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LUTHER. LA DÉCHÉANCE KM IC I NELLE


reparaît chez Driédo, Opéra, 1552, t. iii, ꝟ. 118, 119, chez Seripando et les siens. Conc. Trid., t. v, p. 194, 195, 203 : V. Koch, dans Theol. Quartalschrift, 1913, p. 551, 552 ; 1914, p. 115-123. Une strophe de la séquence pour la fête de la Pentecôte est sans doute un écho de cette doctrine :

Sine tuo numine

Nihil est in homine

Nihil est innoxium.

2. Péché originel et concupiscence, c’est tout un ; en outre, du péché originel nous sommes responsables autant que de nos fautes personnelles. Dès lors, tous les mouvements de la concupiscence sont des péchés, les plus spontanés aussi bien que les plus volontaires. Dans le non-baptisé, ils sont des péchés graves ; après le baptême, graves encore en soi, Dieu ne les regarde que comme véniels. Ainsi, au xue siècle, parlent Hugues de Saint-Victor, P. L., t. clxxv, col. 471, 474, 475, Robert Pulleyn, t. clxxxvi, col. 855, 863-865, et Pierre Lombard, t. cxcii, col. 84 D ; ainsi au concile de Trente, et avec force, a parlé Seripando. Conc. Trid., t. v, p. 194, 195 ; Theol. Quarlalschri/t, 1913, p. 551, 552 ; 1914, p. 115-123. Le péché est dans la chair ; toutes les fois que la chair s’agite, elle pèche. En ce sens Hildebert de Lavardin (1057-1133) et Hervé de Bourg-Dieu († 1150 ?) ont des déclarations explicites. P. L., t. clxxi, col. 998 ; t. clxxxi, col. 1189. — tlus loin nous verrons que de là aussi découle la théorie de ces théologiens sur le mariage.

3. De la culpabilité de la concupiscence, les augustiniens concluaient fort logiquement à Y impossibilité d’accomplir la loi. On connaît le passage de saint Paul : « Je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais… » Rom., vii, 15. De l’avis général aujourd’hui, ce passage s’applique à l’homme avant la régénération. Longtemps, il est vrai, à la suite de saint Augustin, on l’a appliqué à l’homme régénéré. Mais voulût-on continuer d’adopter cette interprétation, on ne saurait en conclure de par saint Paul à l’impossibilité d’accomplir la loi et par là à la nécessité de pécher. Car il dit au même endroit : « Pour ceux qui sont en Jésus-Christ, il n’y a aucune condamnation. » Rom., viii, 1. Mais il était impossible qu’au cours des siècles les expressions vigoureuses de Paul, puis d’Augustin, ne donnassent pas lieu à des malentendus. Les anciens augustiniens insistent sur l’impossibilité où nous sommes, même avec la grâce, d’accomplir complètement deux grands préceptes, et ces deux préceptes, à vrai dire, résument tous les autres : « Tu ne convoiteras pas ; — tu aimeras Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toutes tes forces. » Hugues de Saint-Victor, P. L., t. clxxv, col. 474, 475. Au concile de Trente, Seripando parla absolument dans le même sens. Conc. Trid., t. v, p. 194, 195, 664, 670 (26-27 nov. 1546). Ces théologiens étaient logiques. La concupiscence est une force et une force coupable ; les mouvements spontanés en sont des péchés. Or la concupiscence ne mourra qu’avec nous, ici-bas, nous ne pouvons donc jamais rester sans « convoitise coupable », ni « aimer Dieu de toutes nos forces ». Jusqu’à ce que cette concupiscence soit complètement déracinée, l’homme n’est pas complètement justifié ; sur cette terre, il n’a donc jamais la justice parfaite. Les sacrements, la grâce font que le péché, c’est-à-dire la concupiscence, ne règne plus en nous ; ils ne peuvent l’empêcher d’adhérer à nos entrailles comme une lèpre inguérissable. Le bien parfait, la justice parfaite serait l’accord parfait de la partie inférieure de nous-mêmes avec la partie supélieure ; le mal complet, l’accord complet de la partie supérieure avec l’inférieure. Tant que la partie inférieure lutte contre la supérieure, il ne peut donc y avoir qu’une justice imparfaite. Ainsi en est-il pour tous

les justes sur la terre. Leur effort tend à éliminer de plus en plus ces restes de péché qui sont en eux. Hervé de Bonrg-Dieu, P. L., t. clxxxi, col. 693, cf. col. 1189 ; Etienne de Sestino, Conc. Trid., t. v, p. 607-611 (25 oct. 1546). Seul, Jésus-Christ a pu accomplir parfaitement les deux préceptes : « Tu ne convoiteras pas : tu aimeras Dieu de tout ton cœur ; » seul, il a eu la justice parfaite. Hugues de Saint-Victor, P. L., t. clxxv, col. 565.

