fallait pourtant en arriver à mettre sa théorie favorite en face des œuvres, en arriver à dire si oui ou non, en vertu de la foi justifiante, l’homme était obligé de réglementer, de canaliser son activité. — Quand se présente la confrontation entre sa théorie et les œuvres, il hasarde jusqu’à quatre explications, allant de l’une à l’autre sans peut-être remarquer les contradictions qu’elles ont entre elles.

l°Les quatre explications de Luther sur les rapports <lc la foi et de la morale. — 1. Çà et là, Luther représente les œuvres comme une condition de l’arrivée ou du maintien de la foi en nous, ou, suivant l’expression de Loofs. comme « une préparation négative » à la foi. F. Loofs, Leilfaden.., 1906,. p. 721. Mais cette explication allait directement à nier la corruption radicale de notre activité et l’inutilité totale de nos œuvres pour notre justification. Il faut reconnaître du reste qu’il ne la présente que d’une manière incidente et timide ; il y insiste peu. Enders, 1. 1, p. 408 (1519) ; W., t. vi, p. 210, "k 249, 9 ; t. ix, p. 235, 14 ; 274, 27 (1520) ; t. xii. p. 386, 8 (1523) ; Erl., t. xiii, p. 146-148(1537) ; W., t. ii, p. 179, 18 (1546).

Beaucoup plus fréquemment, quand il lui faut confronter sa théorie et les œuvres, il s’arrête à trois autres explications. La première, c’est que la foi produit inéluctablement les œuvres. La seconde, c’est que de soi aucun acte n’est bon ni mauvais : d’un homme mauvais, du non-justifié, tous les actes sont mauvais ; du justifié, tous les actes sont bons. La troisième, c’est que le justifié commît-il des actes mauvais, il ne cesserait pas d’être en grâce avec Dieu : il n’a pas à se préoccuper d’éviter le mal.

2. La foi produit inéluctablement des œuvres bonnes : très volontiers, Luther revient à cette affirmation. En 1536, dans son entretien théologique avec Mélanchthon, il la précisera et l’accentuera : On ne dit pas : « Le soleil doit briller ; un arbre bon doit produire de « bons fruits ; sept et trois doivent faire dix. » C’est un fait que le soleil brille, que le bon arbre produit de bons fruits, et que sept et trois font dix. » Erl.. t. lvui. p. 354 ; T. R., t. vi, n. 6727. L’année suivante, il disait dans une dispute théologique : « Comme le dit saint Augustin, pour sept et trois, ce n’est pas un devoir de faire dix ; ils font dix. » P. Drews, p. 116, thèse 21. Inutile d’ajouterquece n’est pas à cet objet que s’applique la comparaison d’Augustin ! Il dit que Dieu i ne doit pas posséder la sagesse, mais que de fait il la possède r>. Epist., clxii, 2. Pour le bon arbre qui produit de bons fruits, la comparaison est de Jésus-Christ lui-même. Mais Jésus-Christ n’a jamais parlé contre notre liberté, il n’a jamais dit que l’observation des commandements était inutile au salut. Comme toute comparaison, celle-ci ne s’applique pas de tous points. Un homme n’est pas un arbre. Et pour le bon arbre lui-même, ne lui arriverat-il jamais de produire des fruits mauvais ? D’ailleurs, le but de la comparaison de Jésus-Christ, c’était d’opposer les actes aux paroles : ne jugez pas quelqu’un sur des paroles, sur des dehors mielleux et hypocrites ; jugez-les sur sa conduite.

Mais avec sa théorie du serf arbitre, Luther était constamment porté à voir dans l’homme un automate. « Dans sa théologie, dit Kœstlin, la foi et l’Esprit-Saint engendrent nécessairement en nous l’amour de Dieu, puis l’amour du prochain et toutes les bonnes œuvres. » Luthers Théologie, 1906, t. ii, p. 206. Partout, on sent Luther poussé par des impulsions violentes, qui se terminent à la négation farouche de la liberté. Sans doute aussi, cette explication était-elle quelque peu influencée par des vues antérieures.