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    1. LUTHER##


LUTHER. DE LA DIÈTE D’AUGSBOURG A LA MORT

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une croix ou un trait perpendiculaire. T. R., t. iv, n. 5096, p. 655. A mesure que les copies s’éloigneront, la plume se cabrera de plus en plus ; on travaillera à édulcorer les propos corsés du Réformateur.

D’un même propos, toutefois, nous avons souvent deux, trois et jusqu’à quatre rédactions parallèles et originales. Entre ces rédactions, l’édition de Weiniar facilite les comparaisons ; or, on y trouve les mêmes idées, et souvent les mêmes expressions. Avec un peu d’imagination et d’expérience de la vie, il n’est même pas fort difficile de se représenter la la conversation, les chasses-croisés des interlocuteurs. En résumé, pour la connaissance de la vie et surtout de l’âme de Luther, les Propos de table ont toujours eu de la valeur ; depuis l’édition récente de Weimar, cette valeur s’est beaucoup augmentée et est devenue hors de conteste.

Comment Luther s’y montre-t-il à nous ? — En France, on imagine volontiers que les Propos de table dévoilent un Luther à part, un Luther qui sans ces Mémoires d’un genre insolite serait demeuré inconnu. C’est là une exagération. En portant ce jugement, c’est surtout aux verdeurs de langage que l’on songe. Assurément, les Propos en renferment un grand nombre. On vient d’en lire un exemple caractéristique. D’autres Propos sont tout aussi crus, quelques-uns peut-être plus encore. T. R., t. iii, n. 3540. Et ces propos se tenaient devant une femme et des enfants 1 Et non seulement devant ses’enfants, mais devant d’autres, venus du dehors. En tête de la première édition, celle qu’Aurifaber donna en 1566, se voit une curieuse gravure : à table sont assis Luther et ses amis ; par devant, debout, se tiennent quelques adolescents, ravis des propos auxquels ils ont le bonheur d’être admis ! Toutefois, les Propos de table sont loin d’avoir le monopole de ces libertés. Dans ses écrits, et même dans ses serinons, Luther en a semé en abondance. Certains p unphlets de ses dernières années en sont remplis. Dans La Papauté romaine (ondée par le diable, il demande au pape s’il est bien un homme, et de lui en montrer ses témoins. Erl., t. xxvi, p. 236. Dans ce pamphlet, il aime à répéter que « l’Église du pape est une Église de p et d’hermaphrodites ». Erl., t. xxvi, p. 164. Le pamphlet fut suivi de dix gravures exécutées dans l’atelier de Cranach sous la direction de Luther ; il les regardait comme son « testament ». Or, elles sont tellement inconvenantes que pendant de longues années, de peur de nuire à Luther, L’Allemagne protestante en a empêché la reproduction. D. P., t. iv, p. 211-265.

On aurait même tort de croire que les Propos de table ne sont qu’une collection ininterrompue d’obscénités et de grossièretés. On y trouve de fort belles considérations sur la miséricorde et la bonté de Dieu, sur nos devoirs envers Lui et envers le prochain, des restes d’envolées mystiques.

II. LE « MARIAGE TURC » DE PHILIPPE DE HESSE (1539-1540).

La bigamie de Philippe, landgrave de Hesse, son « mariage turc », et l’autorisation que lui en donna Luther, est l’un des laits les plus retentissants de l’histoire de la Réforme au vie siècle. En 1523, Philippe de Hesse s’était marié à une Bile du duc Georges de Saxe, Christine : elle lui avait donné épi enfants. Bientôt pourtant il avait songe a un second mariage, à une seconde femme légitime ». Finalement, il demanda en ce sens au chefs de l.i Réforme une autorisation écrite. De nombreux Indices montrent. jusqu’à l’évidence, qu’assez souvent Luther avail donné oralement des autorisations de ure ; suivant son expression, c’étaient la des conseils de confession ». lue autorisation écrite lui répugnait. Mais Philippe avait l>< au être un tyran laiCif, il (tait l’un des principaux soutiens de la cause. et les luthériens l’ont appelé « le Magnanime ». Le 10 décembre 1539, l’autorisation fut donc accordée ; Luther et Mélanchthon la signèrent ; puis Bucer et d’autres encore. Le 4 mars suivant, le second mariage fut célébré en présence de Mélanchthon, de Bucer et d’Eberahrd de la Thann. Eberhard y était le représentant de l’électeur de Saxe.