4. Enfin, puisque la concupiscence demeure en nous jusqu’à la mort, avec ses convoitises contre l’esprit, elle est inextirpable, indéracinable ; elle est invincible, elle et le péché avec elle. C’est Robert Pulleyn, Pierre Lombard et Jean Driédo qui nous le disent. P. f.., t. clxxxvi, col. 755, 854, 855 ; t. cxci, col. 86 C ; Opéra 1552, t. iii, ꝟ. 98 r- : Invincibilis fomes.

II. LUTHER ET LA CORRUPTION RADICALE DE

L’BOMME DÉCRU. — L’identification du péché originel et de la concupiscence est étrange et dangereuse. Le baptême est impuissant à effacer le péché originel ; le mal est plus fort que le bien, Satan plus fort que Dieu. Cette théorie fait songer au manichéisme. Mais pendant longtemps, une erreur peut fort bien ne pas produire tous ses fruits. Retenu par le bon sens et l’adhésion au dogme catholique, on n’en tire pas toutes les conséquences qu’elle comporte. On s’arrête au bord de l’abîme, et on dit équivalemment : « O profondeur inépuisable de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles ! » Dans l’opposition entre le dogme et les conséquences de spéculations fâcheuses, on verra naïvement un mystère voulu par Dieu, un reflet de sa sagesse infinie !

Mais le développement de l’arbre ne saurait rester éternellement contrarié. C’est ce qui advint ici avec Luther. La théorie de l’identification du péché originel et de la concupiscence allait m s’étiolant ; Luther va lui donner une nouvelle vie. La concupiscence va tout envahir. De là une théorie délétère, couronnée par la négation farouche de la liberté humaine et la théorie de la foi justifiante. — Chez Luther, nous allons voir la théorie et les causes de la théorie.

La théorie.

Dans ses notes sur les Sentences,

Luther dit encore que le péché originel est « la privation de la justice originelle » ; ce péché, dit-il, ne saurait être « la concupiscence ou foyer du péché » ; car il est complètement détruit par le baptême, et la concupiscence ne l’est pas. W., t. ix, p. 73, 23 ; 75, 11. Toutefois, à cette doctrine, il mélange déjà des notes de l’école augustinienne : « la justice originelle absente, la chair ne peut que tomber dans l’injustice, c’est-à-dire dans le péché. » Dès ses Dictées sur le Psautier, il identifie péché originel et concupiscence. W., t. iii, p. 171, 26 ; p. 175, 30 (Ps. xxx) ; t. iv, p. 497, 14 (Ps., l) : t. iv, p. 354, 20 (Ps. lxi). « Il est convenable que nous devenions injustes et pécheurs, afin que Dieu soit reconnu juste dans ses paroles. » W., t. iv, p. 385, 5 (Ps. cxviii, 163). Dans les baptisés, les mouvements de la nature sont toujours mortels, mais Dieu ne les regarde plus que comme véniels. W., t. iv. p. 343. 22 (Ps., cxviii, 75).

Dans le Commentaire sur l’Épître aux Romains, la théorie de la corruption intégrale de l’homme déchu est pleinement énoncée. Sans cesse Luther y répète quj péché originel et concupiscence, c’est tout un. « Qu’estce donc que le péché originel’? D’après les subtilités des théologiens scolastiques, c’est la privation ou le manque de la justice originelle… Mais d’après l’Apôtre et la simplicité du sens chrétien…, c’est la privation entière et universelle de rectitude et de pouvoir [pour le bien ] dans toutes les énergies tant du corps que de l’âme, dans l’homme tout entier, homme intérieur et homme extérieur. » J. Ficker, t. ii, p. 143, 144.