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LUTHER. INFLUENCE DE L’AUGUSTINISME


Tauler et Suso, disciples et admirateurs d’Eckhart, ont été béatifiés. Avec des thèses parentes de celles des jansénistes, le cardinal Noris a reçu de Benoît XIV le titre de « très brillante lumière de l’Église ». Tandis que Molinos était condamné à la prison perpétuelle, Petrucci, son ami et disciple, était élevé au cardinalat. Affaire de personnes ou erreurs judiciaires, dira-t-on. Peut-être en certains cas. Mais, avant tout, la vraie raison de cette différence de traitement tient à la doctrine elle-même. Dans les rapports de l’homme avec Dieu, il y a quelques vérités fondamentales que l’Église ne cesse de maintenir : la distinction réelle de l’homme d’avec Dieu, et c’était cette distinction qu’Eckhart avait trop oubliée ; la responsabilité de l’homme envers Dieu, et c’était l’erreur de Jansénius de ne pas la maintenir réellement ; l’obligation pour le mystique de respecter la morale, et c’est ce que semble avoir oublié Molinos. Pour Seripando et les siens, ils ont toujours maintenu la responsabilité de l’homme envers Dieu et l’obligation d’observer la morale. Luther, au contraire, a nié fougueusement la liberté ; et, pour affirmer qu’à elle seule la foi neutralise les péchés les plus réels, il a des textes d’une massivité déconcertante.

Quel était alors le centre de cette école augustinienne ? L’Italie, et en Italie, plus spécialement l’ordre des augustins, peut-être plus spécialement encore l’importante congrégation de Lombardie ; c’étaient là sans doute ces « grands ceinturés » dont parlait le belliqueux Zannettin-i.

Seripando est de l’Apulie. A côté de lui, on trouve quatre augustins : un maître Gregorio Perfecto de Padoue, Aurelius Philipputius de la Rocca Contrata, provincial de la marche de Trévise, Marianus de Feltre et Stephanus de Sestino ; un bénédictin, Luciano degli Ottoni, abbé de Santa Maria Pompasia, près de Ferrare ; un carme, Joannes Antonius Marinarius, provincial d’Apulie ; un dominicain, Grégoire de Sienne ; un mineur, Antonius Frexius, de Pennarolo ; un ou deux servites : leur général, Augustinus Bonucius, et Laurentius Mazochius, ce dernier de Castro franco. Sur chacun de ces théologiens, voir Conc. Trident., t. H, p. lxi-cviii ; 431, 432 ; — t. ii, p. lxv, 35 ; — t. v, p. 280, 10 ; t. h. p. lxxxix, 25 ; t p. 561-564 ; — t. v, p. 599 ; — t

p. 776, n. 1 : p. 877, n » 20 ; t. x, p. 546, n. 2 ; p. 996 ; — t.

p. 95-101 ; t. x, p. 586, n. 8 ;

enfin, en général, t. v, p. 632. 1. x. p. 586, 587, n. 2 ; p. 691, n. 1. Voir aussi G. Buschbell, Information und Inquisition in Italienum die Mille des XVI Jahrhunderts, 1910, p. 45, 46, etc. Tous ces noms semblent italiens. Quelques autres, il est vrai, défendent aussi les idées de Seripando, surtout un Espagnol, le « docteur séculier » Antonius Solisius. Conc. Trid., t. v, p. 576 ; t. x, p. 587, n. 2. Mais on ne voit pas ni qu’ils aient été aussi nombreux, ni qu’ils aient appartenu à un groupe aussi compact, avec des Idées aussi profondément ancrées et une terminologie aussi précise.

Pour une théorie de la corruption radicale de l’homme et dune justification intérieure Insuffisante, pour une accentuation de l’augustinisme du xu° siècle, l’Italie du xve siècle étail un terrain tout pré] L’Italien d’alors est profondément corrompu ; il est voluptueux, ctur et déloyal. La Renaissance est partie <le l’optimisme, de l’idée « l’une nature non seulement bonne, mais rente, et pouvant facilement trouver en i elle-même de quoi se diriger noblement. Mais, qui veut faire l’ange fait la bête. La Renaissance a abouti à la corruption, à la cruauté el totalement , iu pessimisme. A ceiie décadence morale, il n’apparut aucun remède « .’est de celle idée que partent

v, p. 607-611 ; — t.

