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LUTHER. LA DECHEANCE ORIGINELLE


De cette identification, Luther va tirer, en les renforçant, les conséquences qu’en avaient déduites certains augustiniens des âges précédents. — 1. Identique à la concupiscence, le péché originel demeure en nous après la justification ; notre justice n’est donc qu’imputée. Ficker, t. ii, p. 1. « Ce n’est pas par une justice et une sagesse propres, c’est par une justice et une sagesse étrangères que Dieu veut nous sauver. » Ibici., p. 2. Aussi, tout en étant justifiés, nous demeurons pécheurs : jusqu’à la mort nous sommes moins justes en fait qu’ « en espérance ». Ibid., p. 106-108. Alors, déjà, pour désigner notre intérieur après comme avant la justification, on voit apparaître le mot fameux d’ignominie. Ibid., p. 334, 33. L’année suivante, dans son Commentaire sur l’Épitre aux Hébreux, il dit que « nos vertus ne sont qu’apparentes, et sont en réalité des vices ». F 156, dans.1. Ficker, 1918, p. 35.

2. Tous les mouvements de la concupiscence sont des péchés. Sans la grâce, l’homme ne peut que pécher. J. Ficker, t. ii, p. 212. La nature n’est que convoitises ; elle est l’homme charnel, et la chair, c’est non seulement le corps, mais l’âme elle-même ; tant que l’âme n’est pas sous l’influence de la grâce, elle est complètement assujettie à son corps. Après la chute, l’esprit s’est retiré et dans l’homme il n’est plus resté que la chair, sans liberté pour le bien. Commentaire sur l’Épitre aux Romains, de 1515, Commentaires sur l’Épitre aux Galates, de 1519 et de 1531, Traité du serf arbitre, de 1525, exposent longuement cette antithèse de l’esprit et de la chair. Voir au chapitre sur le serf arbitre, col. 1283.

Dans les justes, la corruption de la nature, mortelle de soi, devient vénielle. J. Ficker, t. ii, p. 123, 332. .Mais, dans la suite, Luther semble avoir maintenu de moins en moins cette distinction. Au justifié Dieu n’imputait plus aucunement ses fautes, ni comme mortelles, ni comme vénielles. Aussi en arriva-t-il à reléguer le purgatoire parmi les fantômes inventés par le diable. Miiller-Kolde, Die symbolischen Bûcher, 12e édit.. 1912, p. 303 (1537).

3. De la culpabilité de la concupiscence, Luther, lui aussi, en arrive tout naturellement à V impossibilité in cette de il accomplir la loi et d’y atteindre à la justice parfaite. Il nous est impossible d’aimer Dieu de toutes nos forces. Ficker, t. ii, p. 110, 1. 1-5 ; et surtout p. 124, 27.

4. Enfin la concupiscence est invincible ; après la chute, nous n’avons plus de liberté pour le bien : « Où est maintenant le libre arbitre ?… Par nous-mêmes, il nous est de toute Impossibilité d’accomplir la loi. » Ficker, t. it. p. 183, 1 i. Luther préludait ainsi à sa dispute de Heidelbergl 1518), où il devait soutenir que « la liberté pour le bien n’était qu’un litre sans réalité > w., t. i. p. 354, 13* thèse ; voir aussi J. Kœstlin, l.utlirrslheologie, t. i, p. 215 ; t. ii, p. 121, et à son mot favori que le libre arbitre est tnorl. W., t. i. p. 360 (1518), etc.

Le retentissement de la querelle de Luther avec Érasme sur la liberté m’oblige a rejeter plus loin le chapitre sur le serf arbitre, lies maintenant toutefois, il est nécessaire de rechercher ce que peut siuiii licichez Luther l’expression de concupiscence invincible. C’est l’une de celles qu’à partir de 1518, il aimera le

plus a répéter, celle que Denifle lui a peut-être le plus amèrement reprochée l » P., t. i, p. 163 sq., 197 sq. ; t. n. p. 391 s(|.

D’après Denifle, Lui lui veut dire par là que la concupiscence est toujours victorieuse ; devant tes

assauts nous succombons consl animent. I l’apres les

protestants et quelques catholiques, notamment le I’. Grisar, cette expression signifie simplement que la

concupiscence est tnextirpable : dans les profondeurs de

notre être, quoi que nous fassions, les racines en subsisteront toujours. Grisar, 1. 1, p. 86-92.

