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rcls. Ainsi encore, sans même une purification intérieure et réelle, par une simple acceptation tout extérieure à nous, Dieu eût pu nous justifier et nous rendre dignes de la vie éternelle.

Les nominalistes s’occupent peu de la grâce actuelle. Pécheurs, nous pouvons sans elle, on va le voir, nous préparer à la justification ; justifiés, la grâce sanctifiante nous suffit.

Quelles sont les relations de la raison et de la foi ? La raison et la foi sont sœurs, dit saint Thomas ; ce sont deux voies qui conduisent l’homme à la vérité. Pour les nominalistes, la raison, incapable de s’élever au-dessus du sensible, ne pouvait contribuer à nous introduire dans le sanctuaire de la foi. D’ailleurs, la vérité n’avait rien d’immuable. La foi restait donc suspendue en l’air, sans appui solide dans l’homme. A y regarder de près, la doctrine chrétienne enseignait même beaucoup de dogmes manifestement opposés à la raison. Pierre d’Ailli, In //" » < Sent., principium, Nicolas Wolꝟ. 1500, f » b, i jv°.

Dans leur théologie sur les forces de la volonté à l’endroit de la grâce, les nominalistes continuaient et accentuaient l’optimisme de leur philosophie ; ils en arrivaient à un véritable semi-pélagianisme. Pour nous préparer à la justification, ils ne demandaient pas de concours spécial de Dieu, autrement dit de grâces actuelles. « L’acte (naturel) d’amour de Dieu est la disposition dernière et suffisante pour recevoir la grâce par mérite de convenance. » Gabriel Biel, In Hum Sent., dist., XXVIII, t. ii, f°, P 4 r°. De là, au lieu de dire : « A qui fait son possible, Dieu ne refuse pas sa grâce, » les nominalistes disaient : « A qui fait son possible, Dieu donne infailliblement sa grâce. » Dès lors, on était même assez naturellement amené à se demander si la grâce sanctifiante elle-même était nécessaire. Puisqu’en fait la nature avait suffi à nous préparer à sa venue, pourquoi ne suffirait-elle pas aussi à nous mettre vraiment en grâce aux yeux de Dieu ?

Enfin, conséquence de leurs tendances rationalistes, les nominalistes étaient portés à négliger l’Écriture sainte, ainsi que la tradition des siècles chrétiens. Dans leurs subtiles spéculations ils s’occupaient peu de ces sources du dogme. Chez Occam, c’est à peine si çà et là on les trouve mentionnées.

En résumé, le nominalisme avait deux caractères fondamentaux : pour tout ce qui a trait à l’intelligence, il était sceptique et dissolvant ; pour ce qui regarde la volonté, il était semi-rationaliste.

II. LA FORMATION NOMINALISTE DE LUTHER.

Pour expliquer les tendances théologiques de Luther, on a souvent remonté jusqu’à Jean de Wesel ; il avait enseigné à Erfurt au milieu du xve siècle, et il était mort vers 1480. De fait, une condamnation fut portée contre lui à Mayence en 1479. Mais elle visait seulement des idées-sur l’Église et sur les indulgences, et sur ce dernier point même il ne semble pas que Luther ait été exactement renseigné. W., t.L, p. 601, note a (1539). Contentons-nous de constater qu’à l’époque de Luther, le nominalisme était partout en honneur, et tout particulièrement à Erfurt. Deux professeurs y avaient un grand renom, et tous les deux appartenaient à cette école : Josse Trutfetter, « le docteur d’Erfurt », et Barthélémy Arnoldi d’Usingen ; le premier y enseignait depuis 1484, le second depuis 1491. Dans le couvent des augustins, toute l’ambiance était nominaliste : Jean de Paltz, l’un des théologiens les plus célèbres de l’ordre des augustins ; Jean Nathin, qui professait à l’université. Comme manuel de théologie, Luther eut le Commentaire de Gabriel Biel sur les Sentences. Il avait été imprimé à Tubingue en 1501. Or, dans ce commentaire, Gabriel, comme on l’appelait couramment, déclare expressément qu’il prend Occam pour guide. T. i, Prol., f° A3 r" ; Explicit…

fin du 1. 1, f" Uv° ; t. ii, f° Aij r°. Dans son commentaire, Gabriel, comme du reste beaucoup d’autres de cette époque, ne reproduit même pas le texte des Sentences ; ce recueil n’est pour lui qu’un canevas commode pour donner une suite de la doctrine chrétienne. L’ouvrage de Gabriel fut le grand arsenal où Luther puisa sa science théologique. Quand il citera un théologien, ce sera très souvent d’après Gabriel.

