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LUTHER. LA DOUBLE JUSTICE


nos œuvres. Mais pour appuyer leur assertion, ce n’est pas à la vieille conception d’une nature profondément corrompue qu’ils en appellent, c’est à la bonté (le Dieu..

On comprend donc pourquoi Seripando et les siens étaient si fort attachés à cette théorie : bien loin d’être adventice, elle tenait à leurs idées fondamentales sur la chute originelle et la justification.

2. Mais, en outre, Seripando et les siens, si ennemis de toute apparence de rationalisme, se recommandèrent de textes de l’Écriture et de la Tradition. Ce sont en partie ceux que, lui aussi, Luther avait allégués. Ces textes parlent de la faiblesse de l’homme déchu, du virus de la concupiscence, du besoin constant où nous sommes d’être traités avec miséricorde. De l’Écriture, ils aiment à citer le verset d’Isaïe : « Toutes nos justices sont pareilles à un vêtement souillé. » Is., lxiv, 6. Cf. W., t. iv, p. 383 (1513-1515). Parmi les Pères, ils allèguent surtout saint Augustin et saint Bernard. Le premier a dit : « Malheur à la vie de l’homme, si louable soit-elle, si Dieu la discute sans écouter sa miséricorde. » Conf., t. IX, xra, 34 ; Conc. Trid., t. v, p. 486, 44. Et saint Bernard : « Je suis pauvre, je puis peu donner, mais si c’est trop peu, j’ajouterai le corps de mon Dieu. Car « un petit enfant est < né pour moi. » De toi Seigneur, je supplée à ce qui manque en moi. » P. L., t. clxxxui, col. 144 ; Conc. Trid., t. v, p. 486. Or ici, dit Seripando, c’est des œuvres faites en état de grâce que parle saint Bernard ; car il parle d’œuvres qui réconcilient ; du reste comment celui qui n’est pas en état de grâce pourrait-il donner en son lieu le corps du Christ ? Ibid., p. 486, 487, 670.

Au xiie siècle, les augustiniens Hugues de Saint-Victor, P. L., t. clxxv, col. 459, 477, 478, Pierre de Poitiers, t. ccxi, col. 1195, peut-être Pierre Lombard, t. cxci, col. 1441, 1442, et d’autres encore avaient déjà parlé quelque peu dans le sens de Seripando. Les Sentences de Pierre de Poitiers, il est vrai, ne furent imprimées qu’en 1655, avec celles de Robert Pulleyn. Mais les œuvres d’Hugues de SaintVictor et de Pierre Lombard l’étaient depuis longtemps déjà. Pourtant, au concile, personne ne songea à les alléguer.

Mais, le 8 octobre 1546, Seripando dit : « Des hommes très remarquables par leur science et leur piété, de très célèbres docteurs catholiques ont été pour cette théorie, et ont écrit en ce sens, tant en Italie qu’en Allemagne. » Conc. Trid., t. v, p. 486, 29. Et il cita des noms : les cardinaux Cajetan et Contarini, et les « Colognais ». Mais ces Colognais étaient Albert Pighius (1490 7-1542), Jean Gropper (1502-1559), et quelques autres du milieu du xvie siècle. L’ouvrage allégué en ce sens, YAntididagma, était un ouvrage de polémique contre Bucer ; il avait paru en 1544.

A ces théologiens tous plus ou moins mêlés aux luttes contre l’hérésie, et peut-être préoccupés de lui faire des concessions, on en préférerait d’autres, plus anciens, et qui auraient eu des opinions plus désintéressées. De fait, ce même jour, Seripando dut de vive voix ajouter un nom qu’il n’avait pas écrit : Severolo le mentionne dans son Journal du concile : condamner la double justice, dit-il, ce serait condamner le cardinal jEgidius. — Le directeur de la publication, le D r Merckle, dit à ce sujet : a II s’agit vraisemblablement de Gilles de Viterbe qui a écrit notamment un Commentaire sur le Premier Livre des Sentences. » Conc. Trid., t. r, p. 105, 19. Dans sa Vie de Seripando, il répète la même supposition, et d’une manière plus affirmative encore. Ibid., t. ii, p. lxiv, 34. Cette supposition est très justifiée. Comme homme d’Église et comme humaniste, Gilles de Viterbe, on l’a vii, occupa une très grande place à Rome au commencement du

