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LUTHER. INFLUENCE DE L’AUGUSTINISME


ceux où, chez Pierre Lombard, les thèses dites augustiniennes sont le plus accentuées. Mais, dans les Sentences, on l’a vii, elles sont déjà équivalemment, et du reste ce n’est qu’en 1515 que Luther s’ancra dans ses idées sur la justification. Enfin, il est très significatif que, toute sa vie, Luther se trouvera en parenté avec Pierre Lombard. A table il aimait à faire son éloge : « C’était le fils d’une religieuse, un très grand théologien. S’il avait été versé dans la Bible, il aurait été sans conteste le plus grand de tous. » T. R., 1. 1, n. 192 (1532) ; de même, t. iii, n. 3698 (1538).

3. Saint Anselme (1033-1109) a été l’un des plus grands génies de la théologie au Moyen Age. Sur la nature du péché originel, il a frayé la voie à saint’I homas ; mettant à l’arrière-plan la concupiscence, il a vu dans le péché d’origine « la privation de la justice que chaque homme doit posséder ». De conceptu Virginia, c. xxvii, xxix, P. L., t. clviii, col. 4(51, 462.

Sur ce point capital, il s’est donc séparé des augustiniens de son temps. Mais, sur plusieurs autres, il garde leurs idées et leur terminologie. Il estime encore que, dans le non-baptisé, tous les mouvements de la concupiscence sont des péchés, et des péchés mortels ; ils sont la suite de la faute originelle ; « la condition première de l’homme était de ne pas les sentir. » Ibid., col. 529, 530. D’où le non-baptisé ne peut que pécher. Col. 504. Sur l’impuissance de l’homme à se préparer à la grâce, Anselme a des passages qui, bien interprétés, répondent sans doute à la théologie la plus orthodoxe, mais qui toutefois sont d’un ton très énergique, et à tout le moins très éloigné des tendances nominalistes. Col. 502-504, 523. Il semble même aller jusqu’à dire que Dieu ne donne pas la grâce à tous. Col. 524 B.

Luther avait lu les écrits de saint Anselme, et il y avait mis quelques annotations. On estime que ces notes doivent être contemporaines de ses Dictées sur le Psautier, c’est-à-dire des environs de 1513-1514. Il y souligne tout particulièrement le passage où Anselme déclare que dans le non-baptisé tous les mouvements de la concupiscence sont des péchés mortels. V.. t. ix, p. 112, 18, sur P. L., t. clviii, col. 530 B.

4. Saint Bernard (1091-1153). — Les usages des cloîtres, un récit fameux de Mélanchthon suffiraient à nous avertir que, de très bonne heure, Luther dut avoir connaissance des sermons de saint Bernard. De fait, dans les notes que, de 1509 à 1514 environ, il écrivait au cours de ses lectures, on trouve des citations ou réminiscences de Bernard, notamment de ses sermons sur le Cantique des cantiques. Y., t. ix, p. 69, 30 ; p. 107, 20, 28 ; p. 108, 17 ; etc.

Or, sans doute, le grand abbé de Clairvaux est moins un théologien qu’un auteur de la vie spirituelle et mystique. Mais sa conception de la vie spirituelle part nécessairement d’une théologie. Et, dans cette théologie, on trouve non seulement la négation de l’optimisme nominaliste sur les forces de la volonté humaine, mais un reflet rénéral de l’augustinisme de l’époque, reflet accru peut-être encore par des tours oratoires. Venue d’un mal. du péché originel, la concupiscence est un mal. P. /, ., t. CLXXXm, col. 9 18. Ce mal demeure en nous. Ibid., col. 1175, 117< ;. Il ressemble aux Jébuséens ; on peut le subjuguer, mais non l’exterminer, col. 1059 D ; il nous empêche notamment d’atteindre le plus haut’I'- l’amour de I ieu ; en nous commandant l’impossible, Dieu a voulu nous rappeler à l’humilité. Col. 1021 B.