Mais trop de personnes étaient dans le secret. Aussi, vers la fin de mai, « un bruit affreux » se répandait : le landgrave avait pris un seconde femme ; Luther l’y avait autorisé, et en récompense il avait reçu un tonneau de vin ! Consterné, Mélanchthon tomba malade ; Luther, lui, garda toute sa santé et son robuste moral. « Moi, disait-il, j’ai la peau épaisse ; je suis un paysan, un rude Saxon. » T. R., t. iv, n. 5096. De toute son énergie, il travailla à montrer qu’on devait nier l’existence de l’autorisation. Le 15 juillet, il disait aux conseillers du landgrave : « Quel mal y aurait-il à ce que, pour un plus grand bien, et en considération de l’Église chrétienne, on fit carrément un bon mensonge ? » Pour la conscience, il n’y avait pas là la moindre difficulté. Lenz, t. ii, 1880, p. 373 376. Puis dans une lettre au landgrave lui-même : « S’il faut en venir à écrire, je saurai fort bien me tirer d’affaire et laisser Votre Grâce s’embourber. » Enders, t. xiii, p. 144 (24 juillet 1540).

Philippe finit par se ranger à la volonté du Réformateur, il ne publia pas le fameux Conseil de confession. Une loi d’empire, de 1532.défendait la polygamie sous peine de mort ; fort habilement, Luther lui avait rappelé que son indiscrétion pourrait lui être assez nuisible.

Dans le même temps, Philippe et l’électeur de Saxe, Jean Frédéric, que, lui aussi, les luthériens ont surnommé « le Magnanime », en arrivaient également à s’entendre. Devant le soubresaut de l’opinion publique, l’électeur avait voulu désapprouver le landgrave. Mais Philippe eut vite fait de le rappeler à la raison : n’avait-il pas envoyé un délégué à la célébration du second mariage ? C’était bien à lui, bon sodomite, à faire le prude pour une femme de plus ou de moins ! Enders, t. xiii, p. 151, n. 3 ; Lenz, t. i, p. 302.

Ainsi, du temps de Luther et de Philippe de Hesse, les preuves juridiques concernant le second mariage firent défaut. En toute paix, sécurité et honneur, le landgrave garda donc « sa concubine conjugale », et Luther, la sérénité de sa conscience.

III. DE 1530 A 1546 ; AUTRES FAITS IMPORTANTS.

Dans les quinze dernières années de sa vie, Luther continua son enseignement à l’université de Wittenberg. Deux cours d’alors sont assez célèbres : son Commentaire sur V fe pitre aux Galates, de 1531, et son Commentaire sur la Genèse, de 1534 à 1545. Tous deux du reste ne nous sont parvenus que par des copies d’auditeurs ; ensuite, ces copies furent quelque peu revues par le Maître. A cette époque, il travailla aussi a grouper les princes de son parti ; en 1531 se forma la ligue de Smalkalde, en vue d’une guerre contre I h a des -Quint et les princes catholiques de l’Empire.

Mais peu à peu les adversaires deviennent plus nombreux et plus entreprenants. Eux aussi. Ii catholiques s’organisent. Lentement, mais sûrement, l’Église romaine s’achemine vers la Réforme catholique ; en 1545, Paul III en arrive enfin à réunir à Trente un concile œcuménique. Luther et les siens refusent de s’y rendre. A côté des catholiques il y a les dissidents : les sacramentaires, Zwingle, Mélanchthon lui-même, qui ne croient pas a la pic-’réelle de Jésus-Christ dans le.sacrement. Agricole et les antinomisles. qui de la théorie de Lui lier contre les œuvres prétendent tirer contre la pratique des lois morales des conséquences que Lut lier repousse ; les Juifs, a qui à l’origine il s’était allie, et Contre qui il linil par mener une iolente campagne.