— t. i, p. 535, 20 ;

x, p. 586, 9 ; — t.

t. v, p. 581-590 ; v.

Machiavel et Luther. L’un et l’autre trouvent autour d’eux le mal enraciné ; ils désespèrent de le guérir et ils cherchent à s’en accommoder. Sur cette idée. Machiavel bâtira une théorie sociale : il fallait gouverner l’homme sans songer à le rendre bon ; dans les tractations sociales et surtout dans les tractations politiques, il serait puéril et dangereux d’ « écouter les lois de la morale » ; on y substituera la ruse et de fructueux assassinats. Dans le même temps, sur les relations de l’homme avec Dieu, des théologiens italiens auront édifié une théorie semblable. Puis ils auront rattaché cette théorie à saint Augustin et aux anciens augustiniens.

Ces deux théories, théorie sociale et théorie religieuse, se retrouvent chez Luther. Comme on le verra, ses vues sur le pouvoir temporel sont celles de Machiavel ; il est dangereux, il est impossible de gouverner d’après l’Évangile. Mais, Italiens politiques, c’est surtout la théorie sociale que Machiavel et son pays ont codifiée et prisée ; Germains rêveurs, c’était surtout à la théorie religieuse que Luther et les siens devaient s’attacher. Luther la codifia, l’exagéra ; il en fit sortir la théorie de la justification par la foi sans les œuvres ; dans les relations des hommes avec Dieu, il n’y aura plus à se préoccuper du Décalogue : à la place, on mettra la liberté du chrétien et la confiance joyeuse. Ainsi, on laissera de côté une misérable activité corrompue, et on s’envolera allègrement vers Dieu.

3° Physionomie de la théologie augustinienne à la fin du Moyen Age. — A la fin du Moyen Age, quelle est la physionomie de la théologie dite augustinienne ? Comme type, prenons le groupe de Seripando et de son entourage au concile de Trente. Dans leur théologie, on trouve tout un ensemble d’idées et d’expressions, toute une synthèse notablement différente de celle de saint Thomas d’Aquin et de nos théologiens contemporains, tous fortement imprégnés d’Aristote et de saint Thomas.

Les textes qu’ils mettent en lumière sont ceux qui parlent de la grandeur de Dieu, de sa liberté sans bornes, des abîmes de ses desseins. Ainsi, dans la conception de Dieu, on en arriverait facilement au nominalisme, à l’agnosticisme, à un Dieu caché et redoutable. Pour peindre l’homme, on prend surtout les textes qui parlent de son néant et de sa misère, qui le représentent comme un pauvre être tout pétri de péché. Chez cet homme, le baptême ne peut mettre que des germes de guérison ; le baptisé continue tellement à être un mal vivant qu’il pèche avant mime que sa volonté ait agi. Bref, dans la manière de concevoir l’homme, c’est une tendance constante au pessimisme, au manichéisme. Tendance constante aussi à confondre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel. On accorde très peu à l’état de nature déchue ; pour qu’un acte soit bon, d’une bonté simplement naturelle, on en arrive très vite à réclamer la grâce.

Dans le christianisme, il y a deux grandes attitudes à l’endroit de la chute originelle. Les uns diront avec

Bossuet : « Contemplez ce grand édifice ; vous y verrez

des marques d’une main divine ; niais l’inégalité de l’ouvrage vous fera bientôt remarquer ce que le péché a mêlé du sien. Sennun sur la mort. U 62. Ainsi l’expé rience sullil, i montrer en l’homme une déchéance. L’est le sentiment de saint Augustin : c’est du moins celui des augustiniens. augustiniens catholiques comme Bossuet, augustiniens hétérodoxes comme

Luther et.lansénius. Les autres diront : ()uj, l’homme

esi faible. M ; iis nous ne voyons pas pourquoi il n’aurait pu être créé d ; ins l’état ou il liait. La déchéance

originelle ne nous a enlevé que des dons surnaturels et gratuits ; elle est un fait affirmé par la révélation : on ne s.iuiait la prouver par l’expérience. des dl