Cette seconde opinion ne semble vraiment pas soutenable. Assurément, chez Luther, il arrive fréquemment que le fracas des mots parle plus à l’imagination qu’à la raison ; ses coups de poing massifs sont plutôt pour étourdir les nerfs que pour éclairer l’esprit. Mais enfin, si toutes ses déclarations sur notre tyran intérieur signifiaient simplement que la concupiscence ne meurt qu’avec nous, elles seraient étrangement vides de sens. La preuve péremptoire que Luther ne s’est pas arrêté là, c’est sa négation de la liberté. Pour les anciens augustiniens, la concupiscence invincible, c’était le bas-fond de l’homme ; dans ce bas-fond étaient les mouvements spontanés et involontaires ; ils avaient beau n’être pas libres : suites du péché d’origine ils étaient des péchés. Pour Luther, le bas-fond de l’homme est remonté ; il a envahi toute notre activité. La concupiscence règle jusqu’aux mouvements de la volonté ; ces mouvements ne sont pas plus libres que les autres ; devant la concupiscence, nous sommes comme la feuille morte, balayée par le vent d’automne ; nous n’avons de force que pour nous laisser entraîner. Jadis arbre puissant et fier, la liberté de l’homme peut encore donner de loin les apparences de la vie ; en réalité, elle est morte, frappée par la foudre. A la place, c’est la concupiscence qui a grandi. Avec la théorie du serf arbitre, ce n’est donc plus seulement dans sa racine que la concupiscence est inextirpable, c’est dans toute sa végétation ; et sa végétation, c’est notre activité tout entière. C’est toute cette activité qu’englobe la parole : « La concupiscence est invincible. »

Or Luther voyait bien, ou plutôt il sentait très profondément que dans sa théorie la négation du libre arbitre était loin d’être un accessoire ; au contraire, il l’a toujours donnée comme L’couronnement de sa théorie sur le péché originel, la concupiscence et la grâce, en un mot, comme le couronnement de toute sa théorie sur la justification. W., t. vii, p. 148, 14 (1521) ; t. xviii, p. 615, 10 ; p. 779, 31 ; p. 786, 28 (1525) ; Ender », t. xi, p. 247, 9 (1537). Voir ci-après, le chapitre sur le serf arbitre.

A la même époque, Luther modifiait d’après ses préoccupations des textes célèbres de saint Augustin ; au mot concupiscence, il substituait le mot péché. Saint Augustin a dit : « La concupiscence de la chair est remise dans le baptême, non en ce sens qu’elle n’existe plus, mais en ce sens qu’elle n’est plus imputée à péché, d De nuptiis et concup., t. I, xxv. 28. A partir de 1515, Luther écrit : « Saint Augustin dit admirablement : Le péché est remis dans le baptême, non en ce sens qu’il n’existe plus, mais en ce sens qu’il n’est plus imputé, i Ficker. t. ii, p. 109 ; D. P., t. iii, p. 11-13. Où Luther avait-il pris cette grave modification ? Ce qui rend la réponse délicate, c’est que des théologiens catholiques ont fait subir à ce texte une modification analogue, par exemple saint Bonavonturc. In Hvaa Sent., dist.. a. 2, q. i, Opéra. Quaracchl, t. ii, p. 722 ; Jacques l’ère/, de Valence, Centum acquinquai /in n psa’mi davidici, l. en, f. Qui propttiatur, Pans. Jean Petit, 1506, t" 219, col. 3 ; Ps. cxvi, | 6 8, 5° conclusion, (" 260, COl. 2. et Driédo. Opéra. 1552, I" 118, 11’. ». Dans l’école augustinienne, a-t-on vii, on s’etaii habitué à mettre Indifféremment péché originel et concupiscence ; du reste, le Moyen Vga en général avait des préoccupations doctrinales plutôt qu’hia toriques ; on y trouve d’autres altérations de ce

genre.

Denifle a m la une falsification consciente et von

lue. De lait, Luther connaissait le iai texte par re Lombard, // Sent., dist. ll. c. i, et il

i avait autrefois commenté, w.. t. i, p. 75, 35 | : 1511) ; l >. l’.. t. n. p. 394. Depuis sa découverte de la