xvi° siècle. Général des augustins, il s’était tout particulièrement intéressé à Seripando. Il est même très vraisemblable que, de 1510 à 1512, Seripando avait entendu Gilles exposer son Commentaire sur les Sentences. Ci-dessus, col. 1205. Puis, de longues am après, il le faisait copier. En effet, de ce Commentaire, la Bibliothèque de Naples possède deux copies ; or, à la fin de l’une d’elles, on lit : « Cette copie a été faite sur un manuscrit qui était vraisemblablement de la main de Nicolas Scutelli, de Trente ; Girolamo Seripando l’avait revu et y avait ajouté des titres. » Cette reproduction, c’est très vraisemblablement dans la ville même de Trente que Seripando l’avait fait faire, et en vue des discussions sur la justification. Enfin, le 23 mai 1520, dans la séance capitale du procès de Luther à Rome, Gilles avait eu une discussion avec Jean Eck sur la manière dont le baptême enlevait le péché originel. Replica Eckii adversus scripla Buceri, Ratisbonne, 1543, ꝟ. 32 b ; Paris, 1543, ꝟ. 52 v° ; P. Kalkhoff, dans Zeitschrijt fur Kirchengeschichte, t. xxv, p. 117. Jean Eck rapporte le fait sans donner d’explication. Toutefois, on voit que sur ce point Gilles était porté à innocenter Luther ; comme lui, il devait donc confondre plus ou moins péché originel et concupiscence, et estimer qu’après le baptême le péché originel demeurait au moins partiellement en nous.

Toutefois, on pourrait songer à un autre Gilles, Gilles Colonna, autrement dit Gilles de Rome (1246 ?1316), augustin lui aussi, et qui, dans l’Église et dans son ordre, occupa une très grande place à la fin du xme siècle et au commencement du xiv e. Il paraît bien qu’il ne fut jamais cardinal. Mais, dans les siècles passés, de nombreux érudits ont été d’une opinion contraire. Aussi, très fréquemment, on le nommait le cardinal Gilles. Comme, par ailleurs, il était le chef, sinon toujours suivi, du moins officiellement reconnu, de l’école des augustins, et qu’en théologie il avait un renom que Gilles de Viterbe ne possédait pas, ce pourrait être de lui que Seripando se serait réclamé. Du reste, n’eût-il aucunement songé à lui, il serait encore d’un grand intérêt de oir quelles étaient sur ce point les idées de cet augustin célèbre.

Dans les papiers de Seripando, on trouve la mention d’un autre théologien, ou mieux d’un commentateur de l’Écriture, Jacques Perez de Valence, augustin pieux et célèbre. (Naples, Bib. nat., ms. VII, D. 1~. 1° 45 i°). Il était mort en 1490 ou 1491, coadjuteur à Valence du cardinal Borgia, le futur Alexandre VI. Le 19 octobre 1546, dans les discussions sur la double justice, l’augustin Aurelius Philipputius répétait tout au long ce passage des papiers de Seripando. Conc. Trid., t. v, p. 562, 563.

Voilà donc trois hommes, trois augustins, qui auraient pu influencer Luther et Seripando dans leur théorie de la justice imputative : Gilles Colonna, Jacques Pérez et Gilles de Viterbe. On peut leur en joindre deux autres, augustins aussi, Grégoire de Rimini, le théologien officiel de l’ordre (1 1358), et Jean | de Paltz (j 1511). Lorsque Luther était à Erfurt, Jean | de Paltz avait un très grand renom en Allemagne et particulièrement dans le couvent des augustins d’Erfurt. Ses ouvrages parlent de la vie spirituelle ; pour augmenter l’humilité chrétienne n’aurait-il pas déprécié la valeur de notre justification ? Nous avons ainsi cinq augustins susceptibles d’avoir donné à Luther et à ses contemporains quelque idée d’une double justice : Gilles Colonna, Grégoire de Rimini, Jacques Pérez de Valence, Jean de Paltz et Gilles de Viterbe. J’ai lu les ouvrages de ces cinq auteurs, du moins tout ce qui était susceptible d’y parler du péché et de la grâce ; je n’y ai rien trouvé qui ressemblât véritablement soit à la théorie de la justice imputative de