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LUTHER. LA DÉCHÉANCE ORIGINELLE


quatre ans durant, il n’eut jamais le loisir d’en faire la confidence !

De plus en plus, il fut entendu que sa théorie de la justification lui était venue directement du Ciel.

III. La déchéance originelle.

Aux environs de 1510, la déchéance originelle commença à se montrer à Luther comme une corruption radicale et irrémédiable ; de plus en plus, cette corruption devint pour lui un axiome intangible. C’est là le fond de sa théologie. On peut étendre à toute cette théologie ce que Bellarmin dit du péché originel : « Toute la controverse entre catholiques et luthériens est de savoir si la corruption de la nature et surtout si la concupiscence en soi, telle qu’elle demeure même dans les baptisés et les justes, est proprement le péché originel. » De amissione gratise et statu peccati, t. V, c. v, Opéra, 1870-1874, t. v, p. 401.

Ce chapitre et le suivant sont les deux chapitres fondamentaux de cette étude. Dans celui-ci, nous verrons les destructions ; dans le suivant, la reconstruction.

Sur les destructions, nous verrons d’abord les linéaments qu’avait pu lui fournir la théologie précédente ; puis ce qu’entre ses mains ces linéaments sont devenus ; enfin, par manière de conclusion, sa lutte contre les œuvres.

I. l.F. PÊCHE ORIGINEL ET LA CONCUPISCENCE JI’S qi’.i LUTHER. — Dans un sens strict, la concupiscence, ce sont les sollicitations de la chair, les sollicitations sexuelles ; dans un sens général, c’est toute tendance vers la créature au détriment de nos tendances vers le Créateur ; c’est l’obstination intime et tenace de tout notre être à demeurer dans le fini. C’est en ce sens que saint Paul et saint Jean parlent de la chair en l’opposant à l’esprit. Rom., viii, 7 ; Gal., v, 19-22 ; I Joa., ii, 16. Mais le sens de ce mot établi, il reste encore deux grandes manières d’entendre que la concupiscence serait le péché originel. Ou ce péché sera la concupiscence elle-même, ou il sera la relation morale entre la concupiscence et la faute d’Adam. L’application de cette distinction au baptisé en fera aussitôt saisir l’importance. Mien qu’atténuée quelque peu, la concupiscence demeure en nous après le baptême. Si le péché originel consiste dans la concupiscence elle-même, il faudra dire qu’après le baptême, ce péché subsiste en nous. Peu à peu, sous l’influence de l’âge et de la grâce, il s’atténuera, mais il ne disparaîtra vraiment qu’à la mort. Seulement, Dieu ne voudra plus le voir ; le péché existera toujours, mais il ne nous sera plus Imputé, Si, au contraire, le péché origine] consiste dans la relation morale de la concupiscence avec la faute d’Adam, le baptême détruit celle relation et le péché n’existe plus en nous ; avec la faute d’Adam, notre concupiscence n’a plus dés lors qu’une relation historique.

1° La pensée de saint Augustin. - Quelle était sur ce point la pensée d’Augustin’.' Des centaines de lois. à partir de : "17, il a dit que le péché originel c’était la concupiscence. Mais, tout aussi catégoriquement, il a affirmé qu’après le baptême le péché origine] était complètement détruit. Par exemple, Contra duas epistolas Pelagianorum < 120), t. I, xiii, 27. P. L., t. m.iv, col. 563. Or il a affirmé aussi qu’après le baptême (fait

du reste trop facile à constater) la concupiscence suli siste en nous. Il s’ensuit donc inéluctablement que pour lui la concupiscence ne suffit pas a constituer le péché originel. Dans l’homme déchu, elle a avec la faute d’Adam une relation de droit, une relation morale ; Dieu nous impute la faute d’Adam, par ou la

concupiscence est arrivéee > nous. Dans l’homme néré, elle n’a plus avec cette faute qu’une relation de fait, une relation historique ; elle demeure comme un fait, non comme une responsabilité, c’est adiré non comme une souillure, comme une faute. Contra Julio num (421), t. VI, xix, 60, P. /, ., t. xi.iv, col. 858.