On lui inculqua une profonde vénération pour Guillaume d’Occam. En 1520, dans sa Réponse aux théologiens de Louvain et de Cologne, il l’appelle « le premier et le plus génial de tous les docteurs scolastiques ». Il ajoute : « Lui, le réprouvé, le damné, l’excommunié de toutes les synagogues et spécialement de celle de Paris, on le laisse aujourd’hui régner à Paris et dans les meilleures écoles ! » W., t. vi, p. 183, 3. Est-ce à dire qu’il avait beaucoup pratiqué Occam ? Peut-être ne le connaissait-il que par des extraits lus çà et là, et surtout dans Gabriel. Il lut davantage Pierre d’Ailli et Jean Gerson, et sans doute quelque peu Duns Scot.

Le nominalisme intégral : à la fin de 1510, au moment de son départ pour Rome, voilà donc à peu près la philosophie et la théologie de Luther. De ce nominalisme, il gardera toujours beaucoup. Mais avant de rechercher ce qui luijen restera, ci-après, col. 1251, il est nécessaire de voir les autres influences qui se sont exercées sur lui.

Il a peu connu et encore moins goûté la grande théologie du xme siècle, celle d’Aleîiandre de Halès, de saint Bonaventure, d’Albert le Grand et de saint Thomas d’Aquin. Cette théologie était construite avec la philosophie d’Aristote. Or, de très bonne heure, il éprouva de l’aversion pour celui qu’il appelait « le philosophe rance ». W., t. ix, p. 43, 5 (1509-1511). A l’axiome : « Sans Aristote, on ne devient pas théologien, » il trouvait bon de riposter : « sans l’abandon d’Aristote, on ne devient pas théologien. » W., t. i, p. 226, 14 (1517). La théologie du xine siècle avait une attitude de calme et de bon sens qui ne pouvait convenir à sa nature emportée et impatiente de frein.

Puis, dans la querelle des indulgences, ses principaux adversaires furent des dominicains : Tetzel, Hochstraten, Priérias, Cajetan, Catharin. Sa haine contre Thomas et les thomistes s’en accrut d’autant. 11 écrivait en 1521 : « Thomas est-il sauvé, je n’en sais absolument rien ; je croirais plutôt au salut de Bonaventure. Thomas a émis nombre d’opinions hérétiques. C’est lui qui a introduit le règne d’Aristote, ce dévastateur de la pieuse doctrine. W., t. viii, p. 127, 18. C’était « le prince des bavards ; la métaphysique l’avait égaré ». T. R., t. iii, n. 3722, p. 564, 10 (1538). Du reste, tous ces anciens théologiens étaient « des cochons ». J. Ficker, t. ii, p. 110, 3, les thomistes, « de gros cochons ». W., t. x b, p. 183, 40 ; 188, 195, 204. et la philosophie thomiste, une doctrine « asinesque ». W., t. xb, p. 203, 8 ; 221.

Mais une autre école, l’école augustinienne, devait avoir sur Luther une influence profonde et décisive.

II. L’augustinisme. — Sur les rapports de l’homme avec Dieu, rapports qui se résument dans la justification, le Moyen Age a connu trois grandes synthèses : la synthèse nominaliste, accordant beaucoup aux forces de l’homme, la synthèse augustinienne. leur accordant fort peu, la synthèse thomiste, travaillant là aussi à garder un juste milieu. Avec des noms différents, ce sont là des tendances de toutes les époques.

Luther est parti de la synthèse nominaliste. Il n’a jamais goùlé la synthèse thomiste. Mais, vers 1510, sur les forces de l’homme pour le bien, il commence à prendre le contre-pied du nominalisme. Sur ce point