Sans do nie. dans <|. s lexles précis, saint Bernard nous dit que cette concupiscence ne luffii pas a nous faire condamner. Col. 183, 212 c. 1020 H. Mais Luther excellai) a entendre les textes selon ses Impulsions ; il ne dut pas s’arrêter a ces passa : i

D’autant que souvent Bernard est très dur pour nos œuvres et notre justice ; sur ce point, il a des expressions que saint Thomas se fût sans doute refusé à écrire. Le sage, dit-il, a peur de toutes ses œuvres ; il les scrute, il les discute, il les pèse. Col. 47 B. « Là où le mérite a pris la place, la grâce ne saurait entrer. » Gardons-nous donc de prétendre à quelque chose de nous dans notre justification. Col. 1107 C. Pour nous mener au ciel, notre sagesse, notre justice, nos -œuvres, celles-là mêmes que nous faisons sous l’influence de la grâce, ne sauraient suffire ; comme supplément, il y faut la passion de Jésus-Christ. Col. 882 A. « Nul mérite ne saurait nous rendre dignes du ciel. Le mal existe en nous ; c’est un fait ineffaçable. Mais si Dieu ne nous l’impute pas, ce mal sera comme inexistant. » Col. 383 B. Enfin, « l’homme est justifié gratuitement par la foi. » Col. 384 A.

A ce dernier passage se rapporte un récit fameux de Mélanchthon. Dans sa préface au t. n des œuvres de Luther, écrite en 1546, au lendemain de la mort du Réformateur, Mélanchthon raconte sa vie à grands traits. Au couvent, dit-il, Luther était effrayé de la parole de saint Paul : Dieu « a tout enfermé sous le péché, afin que par la foi en Jésus-Christ ce qui avait été promis fût donné à ceux qui croient ». Gal., ni, 22. Mélanchthon ajoute. « Luther racontait qu’un vieillard l’avait souvent réconforté. Quand il lui exposait ses terreurs, le vieillard lui parlait beaucoup de la foi ; il l’amenait ainsi à la parole du symbole : « Je crois à la rémission des péchés. > D’après cet article, disait-il à Luther, ce n’était pas seulement à quelques-uns sans précision que les péchés étaient remis ; cette rémission concernait chacun d’entre nous, et c’était ce que Dieu nous commandait de croire. 11 confirmait cette interprétation par un passage de Bernard dans un sermon sur l’Annonciation : « Tu dois croire que tes péchés ne peuvent être remis que par celui envers qui tu as péché, et sur qui Lpéché ne tombe pas. Mais tu dois croire aussi que c’est à toi que par lui tes péchés te sont remis. C’est là le témoignage du Saint-Esprit quand il nous dit au dedans de nous : » Tes péchés le sont remis. » Voilà comment l’Apôtre estime que l’homme est justifié gratuitement par la foi. » Rom. iii, 28. Ces propos, ajoute Mélanchthon, avaient réconforté Luther ; ils lui avaient fait comprendre l’insistance de saint Paul à nous répéter que c’est par la foi que nous sommes justifiés. l’eu à peu, la lumière s’était faite en lui, il avait vu l’inanité des commentaires courants sur ces passages de l’Apôtre. (Tétait alors qu’il s’était mis à lire Augustin. Chez ce l’ère et dans les psaumes, il avait trouvé nombre de belles pensées qui l’avaient confirmé dans cette doctrine sur la loi. C. H., t. vi.cid. 159.

Dans ses grands traits, ce récit doit être vrai. I.e vieillard, c’est évidemment le précepteur > ou maître des novices dont Luther a souvent parlé. De ces entretiens avec son précepteur, Luther avait clé très frappé. Dès ses premiers écrits, il cite le passage de

Bernard, l. Ficker, t. i, p. 73 : t. ii, p. L>7 (1515

1516) ; Knders.t.i.p. 260 (1518). Dans la suite. lui et les siens y reviendront volontiers. C. IL. t. xv, col. Il I. Mélanchthon (1551) ; t. xxi. col. 748, Mélanchthon (1543-1544) ; t. Xxviii, col. 388, 389, Mélanchthon (1552) ; Matheslus, p. 21 ; Calvin, Institution tienne I. III, c. ii, n. 11.

De ce récit, il semble difficile de ne pas une conclusion : c’est que, de bonne heure. Lut lier

rencontra sur sa rouie un ou plusieurs hommes qui

semèrent en lui des mots, des Idées opposées au noini nalisme ; il en fui amené a lire des écrits d’aUgUSti-Iliens. De cette nouvelle tendance, de ces lectures

non dirigées on mal dirigées devait sortir la théorie

de la Justification par la toi.