Mais que les expressions d’Augustin fussent obscures, souvent même audacieuses dans le sens d’une identification du péché originel et de la concupiscence, l’histoire des idées religieuses dans l’Église d’Occident suffirait à le prouver. De nombreux théologiens, même nettement catholiques, ont cru qu’il avait enseigné cette identité.

De saint Augustin à saint Anselme et même jusqu’au xme siècle, on se borna à peu près à répéter que le péché originel consistait dans la concupiscence ; souvent, on mettait indifféremment l’un ou l’autre mot. Pierre de Poitiers († 1205), Sent., t. II, xix, P. L., t. ccxi, col. 1015 ; J.-X. Espenberger, 1905, p. 101, 111, 136, 148 ; Kock, dans Theol. Quarlalschrift, 1913, p. 446. Sous ces mots, quel sens au juste mettait-on ? On se bornait à répéter religieusement comme des formules les expressions d’Augustin. Dès lors, on s’habitua peu à peu à les prendre au pied de la lettre, c’est-à-dire à identifier complètement la concupiscence avec le péché originel.

Réaction de saint Anselme.

- Cet excès appela

une réaction. Saint Anselme (1033-1099) définit le péché originel « la privation de la justice que chaque homme doit posséder », et cette justice, c’était « la rectitude de la volonté ». De conceptu virginali, c. xxvii, xxix. S’autorisant d’Anselme et le codifiant, saint Thomas dit que « la privation de la justice originelle était l’élément formel du péché d’origine ». I*-II®, q. lxxxii, a. 1 et 3. La concupiscence en était l’élément matériel, c’est-à-dire quelque conséquence plus indéterminée ; cf. a. 2, et a. 3, ad 3<"u ; cf. ci-dessus, t. viii, col. 2038.

D’ailleurs, ajoutèrent de plus en plus les théologiens, historiquement sans doute la concupiscence rappelle le péché originel : c’est par lui qu’elle est apparue ou du moins qu’elle s’est accentuée dans l’homme. De soi, toutefois, elle n’est pas mauvaise ; créé dans l’état de pure nature, l’homme l’eût connue à peu près comme aujourd’hui. La concupiscence, c’est la tendance qu’ont nos facultés vers leur activité naturelle, et c’est la jouissance qu’elles trouvent dans cette activité : jouissances dans la possession de la richesse, jouissances corporelles, jouissances intellectuelles. Mais notre activité est soumise à des lois. Or, souvent la concupiscence nous incite violemment à transgresser ces lois ; c’est en ce sens qu’on peut la regarder comme mauvaise.

La concupiscence, disaient donc saint Anselme et saint Thomas, était une conséquence du péché originel mais elle n’était pas ce pèche lui-même. Au fond, cette

conception n’était qu’une manière plus claire d’exprimer cette relation morale de la concupiscence avec le péché d’Adam, en quoi saint Augustin avait placé le pèche originel. L’enseignement de la vieille école augustinienne s’évanouit alors peu à peu, comme se dissolvent des humeurs morbides dans un organisme sain et puissant.

Persistance de la doctrine augustinienne.

Toutefois,

comme on l’a vu dans le chapitre précédent, l’ancienne manière de voir conserva çà et la des partisans. Parmi eux, on cite Henri de (iand (1220 1 Grégoire de Riminl († 1358), Seripando (1 i

enfin quelques autres depuis le concile de Trente.

De l’identification fruste du péché origine] et de la concupiscence, les augustiniens du ir au svr 1 siècle

avaient tiré de sombres conséquent

1. Par elle-même, la concupiscence est coupable. Seulement, dans le baptisé, Dieu l’excuse ; il ne lui impute, plus ce péché, (.’est ce qu’on lit dans Hugliei

de Saint Victor, P-I. t. clxxv, col. 171, i tl :.

t. ci.xxvi. col. 107. dans Robert l’ulleyn. t. CI xxxi. col. 7.V>, et dans Roland. V M. (.ici !. Hic ScnlciKCn Rolande, 1891, p. 202. An xi’siècle, cette théorie